Algérie, Niger : ces pays africains qui se dressent contre l’arrogance américaine
Par Abdelkader S. – Après l’armée française, chassée de façon humiliante du Mali, c’est au tour des soldats américains d’être priés de quitter instamment le territoire nigérien. S’exprimant par la voix de son porte-parole, le gouvernement de transition du Niger n’y est pas allé de main morte pour fustiger l’arrogance de Washington et rappelé à l’administration Biden que ce pays du Sahel est souverain et n’a pas d’ordres à recevoir des émissaires qu’Antony Blinken a dépêchés à Niamey il y a trois jours. Avant cela, l’Algérie avait cloué au pilori les Etats-Unis pour avoir opposé leur veto contre le projet de résolution que le représentant permanent à New York, Amar Bendjama, avait présenté au Conseil de sécurité de l’ONU pour un arrêt immédiat du génocide commis par Israël à Gaza.
L’armée américaine s’était redéployée au Niger en septembre dernier, de la capitale vers la base d’Agadez. Washington avait fait coïncider le repositionnement de ses troupes et de ses équipements au Niger avec le retrait d’une partie de son personnel. «Il s’agit du premier mouvement militaire américain important au Niger depuis le coup d’Etat de juillet», soulignait l’agence de presse britannique Reuters, en se référant à des responsables américains ayant requis l’anonymat. Ces derniers «ont refusé de dire combien de personnes allaient partir et combien étaient repositionnées à l’intérieur du Niger, de la base aérienne 101 à Niamey à la base aérienne 201 à Agadez», précisait Reuters, selon laquelle, «avant ce mouvement, il y avait 1 100 soldats dans ce pays d’Afrique de l’Ouest».
Lors de sa visite de travail à Washington, mi-août dernier, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, avait échangé avec son homologue américain, Antony Blinken, sur la situation au Niger. Selon le langage diplomatique usuel, les deux hommes avaient «mis en exergue la convergence de vues de l’Algérie et des Etats-Unis en faveur d’une résolution de la crise par les voies diplomatiques et ont rejeté toute intervention militaire étrangère». Mais, en réalité, Alger voit d’un mauvais œil les manœuvres américaines aussi bien dans le Sahel qu’en Libye où les services secrets de ce pays s’échinent à retarder toute solution politique et retardent par mille et un subterfuges la tenue d’élections auxquelles l’Algérie appelle de ses vœux.
Ce redéploiement coïncidait, par ailleurs, avec l’appel téléphonique reçu par le chef d’état-major de l’ANP, le général d’armée Saïd Chanegriha, du directeur de la CIA, le service de renseignement américain, William Joseph Burns. L’échange a porté sur la «parfaite coordination» entre les deux pays en matière de sécurité, indiquait un communiqué du ministère de la Défense nationale, usant du même ton diplomatique.
«L’Algérie et les Etats-Unis partagent des intérêts communs dans la stabilité du Mali et du Niger. Peuvent-ils construire des solutions partagées ?» s’interrogeait l’United States Institue for Peace (USIP), en estimant qu’«une opportunité de promouvoir la stabilisation au Sahel, notamment au Mali et au Niger, pourrait faire l’objet d’une collaboration». «Depuis plus de deux décennies, l’Algérie et les Etats-Unis partagent les mêmes préoccupations concernant une présence terroriste métastasée au Sahel, et la coopération antiterroriste entre les deux pays est solide», notait l’institut américain. «Cependant, alors que le gouvernement actuel du Mali cherche à élargir ses relations avec la Russie et son groupe Wagner, les intérêts algériens et américains pourraient diverger», relativisait-il, toutefois, à juste titre.
«Quand bien même les Etats-Unis et l’Algérie partagent un vif intérêt pour la stabilisation du Mali, ils ont des visions différentes sur la manière d’y parvenir», soulignait l’USIP. «Compte tenu de l’alignement stratégique de Washington sur le rival de l’Algérie, le Maroc en l’occurrence, notamment en ce qui concerne le conflit du Sahara Occidental, il est dans l’intérêt des Etats-Unis de dissocier toute coopération avec l’Algérie au Mali des autres questions régionales», conseillait l’institut. «La situation au Niger est légèrement différente», notait l’auteur de l’analyse, qui mettait en avant l’«inquiétude» de l’Algérie face à l’instabilité dans cet autre pays frontalier de la ceinture sahélienne.
«Compte tenu de l’alignement américano-algérien au Niger – du moins en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme –, les efforts de médiation algériens pourraient être mutuellement bénéfiques», notait encore l’United States Institue for Peace, en assurant, néanmoins, que «l’intérêt des Etats-Unis à garder ses bases au Niger pourrait être contrarié par le refus par l’Algérie de toute présence militaire étrangère, surtout occidentale, à sa frontière». «Une question importante pour les décideurs politiques américains sera de savoir si l’Algérie exigera un retrait militaire américain du Niger comme condition préalable pour pouvoir coordonner avec les Etats-Unis un effort de stabilisation dans ce pays», faisait remarquer cette institution officielle.
«La situation au Niger est intenable tant pour l’Algérie que pour les Etats-Unis. La crise au Niger constitue un terreau fertile pour le terrorisme et les réseaux criminels qui déstabilisent cette région frontalière de l’Algérie. Les Etats-Unis, l’Algérie et la CEDEAO devraient rechercher une convergence de leurs objectifs pour contribuer à stabiliser le Niger dans l’intérêt de tous», insistait-on à Washington, où on persistait à poser deux questions lancinantes : «Le maintien de la présence militaire américaine au Niger deviendra-t-il un point de friction pour l’Algérie ? L’Algérie et les Etats-Unis peuvent-ils mettre de côté leurs points de vue divergents sur le Sahara Occidental ?»
Une nouvelle question se pose désormais : comment réagiront les Etats-Unis face à la rebuffade des nouvelles autorités du Niger qui ont clairement signifié à Washington qu’elles maintiendront des relations serrées avec la Russie et l’Iran ?
A. S.
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