Pourquoi Abdelmadjid Tebboune sera encore président jusqu’en 2029
Une contribution de Hocine-Nasser Bouabsa – Entretenir le suspense jusqu’à la dernière minute. Bouteflika l’a déjà fait quatre fois avant lui. «Pourquoi Tebboune ne le ferait-il pas une fois ?» devraient penser les conseillers de ce dernier à propos de l’annonce de sa candidature aux élections présidentielles anticipées. «Vous voulez savoir si je me présenterai ? Alors je ne vais pas répondre. Avant l’heure, ce n’est pas l’heure», ainsi répondait, non sans une pointe ironique, Abdelmadjid Tebboune lors de l’interview accordée tout récemment à ALG24 News et au quotidien El-Moudjahid. Une réponse purement rhétorique pour englober de suspense un secret qui ne l’est pas. Car, sauf miracle divin ou empêchement majeur, Tebboune sera bien président de l’Algérie jusqu’à septembre 2029. Cette affirmation n’est pas le résultat d’une spéculation philosophique, mais celui de l’analyse d’une série d’événements, d’annonces de la Présidence et d’actions du Président. Explications.
Si Biden est candidat, pourquoi pas Tebboune ?
Joe Biden n’est-il pas âgé de 81 ans ? N’est-il pas un peu sénile ? N’est-il pas souvent flageolant ? Et pourtant, il est candidat à la présidence des Etats-Unis d’Amérique avec leur gigantesque arsenal atomique dont seul un président en possession de toutes ses facultés est supposé en avoir les commandes. Ce qui est valable pour l’unique superpuissance du monde devrait l’être davantage pour un pays en voie de développement, d’autant plus que, mentalement, le Président algérien se porte beaucoup mieux que l’Etatsunien. C’est probablement par ces contre-questions ou remarques que rétorquerait l’entourage de l’actuel locataire d’El-Mouradia, à celui qui oserait mentionner l’âge de Tebboune – il est âgé «seulement» de 78 ans – pour mettre en doute son aptitude à gouverner l’Algérie pendant encore cinq ans.
Cet entourage soulignerait certainement aussi sa «grande maîtrise intellectuelle», son «alacrité» et sa «capacité de jugement», comme l’a fait en 2015, à propos de Bouteflika, l’ex-président français, François Hollande qui, avec l’hypocrisie légendaire des apparatchiks de la secte énarque française, ajouta : «Il a toutes les capacités pour apporter sa sagesse et son jugement pour régler les crises du monde.»
Macron a voté Tebboune
La question de l’âge étant réglée, théoriquement, rien ni personne ne pourrait empêcher Tebboune – s’il le veut – d’être candidat à sa propre succession. Et, puisque qu’il le veut, il le sera. D’autant plus que son «ami» Macron l’attend «fin septembre, début octobre» à Paris. C’est ce qu’annonçaient, lundi 11 mars 2024, les services de communication d’El-Mouradia et de l’Elysée, à l’issue d’un entretien téléphonique entre les deux présidents. Par suite de cette annonce, beaucoup d’Algériens se sont posé la question sur l’opportunité d’une telle visite, trois mois avant les élections présidentielles, programmées auparavant en décembre.
Beaucoup de ceux qui croyaient à sa candidature ont rapidement soupçonné Tebboune d’arranger la visite à cette date pour signifier à l’opinion publique et à ses détracteurs que Macron lui apporte son soutien. Pis, qu’il se rendra en France dans le cadre du programme stratégique élaboré entre lui et le président français pour relancer les «Accords d’Alger», signés en août 2022. Ce qui supposerait que Macron ferait tout pour que ce programme stratégique ne soit pas torpillé par un éventuel nouveau président algérien. Macron aurait donc fait son choix. Et celui qui connaît les non-dits des Accords d’Evian et la répartition des rôles au sein des puissances impérialistes occidentales connaît le poids de ce choix.
Entorse à la Constitution
La situation créée par l’annonce de cette visite a dû provoquer des remous considérables à Alger. Pour calmer le jeu, l’entourage de Tebboune s’est vu contraint d’envisager, à un premier stade, de reporter les élections à l’an 2025, mais constatant les effets incertains et néfastes d’une telle démarche, a préféré, en fin de compte, les organiser précocement, en écourtant de trois mois le mandat présidentiel de cinq ans prévu dans l’article 88 de la Constitution votée le 1 novembre 2020. Certes, l’article 91 de cette Constitution concède au Président le droit d’organiser des élections anticipées, mais cette disposition n’est qu’une porte de secours, prévue pour les temps de crises. Or, l’Algérie n’est pas en temps de crise actuellement. De ce fait, la décision de Tebboune d’organiser des élections anticipées peut être taxée d’entorse constitutionnelle.
La présence des chefs des autres institutions (le Premier ministre, les chefs des deux chambres du Parlement, le chef d’état-major de l’ANP et le président de la Cour constitutionnelle) à la rencontre du 21 septembre qui entérina la décision rend cette entorse encore plus problématique, parce qu’elle a été actée collectivement. L’annonce est intervenue sans explication, ni justification, dans un bref communiqué daté du 21 septembre, indiquant qu’«il a été décidé la tenue d’une élection présidentielle anticipée, dont la date est fixée au samedi 7 septembre 2024». La preuve que la décision n’a pas été prise sur la base d’arguments objectifs et fiables est que ces raisons n’ont pas été publiées simultanément dans le même communiqué, laissant la porte grande ouverte aux spéculations. Les médias proches du pouvoir, dépourvus d’informations, ne trouvent pas mieux que d’évoquer des scénarios rocambolesques tels les risques de guerre auxquels ferait face l’Algérie à court terme.
Des arguments peu convaincants
Ce n’est que dix jours plus tard que l’explication officielle est venue par la voix du Président lui-même. Dans l’interview mentionnée ci-haut, il argumenta que la réduction de son mandat actuel de trois mois est une démarche purement technique, et rien de plus. Il évoqua alors le fait que dans l’histoire de l’Algérie, décembre n’a jamais été la période des élections présidentielles. Le fait qu’elles aient eu lieu la dernière fois le 12 décembre 2019 serait dû à la crise engendrée par le Hirak et la démission de Bouteflika. Le problème, dans son explication, est que ses conseillers l’ont induit en erreur, ou oublient un fait important dans l’histoire de l’Algérie, puisque Houari Boumediene a été élu président de la République le 10 décembre 1976 et tous les autres chefs d’Etat algériens – à l’exception de Ben Bella, élu le 15 septembre 1963 – furent élus en novembre ou en janvier. D’ailleurs, si cet argument était véritablement fiable, on n’aurait pas attendu jusqu’à mars 2024 pour annoncer la correction d’une telle «anomalie».
Calendrier macronien
L’argument technique ou celui de l’Algérie confrontée à une guerre immédiate – dans un tel cas, la législation d’exception permet d’annuler les élections – n’étant pas pertinents, il faut chercher ailleurs. La Présidence n’en ayant pas livré, il paraît pour l’auteur de cette contribution que la date du 7 septembre retenue pour l’organisation des élections présidentielles serait directement liée au calendrier de la visite à Paris. Cette visite étant programmée pour «fin septembre, début octobre». Tebboune se rendrait donc à Paris en Président réélu. Ceci empêcherait les «mauvais esprits» d’accuser Macron de s’immiscer dans les affaires internes de l’Algérie. Certains reprochent à Tebboune de prendre quelquefois des décisions spontanées et de chercher plus tard à «guérir» leur impact. C’est ce qui est probablement arrivé le 11 mars, lorsqu’il accepta l’invitation de Macron, connu pour ses grands dons en manipulation.
Conclusion
La visite de Tebboune à Paris est programmée comme un événement acquis, comme il est acquis qu’il sera Président fin septembre. La volonté et le choix électoraux des Algériens ne semblent pas avoir leur importance. La décision d’organiser des élections anticipées n’est pas dans l’intérêt de l’Algérie. Tout comme une visite mal préparée à Paris. Une telle visite pourrait être bénéfique à notre pays. Mais seulement avec de solides garanties. Or, Macron n’est ni De Gaulle, ni Giscard, ni Mitterrand, ni Chirac. Il est plutôt du calibre de Sarkozy et de Hollande. C’est-à-dire un président parachuté et sponsorisé. Ses mentors ne soutiendront, voire ne laisseront jamais en paix une Algérie indépendante, pro-palestinienne et pro-sahraouie. Macron est sous pression. Il doit livrer, mais ne peut pas. Il harcèle donc, lorsqu’il peut et là où il peut. Mais il n’est que la partie visible de l’iceberg. En effet, derrière lui, c’est tout l’Etat profond français qui s’active à museler les institutions algériennes, grâce aux mécanismes et aux moyens de pression et de lobbying qu’il a développés, avant et après l’indépendance.
On l’a vu pendant les préparatifs de la visite de Macron à Alger, en août 2022. On le voit aujourd’hui avec sa stratégie de récupération. Entre autres, en jouant sur les sentiments patriotiques des Algériens de la diaspora, qu’on essaye d’instrumentaliser et de structurer dans des organes fabriqués. Tel le nouveau CMDA – Conseil mondial de la diaspora algérienne – présidé par un ancien député européen connu pour sa proximité avec la macronie, qui s’appelle Karim Zéribi et qui, selon Wikipédia, fut condamné en 2021 par la justice à 3 ans de prison avec sursis, une privation de ses droits civils pendant 5 ans et une interdiction de gérer sur la même période. En dehors de cet aspect moral accablant, il est signifiant de mentionner qu’il est aussi chroniqueur de CNews, la chaîne de télévision connue pour sa ligne éditoriale proche de l’extrême-droite et appartenant à l’oligarque Vincent Bolloré.
Ignorer l’anti-algérianisme profond, ancré au sein du cercle décideur de l’establishment et de l’Etat profond français, ainsi que leur soif chronique de revanche et leur désir ardent de resoumettre notre pays, c’est commettre une grave erreur envers la mémoire des millions de martyrs et envers la nation algérienne. Les actions cosmétiques alibi, comme la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français pendant les massacres commis contre des Algériens à Paris en 1961 par la police de Papon, votée tout récemment par le Parlement français, ne sont que de la poudre aux yeux qu’il faut protéger, sinon on perdra et la vue et la raison.
H.-N. B.
P.-S. : L’objectif de l’auteur n’est ni de gêner le Président ni de s’opposer à sa candidature. Il souhaite, en revanche, d’une part, que notre pays renoue avec l’approche de Boumediene qui voulait bâtir des institutions fiables et pérennes qui survivent aux hommes et, d’autre part, attirer l’attention sur les dangers qui guettent la nation algérienne, entre autres, en raison de la politique extérieure ambivalente vis-à-vis de l’ex-occupant, depuis plus de quarante ans.
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