Par-delà complotisme et sionisme : être humaniste aujourd’hui
Une contribution de Julie Jauffrineau – Qui ne voudrait pas se proclamer humaniste ? Et qui ne jure pas de l’être ? Mais qu’est-ce que l’humanisme ? Cette valeur, a priori universelle, devrait s’appliquer à tous, en vue de l’épanouissement de chacun, en France ou ailleurs. Un vrai défi à mettre en œuvre. Comment préserver ses intérêts tout en respectant les volontés propres de chaque peuple ? Il est intéressant de questionner l’humanisme dans les sphères politique et médiatique actuelles en France.
Avec son slogan de campagne : «Avec Raphaël Glucksmann, osez l’humanisme !» pour les élections européennes de 2024, Raphaël Glucksmann constitue un cas d’étude intéressant. Osons justement sonder l’humanisme de cet homme. On le sait investi pour la reconnaissance du génocide tutsi au Rwanda, l’environnement, le féminisme, mais on connaît aussi ses positions antirusses. Se disant totalement dévoué à la cause ukrainienne, il est favorable à l’entrée en guerre de la France pour combattre la Russie. Pourtant, ses discours sur ce dernier point soulèvent un conflit d’intérêt au vu de son implication dans le conflit russo-ukrainien depuis la racine. Il était présent en 2014 en Ukraine lors de la révolution de Maïdan.
Quant à son ex-femme, Eka Zgouladze, avec qui il était encore en 2014, ex-vice-ministre de l’Intérieur en Géorgie, elle a obtenu la nationalité ukrainienne au lendemain de Maïdan et est devenue ministre en Ukraine. Ainsi, sa façon de défendre les Ukrainiens pose question étant donné sa contribution au clivage de la société ukrainienne et au regard du nombre de morts établis aujourd’hui en Ukraine, suite à la guerre civile et à la guerre avec la Russie. Est-ce une erreur de calcul ?
Par ailleurs, ses discours semblent un peu dépassés lorsqu’il promeut la guerre à des fins de montrer que notre démocratie est forte : un éloge du muscle, quand bien même la force peut s’exprimer de bien d’autres façons. Justement, l’intérêt d’une force diplomatique reste aux abonnées absentes de ses discours, abandonnée au profit du bellicisme. La diplomatie serait une forme de soumission au tyran, à Poutine, selon lui. «La guerre que mènent (les Russes), ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, c’est une guerre contre ce qu’ils appellent l’Occident collectif, c’est-à-dire contre nous», a affirmé Glucksmann sur BFMTV, chef de file des médias de grand chemin français.
Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux de Meyer Habib concernant le conflit israélo-palestinien : «Cette guerre est une guerre contre notre civilisation, une guerre entre la civilisation et la barbarie !» Au travers de ces paroles, Meyer Habib légitime le massacre des Palestiniens, appelle au génocide, de même que le fait ce soutien de Glucksmann, Carole Delga, lorsqu’elle affirme qu’il faut interdire toute manifestation pro-palestinienne en France. Mais pour en revenir aux mots de Glucksmann, qui est ce «nous» ? L’Occident collectif, est-ce la France ou est-ce l’OTAN, dirigée par les Etats-Unis, qui s’expand à l’est malgré les promesses historiques, et menace l’intégrité des frontières de la Russie ?
Si nous ne voyons aucun affront envers la Russie dans l’expansion de l’OTAN, on peut pour autant comprendre que la Russie y puisse voir, elle, une véritable menace. Or, être humaniste, c’est aussi être en mesure de se mettre à la place de l’autre pour comprendre et diagnostiquer ses préoccupations. Dès lors, il est possible de trouver des compromis, acceptables pour chacune des parties, pour mener à la désescalade des conflits. Car qui meurt dans les guerres ? Sont-ce les dirigeants ou les peuples ?
Glucksmann comme Habib, plus que d’être sensibles au sort des peuples, fonctionnent au travers d’une logique opposant le bien et le mal. Le bien étant représenté par les Etats-Unis et leurs affiliés tels l’UE et Israël ; et le mal, ceux qui s’opposent à l’impérialisme et au sionisme. Ils recourent à l’argument de la peur pour notre civilisation pour justifier un discours guerrier. Ce n’est pourtant pas tant à la France que profiterait une victoire sur la Russie, son voisin, mais bien à son allié, les Etats-Unis. D’ailleurs, si Glucksmann montre son attachement à protéger les intérêts de la France et des Français sur le plan économique au travers de la guerre, pour autant, depuis 2014, on a vu l’économie française s’effondrer en raison des sanctions économiques appliquées à la Russie, suivant les directives de Washington.
Ce qui est regrettable aujourd’hui est cependant de voir s’étendre la vision d’un monde manichéen dans les médias mainstream. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les discours restent sensiblement les mêmes en ce qui concerne la politique internationale. Toute démocratie non libérale est jugée dictatoriale. L’opposant devient l’ennemi diabolique, et l’information est manipulée afin de distordre la vérité. Les médias mainstream nous nourrissent à coups d’intox et d’infox : Poutine a le cancer, il est fou, agit sur un coup de tête, la Russie peine à concevoir ses armes et achète des machines à laver pour en récupérer les puces… Voilà quelques exemples de mensonges médiatiques, pour ne parler que du conflit russo-ukrainien.
La guerre d’Israël contre les Palestiniens en aura révélé de plus néfastes. Finalement, ces médias agissent telle une armée, comme un corps uni, où toute information du «camp du bien» est de prime abord fait avéré, quand toute parole venant questionner l’information donnée est appelée complotisme, antisionisme ou antisémitisme. La censure de la pensée est devenue reine en pays démocratique, comme objet de pouvoir.
Mais qu’est-ce que le complotisme ? Si cela constitue historiquement une entreprise formée secrètement entre plusieurs personnes contre la sûreté de l’Etat, son sens a aujourd’hui été dévoyé. Ce simple mot permet de décrédibiliser tout ce qui récuse la version officielle d’un événement, imposée par les gouvernements et les médias mainstream, c’est-à-dire le questionnement. Le doute est le commencement de la sagesse, disait pourtant Aristote. Et si la souveraineté appartient au peuple dans notre société, le peuple n’a-t-il, lui-même, pas le droit et le devoir de questionner l’information transmise, de comparer les sources ? Or, ces sources peinent à être diversifiées en France.
On l’a vu pendant la période Covid avec l’intervention systématique des mêmes spécialistes à l’écran, quand bien même d’autres experts pouvaient tenir un avis distinct. Les médias mainstream n’ont pas confiance en notre jugement critique et analyse de l’information. C’est ainsi qu’ils nous imposent les leurs, sous couvert de liberté d’expression. Ils font appel à des opposants pour intervenir contre quatre autres acquis à la cause, dans les débats. Et lorsqu’ils interviewent quelque indocile en tête-à-tête, c’est en vue de lui faire passer un interrogatoire, comme le démontre Apolline de Malherbe, notamment avec de Villepin.
Mais au-delà de la censure de l’information, il y a aussi la censure du mot. Pourquoi dire «sionisme» vous accorde-t-il l’étiquette d’«antisémite» ? Les médias mainstream tendent à assimiler l’antisémitisme à l’antisionisme, quand le judaïsme est une religion, et le sionisme une idéologie. L’un appartient à la sphère privée et constitue l’expression d’une foi, d’une culture ; l’autre, comme doctrine suprématiste et colonisatrice, empiète sur la liberté d’autrui.
D’autres mots fondamentaux sont, au contraire, oubliés des médias mainstream et des politiques occidentaux. Le «droit international» a été abandonné au profit de «l’ordre fondé sur des règles» (RBO). Quelles sont ces règles ? Nul ne le sait. L’ensemble de la communauté internationale a pourtant collaboré pour mettre en place un certain nombre de règles, ratifiées par chacun des acteurs étatiques, consignées à l’ONU, réunies sous le nom de «droit international» afin de préserver les intérêts fondamentaux de tous en vue de la paix mondiale. Quel est l’intérêt à ne pas vouloir s’y soumettre ?
Ces phénomènes sont les marqueurs d’une volonté de l’Occident collectif de ne plus fonctionner que suivant ses propres règles, suivant un jugement unilatéral, faisant fi des intérêts d’autrui. Cette pratique semble loin de respecter les droits de l’Homme, pourtant si précieusement défendus lorsqu’il faut engager la population à s’opposer à une autre puissance, au risque de sa vie.
Où en est l’humanisme aujourd’hui ?
La question reste en suspens au regard des traités proposés par la Russie avant son entrée en guerre contre l’Ukraine et qui n’ont obtenu aucune réponse de la part des Etats-Unis. Le rejet américain de négocier montre une volonté d’intransigeance absolue, éloignée de toute valeur démocratique et diplomatique.
La question reste en suspens face à la situation en Palestine. On observe avec tristesse et ironie comment les sociétés occidentales larguent de l’aide humanitaire au peuple gazaoui affamé tout en envoyant des armes à Israël.
La question reste en suspens au vu du déploiement de l’armée française au Mali pendant dix ans pour lutter contre le terrorisme. Pourtant, le terrorisme n’est arrivé qu’après la chute de Kadhafi, fomentée par l’Occident, et n’aura fait que prendre de l’ampleur depuis lors.
La question reste en suspens face à l’invisibilisation politico-médiatique du massacre au Congo de plus de six millions de civils par le M23, mouvement terroriste tutsi soutenu par le Rwanda. Pourquoi ce silence ? Quels sont les intérêts cachés que détient cette région du nord-est du Congo ?
On pense militer pour la paix dans le monde et en faveur de l’humanisme. Mais est-ce humaniste d’altérer la vérité ? D’armer les génocides ? D’ignorer l’histoire, la culture et les préoccupations des peuples ? Est-ce humanisme ou est-ce impérialisme que de s’opposer aux décisions de pays souverains, comme en Afrique ?
L’humanisme commence là où cesse le jugement et débute la coopération.
J. J.
Article paru également dans Lemediaen442
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