«Islam» spectacle
Par Khider Mesloub – Le musulman contemporain envisage rarement sa foi dans une perspective d’union intime à son Dieu, relevant de sa seule individualité portée par sa conscience singulière et originale, inscrite dans une dynamique d’épanouissement personnel, mais comme une entreprise de communion grégaire fondée sur une conscience collective totalitaire, visant à soumettre l’ensemble des membres de la société (de l’humanité) au culte dominant, érigé en unique et supérieure religion, hors de laquelle il n’y a point de salut.
Autrement dit, les fidèles des autres religions, à plus forte raison les athées, ne peuvent être admis au sein de la communauté musulmane, par manque de la foi fondamentalement idoine ou primordialement nécessaire. Aussi, dans certains pays musulmans, où la religion est inscrite constitutionnellement dans le droit, faute de possession de la foi, tout agnostique ou athée est considéré comme hors-la-loi.
Ces dernières décennies, sous l’influence de l’idéologie salafiste, pour le musulman, la croyance ne peut se réduire à être éprouvée. Selon lui, elle doit factuellement se prouver. Notamment par des manifestations spectaculaires cultuelles. Car, selon lui, l’islam ne peut jamais se cantonner à une croyance désincarnée. Elle n’est pas une entité immatérielle. L’islam ne se résume pas dans la croyance, mais dans l’exhibition cultuelle rituelle spectaculaire.
De nos jours, l’islam s’exprime davantage par voie rituelle que spirituelle. Il est davantage axé, dans la majorité de pays, sur l’apparat – l’affichage vestimentaire (qamis, tchador, burqa, niqab, hidjab), l’exhibition d’une masculine pilosité faciale luxuriante, la démonstration outrancière confessionnelle, le déploiement ostentatoire dévotieux, l’exubérance liturgique, l’affectation cérémoniale, la symbolisation architecturale – que sur la contemplation – la méditation, la discrétion, l’intimité, la confidentialité.
Quand de modérés et sobres musulmans empruntent la voie de la réclusion, l’isolement, la discrétion pour mener une existence «anachorétique», «monacale», «ascétique», autrement dit vivre leur islamité dans l’intimité, la sphère privée, ils sont marginalisés, ostracisés, accusés de frilosité en matière de dévotion, de pusillanimité en fait de piété publique.
Ce qui caractérise dorénavant l’islam salafisé, ce sont les rites, l’expression d’une communication gestuelle collective conçue comme un système de signification sacralisé. On peut même affirmer que, de nos jours, l’islam se confond avec le rite. Point d’islam sans rites ostentatoires et spectaculaires.
Dorénavant, dans le monde musulman, les pratiques rituelles tapageuses priment les représentations religieuses, c’est-à-dire la croyance intimiste, la spiritualité vécue dans son for intérieur. Entre soi et soi. Par soi et pour soi.
Ainsi, l’islam spectaculaire privilégie dorénavant la pratique religieuse plutôt que la simple représentation religieuse, c’est-à-dire la croyance, la dévotion intime. Au reste, pour le musulman contemporain, c’est par la pratique que se démontre la foi, se vérifie la croyance, s’illustre l’authenticité du spectacle du dogme islamique.
Aussi, au sujet de l’islam contemporain «spectacularisé», il serait plus raisonnable de parler de pratiques religieuses plutôt que de représentations religieuses. Tout se passe comme si les gestes de la religion, voire les gesticulations, priment sur les idées et la croyance.
L’islam s’exprime, dorénavant, essentiellement par des démonstrations spectaculaires ritualistes, et non par de discrètes attitudes spiritualistes. Dans le monde musulman, le rituel sert d’écran de fumée pour dissimuler l’absence totale de toute dimension spirituelle. Le rituel a planté le spirituel, s’est implanté dans la société spectaculaire salafiste en lieu et place du spirituel.
L’islam est devenu une religion du geste. D’aucuns diraient un dogme fondé sur des gesticulations religieuses plutôt que sur des méditations spirituelles.
Dans la société islamique salafiste contemporaine, la communauté croyante musulmane n’agrée le croyant que par la preuve de la démonstration spectaculaire de ses rites cultuels.
Autrement dit, la pratique rituelle spectaculaire fait foi de la bonne et vraie croyance islamique. Pour les musulmans salafisés contemporains, la croyance sans la pratique – l’observance démonstrative des rites – n’a aucune valeur confessionnelle.
La religion musulmane est devenue davantage un phénomène collectif rituel plutôt que l’expression d’un individuel exercice spirituel, une gymnastique sacrale culturelle plutôt qu’une démarche personnelle cultuelle. On va à la mosquée comme on va au concert pour écouter un chanteur, se pâmer devant ses morceaux de musique extatiques. Le spectacle est plus attrayant.
Pourtant, théologiquement, la prière accomplie à la maison a la même valeur confessionnelle. Mais son accomplissement dans l’enceinte de la mosquée est un moyen ostentatoire d’exciper de sa spectaculaire ferveur religieuse factice, de ritualiser publiquement sa piété. On exhibe ostensiblement sa religiosité islamique comme le parvenu bourgeois affiche crânement sa montre Rolex à son poignet de sa main calleuse aux ongles noirs de saleté.
Comme si la dévotion se vit dans l’apparat public des yeux et non pas dans l’appartement privé du cœur. Comme si la valeur de l’homme se mesurait à la quantité exhibée de sa ferveur affectée religieuse, et non à la qualité sobre de sa foi authentique.
Les sociétés les plus ostentatoirement et tapageusement religieuses, tels les pays dits musulmans, proposent-elles autre chose qu’une caricature outrancière de la religion, qu’une exhibition indécente d’une religiosité factice, qu’un habillage d’observances désuètes financièrement rentables, symbolisées par le marché des voiles islamiques, des reliques et babioles idolâtres et fétichistes, des coûteux et ruineux pèlerinages qui enrichissent plus sûrement le pays hôte, l’Arabie Saoudite, que le cœur des pèlerins qui reviennent toujours autant malveillants que malfaisants, c’est-à-dire inhumains ?
Même le Ramadhan, les musulmans l’ont transformé en spectaculaire dîner de gala de trente jours. Trente jours durant, de la rupture du jeûne jusqu’à l’aube, c’est un festival de festin, de joyeuse bombance, un banquet ramadanesque gargantuesque. Une bacchanale islamique. Une orgie consumériste.
Or, normalement, le carême c’est la période d’abstinence marquée par un jeûne total, rompu par un repas frugal. Mais les musulmans contemporains l’ont transformé en repas de goinfres. En gloutonnerie.
De même, le carême est normalement un temps de dévotion à Dieu. Or, les musulmans l’ont transformé en dévotion à leur ventre. Durant le Ramadhan, ils n’investissent pas que les mosquées ; ils assiègent les magasins, dévalisent les rayons alimentaires des supermarchés. La pratique religieuse de beaucoup de musulmans contemporains n’est-elle plus qu’une outre vide ? En tout cas vide de spiritualité. Vide de sens. Aucun fond spirituel ni fondement religieux.
La religion musulmane salafisé est devenue un spectacle permanent joué en public par de piètres acteurs sociaux, par de mauvais interprètes de l’islam, par des hystériques histrions hors histoire. Ou plutôt par des figurants de la vie contemporaine, menant une existence spectrale.
«L’impie n’est pas celui qui nie les dieux de la foule. C’est celui qui adhère à l’idée que la foule se fait des dieux», disait Epicure. Pour le paraphraser, on pourrait dire que le mauvais musulman n’est pas celui qui fustige la foule islamique ignorante et hypocrite, mais celui qui adhère aux conceptions que cette foule se fait de la religion.
Si la religion, en l’espèce l’islam contemporain, n’est qu’apparence, reflétée sous la forme d’un assemblage de rites spectaculaires ostentatoires, de prescriptions segrégatives vexatoires, de proscriptions théologiques attentatoires, d’obligations vestimentaires discriminatoires, de pilosité faciale exhibitionniste obligatoire, en un mot, ne se révèle que par son extériorité, alors la religion n’a aucune intériorité. Elle est une coquille vide. Une religion gonflée comme une outre. Une religion bruyante comme un tonneau vide. Une religion tapageusement braillante de conflictualité, mais sûrement pas brillante de spiritualité.
Au reste, comme me l’a récemment déclaré un ami journaliste algérien : «Dieu a répudié les musulmans pour leur hypocrisie, mesquinerie, malhonnêteté, égoïsme. Regarde la carte du monde et tu constateras, hélas, que le progrès s’arrête là où commence le monde musulman.»
En effet, le monde musulman salafisé est devenu un champ de ruines morales et économiques, un immense cloaque où les gens, sinistres spectres anachroniques, sont réduits à mener une vie spectrale sur fond d’un islam spectacle.
K. M.
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