Solidarité avec l’historien israélien Ilan Pappé interpellé aux Etats-Unis
Nous republions l’interview qu’Ilan Pappé a accordée à notre site en novembre 2023, en solidarité avec cet académicien israélien retenu et interrogé par le FBI à son arrivée à Détroit, aux Etats-Unis, pour son opposition aux crimes commis par l’entité sioniste. L’historien israélien exilé en Grande-Bretagne est critiqué dans son pays pour avoir déclaré, en 2007, soutenir la résistance du Hamas à l’occupation israélienne, bien qu’il soit opposé à son idéologie. En 2008, il publie un article dans lequel il affirme que l’Etat d’Israël commet un génocide à Gaza et un nettoyage ethnique en Cisjordanie. L’auteur d’Une terre pour deux peuples a bien voulu nous accorder une interview sur ce qu’il se passe à Gaza actuellement. Il répond à nos questions avec son honnêteté intellectuelle et son courage politique habituels.
AP
Algeriepatriotique : Cela fait plus d’un mois que les massacres se poursuivent à Gaza, sans que la communauté internationale ait pu les arrêter. Comment expliquer cette impunité d’Israël ?
Ilan Pappé : Ce n’est pas nouveau. Les gouvernements des pays du Nord ont toujours accordé à Israël une immunité exceptionnelle. Dans le cas de l’Europe, il s’agit d’un mélange d’islamophobie, de culpabilité, d’incapacité à gérer l’antisémitisme dans le cadre d’un racisme général au sein de l’Europe elle-même, et d’intérêts militaires et sécuritaires. Dans le cas des Etats-Unis, vous pouvez ajouter deux autres facteurs : un lobby sioniste, considérant Israël comme un accomplissement divin, et un lobby juif acharné.
Le directeur de la CIA s’est déplacé à Tel-Aviv où il a des discussions avec son homologue du Mossad. Les Etats-Unis auraient-ils pu forcer Israël à arrêter son offensive meurtrière à Gaza ? Si oui, pourquoi, au contraire, incitent-ils le gouvernement israélien à poursuivre ses crimes de guerre ?
Oui, ils le peuvent, mais l’administration sait que le Congrès est du côté d’Israël et que Biden pense aux prochaines élections. La seule chose qui pourrait pousser les Etats-Unis à agir est la crainte d’une guerre régionale, dont ils ne veulent pas.
Plus de 120 pays ont voté à l’ONU pour une résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat. Israël est passé outre ce vote bien qu’il soit majoritaire. L’ONU est, de ce fait, complètement discréditée. Cette organisation a-t-elle encore une raison d’être, selon vous ?
Tant que nous ne trouverons pas de substitut, nous en aurons toujours besoin. Mais nous devons redoubler d’efforts pour trouver un cadre différent pour un organisme international impartial représentant les nations et non les gouvernements, comme l’ONU avait initialement promis de le faire.
Des ONG internationales ont confirmé l’usage par Israël d’armes prohibées, notamment le phosphore blanc. Or, des images qui datent de ce dimanche 6 novembre montrent que cette arme chimique est toujours utilisée par l’armée israélienne. Qui peut arrêter la furie meurtrière de l’Etat hébreu, l’ONU étant devenue obsolète ?
Seuls les gouvernements internationaux et régionaux, et ils ne le feront pas sans la pression de leur société civile. Mais nous devons agir rapidement car chaque jour nous rapproche d’une catastrophe encore plus grave.
Les analystes doutaient, au début de la guerre, de l’intention d’Israël d’effectuer une incursion terrestre à Gaza, au regard des menaces que cela représente sur les civils, déjà martyrisés par les raids aériens, et les 240 otages israéliens et étrangers. Comment expliquer cette prise de risque ?
Je ne sais pas à quels analystes vous faites référence, mais il était clair pour nous, en Israël, qu’il y aurait une invasion terrestre après que 1 200 personnes, pour la plupart des civils, ont été tuées, la plupart de manière brutale, et que des citoyens, y compris des bébés et des personnes âgées, sont devenus des otages. Non seulement il était clair qu’une invasion était imminente, mais, en plus, une réaction de vengeance très cruelle et barbare était très clairement anticipée.
Israël semble avoir un plan qui vise à faire durer le conflit, bien qu’il soit quasiment impossible d’éradiquer le Hamas. Quel est le but inavoué de Netanyahou, son gouvernement et ses chefs de guerre ?
Cela dépend de qui vous parlez. Netanyahou veut une guerre longue, parce qu’il a peur de ce qui lui arrivera politiquement après la guerre. Les colons du gouvernement veulent procéder à un nettoyage ethnique de tous les Palestiniens du secteur de Gaza et de la zone C en Cisjordanie et les annexer à Israël. Les autres membres voulaient annexer une petite partie de la bande de Gaza et amener l’autorité palestinienne à diriger Gaza.
D’aucuns affirment que les pays arabes adoptent une attitude hypocrite et qu’ils rejoignent Israël dans sa volonté d’éliminer le Hamas. Comment qualifieriez-vous la position de ces pays qui dénoncent mais qui, au fond, laissent faire ?
Il est très clair que certains régimes arabes considèrent que la normalisation avec Israël, même dans le cas des Palestiniens, constitue un pont vers les Etats-Unis. Certains d’entre eux s’inquiètent également du sort de l’Iran. Mais leurs sociétés n’acceptent pas ces politiques, nous verrons donc s’ils continuent à mettre en œuvre des politiques auxquelles leurs sociétés s’opposent.
Des pays comme l’Iran (parrain du Hezbollah) ou la Turquie (parrain du Hamas) peuvent-ils entrer en action, selon vous ?
La Turquie, certainement pas. Quant à l’Iran, cela dépend. Il le fera s’il est attaqué en premier par Israël.
Que changera cette guerre asymétrique qui a cours au Proche-Orient actuellement ?
Malheureusement, la Palestine continuera à être colonisée, les élites politiques occidentales continueront à garantir l’immunité à Israël et leurs sociétés continueront à soutenir les Palestiniens.
Interview réalisée par Karim B. et Mohamed El-Ghazi
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