Exclusif – Yves Bonnet : «Une visite de Tebboune à Paris est très importante»
L’ancien patron du renseignement intérieur français [ex-DST] relève que la perte d’autorité de l’Etat en France «résulte d’une lente dérive sur plusieurs dizaines d’années». Sur Gabriel Attal, Yves Bonnet n’est pas convaincu qu’«un apparatchik sans expérience totalement asservi à son chef soit l’homme de la situation». S’agissant des relations algéro-françaises, l’ancien député estime qu’«il est très important que le président Tebboune soit reçu à Paris» et que «tout doit être mis en œuvre pour que sa visite soit le point de départ d’un retour de confiance». Interview.
Algeriepatriotique : Meurtres barbares, jet de grenade en plein Paris, règlements de comptes à la Kalachnikov. La situation semble échapper à tout contrôle. Où va la France ?
Yves Bonnet : La perte d’autorité de l’Etat résulte d’une lente dérive – sur plusieurs dizaines d’années – accélérée en mai 1968 et à laquelle tous les gouvernements ont plus ou moins participé. C’est évidemment un problème de volonté politique structurel qui nécessite certains retours en arrière comme le rétablissement d’un service militaire – il ne faut pas avoir peur des mots –, le retour à une sélection scolaire et universitaire par le mérite, l’abandon des dérives sociétales autour du sexe, une politique nataliste.
Qu’est-ce qui explique cette éruption de violence sans précédent en France ?
La France est confrontée à deux problèmes qui sont autant d’agressions insidieuses : sans verser dans le chauvinisme, force est de constater que l’immigration subie en provenance de l’Afrique subsaharienne, du Proche-Orient et d’Afghanistan, c’est-à-dire de pays dans lesquels la France a voulu s’impliquer de façon inconsidérée, joue un rôle déstabilisateur de nos villes. D’autre part, la montée de la consommation de la drogue représente un danger sociétal venu initialement des couches les plus riches de la population et qui se popularise. La réponse doit, par conséquent, pénaliser fortement la consommation de drogue. Là encore, l’autorité de l’Etat est requise impérativement
L’intensité des émeutes qui secouent la Kanaky-Nouvelle-Calédonie a surpris les observateurs les plus avertis. Quelle analyse en faites-vous ?
Le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie s’explique par un passé plus récent, largement attisé par des pays voisins – Australie, Nouvelle-Zélande, Chine – et qui exige l’affirmation de l’appartenance de cette île à la République française comme préalable à une reprise en mains dont la France a des moyens. Plutôt que de prétendre s’impliquer dans le conflit russo-ukrainien et, d’une manière générale, dans les affaires du monde, la France doit se reprendre pour préserver son unité, inscrite dans sa Constitution.
Le choix de Gabriel Attal comme Premier ministre dans ce contexte complexe vous a-t-il semblé judicieux ?
Je ne pense pas qu’un apparatchik sans expérience, quelles que soient ses qualités, totalement asservi à son «chef», soit l’homme de la situation. Un politique chevronné comme l’est François Bayrou aurait été un meilleur choix.
Un limogeage du Premier ministre ou une présidentielle anticipée vous semblent-ils envisageables au cas où la situation se dégraderait davantage ?
La volonté d’Emmanuel Macron de se maintenir au pouvoir et ses ambitions vraisemblables quant à la présidence de l’Europe excluent toute dissolution de l’Assemblée [Parlement], a fortiori toute démission du président, qui est, dans notre Constitution, maître du jeu.
La visite du président Tebboune en France a été reportée plus d’une fois, mais il semble qu’elle soit maintenue. Pensez-vous que les conditions sont réunies pour une visite d’Etat du président algérien à Paris ?
Il est très important que le président Tebboune soit reçu à Paris et que tout doit être mis en œuvre pour que sa visite soit le point de départ d’un retour de confiance. L’amitié sera pour plus tard mais n’est pas moins nécessaire aux deux pays
La commission mixte créée par les présidents Tebboune et Macron pour la réécriture de l’histoire de la Guerre d’Algérie jouera-t-elle un rôle de catalyseur dans les relations entre les deux pays ? Réussira-t-elle à solder le contentieux mémoriel, selon vous ?
C’est effectivement une bonne idée que de vouloir une réécriture de l’histoire de nos deux pays. Mais faut-il une commission pour cela ? Ne vaut-il pas mieux laisser s’exprimer les historiens de tous bords ? J’en parle savamment quand je constate que mon livre sur les moines de Tibhirine, qui présente le contexte politique de l’époque de la grande crise des années 1990 a été purement et simplement interdit – et sournoisement – de publication (Le berger de Touggourt, édité à Alger). Aussi longtemps que l’Algérie en restera à la pratique de la censure, il restera impossible de traiter au fond et en toute amitié de notre héritage et de notre destin communs.
Interview réalisée par Karim B.
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