Des chaînes-supérettes, des émissions médiocres : l’audiovisuel algérien va mal
Par Abdelkader S. – La déception des Algériens rappelle celle qui a suivi l’élimination de l’équipe nationale de football dès le premier tour à la CAN-2024 en Côte d’Ivoire. Les téléspectateurs avaient espoir que les chaînes de télévision passent à une nouvelle étape dans leur production pour le mois de Ramadhan mais, au cinquième jour du mois sacré, l’écran offre les mêmes émissions censées distraire les jeûneurs après une dure journée d’abstinence, sans attrait, ni intelligence – à quelques très rares exceptions.
Ce qu’il y a lieu de noter, par ailleurs, c’est l’invasion des séquences publicitaires, transformant ces chaînes en supérettes, preuve d’un débridement total et de l’absence de règles régentant le secteur. Nous avions cru, lors de la présentation en grande pompe de ce qui nous attendait à partir du 11 mars, qu’un effort avait été fait pour améliorer les contenus, mais il n’en est rien. Un communiqué du ministère de la Communication, rendu public ce jeudi, pointe une de ces séries très critiquée sur les réseaux sociaux. Mais celle-ci est-elle la seule à blâmer ? La réponse est définitivement non.
Si l’ouverture du champ médiatique au début des années 1990 avait été réservée à des professionnels du métier qui ont blanchi sous le harnais, celle des télévisions, en 2010, s’est faite dans la précipitation, en réponse aux attaques des télévisions égyptiennes lors de la brouille provoquée par le match éliminatoire pour la Coupe du monde qui s’était déroulée en Afrique du Sud. Les Algériens avaient ressenti une frustration née de la supériorité audiovisuelle égyptienne. Depuis, rien n’a été fait concrètement pour mettre de l’ordre dans le secteur qui a, certes, réussi à détourner les Algériens des chaînes des pays du Golfe à l’influence néfaste, Al-Jazeera en tête, mais ce gain n’a pas été accompagné par une politique visant à améliorer la qualité des télévisions créées et dirigées par des journalistes issus de la presse écrite.
Ce que certains considèrent comme de grandes chaînes sont, en réalité, un gouffre financier, maintenues en vie de façon artificielle par l’Etat, lui-même pris au piège car tributaire dans sa communication de ces canaux, en dépit de leurs faiblesses. On parle de dettes abyssales s’élevant à plusieurs centaines de milliards pour certaines, tandis que d’autres sont obligées de faire le change au marché parallèle pour pouvoir payer le signal, ce qui est, en principe, interdit par les lois en vigueur.
L’extrême jeunesse des présentateurs et autres journalistes est un autre signe des difficultés financières que traversent ces télévisions, incapables d’assurer un salaire décent à leurs employés, recrutés majoritairement via l’ANEM. Le directeur d’une de ces chaînes a même admis que ses licenciés débutants touchaient à peine 30 000 DA, tandis qu’un professionnel ayant trente années d’expérience derrière lui perçoit à peine 50 000, malgré son ancienneté. Le ministre de la Communication a eu raison d’expliquer aux députés que sans le nerf de la guerre, la presse algérienne ne connaîtra jamais un bond qualitatif. L’argent doit servir à la formation en priorité, si le pays veut réellement pouvoir rivaliser avec les mastodontes qataris, saoudiens, émiratis, égyptiens, etc. La création de la chaîne Alg24 sur le modèle de ces dernières a été un flop total, et cela était prévisible dès l’instant où a été révélé le nom de son directeur.
Un grand travail attend les pouvoirs publics pour donner un coup de pied dans la fourmilière. Il faut privilégier l’intérêt supérieur du pays et prendre des décisions drastiques pour arrêter la gabegie et faire appel aux véritables compétences. Des compétences nombreuses qui n’attendent qu’à mettre leur savoir-faire au service de l’Algérie, visée par une campagne enragée dans le cadre de la guerre de quatrième génération à l’affrontement de laquelle ont appelé aussi bien le président de la République que le chef d’état-major de l’ANP. Or, ni cet appel, pourtant pressant, n’a été entendu ni les sévères reproches de Mohammed Laagab n’ont été considérés avec la gravité requise.
A. S.
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