Don Quichotte à Paris
Par Hocine-Nasser Bouabsa – Avec son personnage Don Quichotte – Quijote en espagnol – qui voulait combattre les moulins à vent, parce qu’il les prenait pour des ogres maléfiques, l‘écrivain espagnol Miguel de Cervantès a légué à l’humanité une figure tragi-comique, acteur principal de sa parodie littéraire centrée, entre autres, sur l’égocentrisme humain démesuré, mais aussi sur la bonté humaine. L’archétype d’un tel personnage orne les fleuves de l’histoire dans beaucoup de cultures et de pays. Aujourd’hui, il peut bien être incarné en France par le locataire actuel de l’Elysée.
Mais quel est ce diable qui s’empara d’Emmanuel Macron, le 26 février 2024, lorsqu’il outrepassa volontairement une ligne rouge – que même l’unique superpuissance mondiale et son satellite l’OTAN ont jusqu’à présent évité d’effleurer –, en menaçant publiquement d’engager les troupes françaises en Ukraine pour repousser l’armée russe hors de ce pays ? En dépit d’un refus catégorique des chefs d’Etat européens – et particulièrement le chancelier allemand Scholz qui, depuis un certain temps, est en conflit ouvert avec son pendant français –, tétanisés par les conséquences apocalyptiques d’une telle idée, Macron récidive quelques jours plus tard, lorsqu’il invite à une réunion à l’Elysée les chefs de partis politiques français représentés au Parlement.
Malgré le protocole solennel qu’on a voulu lui imprégner, cette réunion-alibi n’avait en réalité qu’un objectif banal et primitif : démontrer aux Français et au monde qu’il ne s’agit pas d’un coup de tête irréfléchi et passager, mais d’une décision stratégique murie, tellement grave qu’elle obligerait le président à informer les Français. En réalité, il ne s’agissait que d’une mise en scène élaborée par ses conseillers en communication pour capter l’attention des médias mondiaux. En effet, si l’intention d’envoyer des troupes au sol en Ukraine était réelle, la Constitution aurait obligé Macron à s’adresser directement aux Français, par exemple à travers une allocution télévisée, et non à informer les chefs des partis, envers lesquels il n’est aucunement redevable en tant que président de la République élu par le suffrage des citoyens, comme l’est le chef du gouvernement.
L’opinion publique est intriguée par ce coup de tonnerre dans le ciel parisien. Les experts en défense et en diplomatie sont déroutés. Toute l’Europe tremble, parce qu’elle n’arrive pas à comprendre les mobiles d’un tel changement de paradigme. Mais tout cela ne semble pas déranger Macron. Il persiste dans sa comédie de mauvais goût, quitte, au mieux, à ridiculiser encore une fois la France et, au pire, à l’engager dans une guerre qui sera sa dernière. Il est pleinement conscient que la France endettée, en pleine crise sociale et économique, n’a pas les moyens de mener une guerre de haute intensité contre la Russie. L’armée française est, certes, en possession de 300 ogives nucléaires, mais quel est leur poids devant les 6 000 que détient Moscou ? Trois fois rien ! Macron bluffe-t-il donc ? Oui, mais, malheureusement, avec un sujet très sensible et hyper-dangereux. Sa démarche n’est pas exempte de risques existentiels. Mais elle est surtout cynique et faussement calculée, en plus d’être subjective et émotionnelle.
Emotionnelle et subjective parce qu’elle a sa source dans son ego dévasté depuis qu’il est à la tête de la pyramide formelle de l’Etat français. Habitué au succès «sponsorisé», il n’arrête pas de collectionner les déboires – dont il n’est pas l’unique responsable – depuis qu’il est à l’Elysée. Un de ces déboires fut l’humiliation que lui ont infligée pendant son premier mandat les Etats-Unis, lorsque ces derniers ont accaparé, sans le moindre scrupule et avec beaucoup de mépris, le contrat des sous-marins signé pourtant des années auparavant entre la France et l’Australie, pour un montant total de 56 milliards d’euros. Mais le déboire qui fait le plus mal au président français, c’est surtout sa défaite cuisante et celle de son pays au Sahel face aux héritiers de l’empire tsar.
Après la République d’Afrique centrale, vint le tour du Mali, du Burkina-Faso, de la Guinée et du Niger. Ces pays faisant partie de la garde chassée de la France néocoloniale, qui les faisait saigner – le Niger ne figure-t-il pas parmi les pays les plus pauvres de la planète malgré ses grandes richesses en Uranium ? –, ont changé de camp pour rejoindre celui de la Russie. Cette défaite ne s’est pas seulement limitée aux armes sur le terrain sahélien. Elle fut transportée par Poutine sur la scène de la guerre des images – que se livrent l’OTAN, la Chine, la Russie et d’autres protagonistes moins puissants sur l’échelle planétaire –, lorsqu’il recevait au Kremlin Emmanuel Macron venu pour valoriser sa stature d’homme politique jouant dans la cour des grands, devant les téléspectateurs du monde. Mais le contraire s’est produit lorsque Poutine le reçut avec une froideur glaciale dans une grande salle presque vide où il le plaça au bout d’une table immense non décorée qui séparait les deux chefs d’Etat. Macron fut présenté par la mise en scène russe comme un indésirable. Il repartit les mains vides, humilié et traumatisé.
Macron fut élu grâce au mouvement La République en Marche, fabriqué sur mesure par ceux qui l’ont intronisé pour réformer une France tombée en panne depuis plusieurs décennies. Mais au lieu d’être réformée, elle a été embastillée dans la cage du néolibéralisme sauvage et précipitée dans le ravin de la castration forcée. Face à l’impuissance de cette France et à un monde en pleine reconfiguration, Macron n’a pas beaucoup d’options. Alors, il gesticule et tourne en rond. Son premier mandat marqué par les révoltes des Gilets jaunes fut une catastrophe. Le second est pire. Souhaitons-lui qu’il ne sera pas, par ailleurs, celui que l’histoire retiendra comme l’instigateur involontaire d’un processeur guerrier qui enterrera définitivement les peuples européens.
En effet, quelquefois, l’homme déclenche sans le vouloir certains processus qu’il croit contrôler, mais qui lui échappent et deviennent indépendants. C’est ce qui se passe depuis quelques jours avec les faucons européens qui utilisent la passe de Macron pour réclamer implicitement l’engagement de troupes atlantiques en Ukraine. Dès lors, nous quittons la logique de Don Quichotte pour celle du film The Day After.
H.-N. B.
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