Dr Gerald Horne : «Les Etats-Unis ont été construits sur un mensonge»
Mohsen Abdelmoumen : Votre livre plus qu’intéressant The Apocalypse of Settler Colonialism nous offre des clés de compréhension de ce qu’est le colonialisme de peuplement, dont l’Algérie a beaucoup souffert avec le colonialisme français. Quelles sont les raisons objectives qui ont fait que les Etats-Unis sont nés à partir de la suprématie blanche, l’esclavage et le capitalisme ? Peut-on dire que les Etats-Unis sont une démocratie ?
Dr Gerald Horne : Cela dépend de la définition que l’on donne à la démocratie. Il existe certainement une «règle d’or» aux Etats-Unis : celui qui a l’or fait les règles, ce qui n’est pas exactement ce qui a été transmis dans les textes chrétiens. A un moment donné, l’Angleterre protestante a cherché à participer au festin colonial en prenant à contre-pied l’Espagne qui avait limité les colonisateurs aux catholiques. Londres, l’outsider combatif, a élargi cette classe privilégiée aux Européens de diverses origines sous la bannière de la «blancheur», ce qui a facilité l’asservissement massif des Africains, permettant ainsi l’essor du capitalisme.
Vous avez écrit he Counter Revolution of 1836: Texas Slavery & Jim Crow and the Roots of American Fascism. Dans ce livre, vous avez étudié le fascisme au Texas. Néanmoins, on remarque un retour en force des mouvements fascistes et d’extrême-droite en Europe et aux Etats-Unis. D’après vous, quelles en sont les raisons ?
Cela s’explique en partie par le fait que les Etats-Unis et leurs alliés étaient beaucoup trop experts dans la déstabilisation des syndicats et des diverses formations de la classe ouvrière, en particulier de la gauche, ce qui a permis la montée de la droite, comme dans un mouvement de balancier.
Avec l’offensive néolibérale, la régression sociale et l’absence de syndicats combatifs que nous vivons aujourd’hui, comment d’après vous peut-on construire un grand mouvement ouvrier qui défende les intérêts de la classe laborieuse ?
Il n’y a pas d’alternative à la lutte, y compris à travers les frontières et les continents.
Dans votre livre The Counter-Revolution of 1776: Slave Resistance and the Origins of the United States of America, vous démystifiez totalement l’histoire des Etats-Unis. D’après vous, les Etats-Unis ne sont-ils pas le fruit d’un mensonge historique ?
Absolument, oui ! 1776 n’avait pas pour but d’inclure les Africains et les Indigènes, alors oui, les Etats-Unis ont été construits sur un mensonge.
Peut-on parler de concepts, tels que «démocratie» dans des pays comme les Etats-Unis, construits sur le capitalisme, l’esclavage, la colonisation et le fascisme ? Les Etats-Unis ne sont-ils pas un pays fasciste ?
Les Etats-Unis ne sont pas fascistes – du moins pas encore. Les tendances vers le fascisme aux Etats-Unis sont évidentes : la violence politique ; la collaboration de classe impliquant des travailleurs alignés sur les élites ; le racisme et la misogynie qui s’aggravent.
Vos ouvrages nous poussent à relire Frantz Fanon. En effet, Frantz Fanon n’est-il pas une clé majeure pour la compréhension de vos idées révolutionnaires ? La résistance à l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, ne nécessite-t-elle pas de lire Fanon et de s’inspirer entre autres de la lutte du peuple algérien qui s’est libéré du colonialisme français au prix de grands sacrifices ? Que reste-t-il du mouvement panafricain ?
Fanon est essentiel et joue un rôle majeur dans mon livre qui sera publié en juin, sous le titre Armed Struggle ? (La lutte armée ?).
Vous avez écrit sur le conflit en Ukraine en imputant à l’OTAN et aux Etats-Unis la responsabilité de ce conflit. Les germes de ce conflit ne se trouvent-ils pas dans la dislocation de l’Union soviétique ?
Absolument. L’effondrement de l’URSS a faussé la corrélation des forces au niveau mondial et a indûment enhardi l’OTAN, mais pour en arriver là, l’impérialisme américain a conclu un accord avec la Chine, ce qui a conduit à la crise actuelle.
Le peuple palestinien subit un génocide de la part d’Israël soutenu par les Etats-Unis. A votre avis, quel sera l’impact de cette guerre sur les prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, sachant qu’on assiste à un grand mouvement de protestation estudiantine contre ce génocide dans de nombreuses universités américaines ?
L’impact de ce mouvement ne s’est pas encore manifesté en termes d’élections présidentielles. On peut supposer que Biden sera affaibli, mais on ne sait pas si cela profitera à Trump.
Interview réalisée par M. A.
Qui est Gerald Horne ?
Le Dr Gerald Horne est un historien américain, professeur d’histoire et d’études afro-américaines à l’Université de Houston au Texas. Ses recherches portent sur les questions de racisme dans divers domaines impliquant le travail, la politique, les droits civiques, les relations internationales et la guerre. Il a également beaucoup écrit sur l’industrie cinématographique. Les cours de premier cycle du Dr Horne portent sur le mouvement des droits civiques et l’histoire des Etats-Unis à travers le cinéma. Il donne également des cours d’histoire diplomatique, d’histoire du travail et d’histoire afro-américaine du XXe siècle. Le Dr Horne utilise une variété de techniques d’enseignement qui enrichissent ses cours et motivent les étudiants à participer.
Le Dr Horne est l’auteur de plus de trente livres et d’une centaine d’articles et de critiques scientifiques. Il écrit sur des sujets qu’il perçoit comme des luttes déformées pour la justice, en particulier, les luttes communistes et les luttes contre l’impérialisme, le colonialisme, le fascisme, le racisme et la suprématie blanche.
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