Kaylia Nemour ou quand la France brise les carrières des Français musulmans
Une contribution de Khider Mesloub – S’il fallait une preuve pour démontrer que la France est un pays de «dresseurs» de barrières et de briseurs de carrière pour les jeunes issus de l’immigration arabo-musulmane, elle nous est fournie par l’exemple de la gymnaste franco-algérienne Kaylia Nemour, considérée dorénavant comme l’une des meilleures gymnastes de sa génération aux barres asymétriques, après avoir décroché la médaille d’or aux Jeux olympiques d’été de 2024 sous le drapeau algérien.
Kaylia a failli renoncer à sa carrière de sportive de haut niveau, et donc à sa précoce consécration internationale en gymnastique, sous l’instigation de la Fédération française de gymnastique qui lui avait interdit de poursuivre sa carrière pour «inaptitude médicale».
En effet, à la suite d’une double opération aux genoux pour traiter une ostéochondrite, suivie de huit mois de rééducation, malgré une autorisation de reprise sportive par son chirurgien, elle se voit, curieusement, interdire de poursuivre sa carrière par le médecin de la Fédération française de gymnastique en mars 2022.
S’ensuit un long combat sportif pour peaufiner sa préparation en vue de remonter rapidement sur les podiums. Et une longue bataille judiciaire contre la Fédération française de gymnastique pour obtenir son agrément afin de concourir dorénavant pour l’Algérie. La Fédération française de gymnastique, pour barrer la voie professionnelle sportive et, donc briser la carrière de l’athlète franco-algérienne, n’a pas hésité à monter une cabale contre les entraîneurs du club d’Avoine-Beaumont en leur intentant un procès pour «mise en danger d’autrui» et «suspicion d’emprise générale» (une procédure judiciaire pour laquelle les deux entraîneurs seront blanchis quelques mois plus tard).
Pour rappel, Kaylia Nemour est née d’un père algérien, Jamel Nemour, et de son épouse Stéphanie, présidente du club d’Avoine Beaumont Gymnastique. Sa double nationalité sauvera sa carrière. Autrement dit, sa nationalité algérienne lui aura permis de poursuivre sa carrière de gymnaste.
Dans un article consacré à la championne algérienne, le journal américain The New York Times a parfaitement résumé l’issue honorable de la gymnaste : «Une âpre lutte avec la Fédération française de gymnastique menaçait les espoirs olympiques de Kaylia Nemour. La double nationalité lui a offert une issue.» Effectivement, l’Algérie lui a ouvert les portes qu’on lui a fermées en France. Lui a permis de relancer sa prometteuse et brillante carrière de gymnaste.
Combien de Kaylia Nemour subissent le même sort discriminatoire en France ? Des Franco-algériens ou des immigrés algériens à la carrière brisée du fait des multiples barrières ségrégationnistes érigées sur leur parcours professionnel ? Pour nombre de ces compétences, l’embauche dans une entreprise française se révèle souvent semer d’embûches.
En France, le «plafond de verre» bloquant l’ascension sociale des personnes issues de l’immigration maghrébine est outrancièrement visible. Pour la majorité des jeunes «beurs», l’ascenseur de l’ascension sociale est en permanence en panne.
Selon plusieurs études, l’accès à l’encadrement et le risque de chômage varient de manière significative selon l’origine ethnique et l’obédience confessionnelle des personnes. Les jeunes issus de l’immigration arabo-musulmane accèdent rarement à des postes d’encadrement. Quand certains décrochent un emploi de cadre, c’est souvent pour être cantonnés à remplir des fonctions subalternes.
Cette réalité de la discrimination professionnelle et de la privation d’ascension sociale frappant les Français issus de l’immigration arabo-musulmane vient d’être corroborée par un livre paru ce printemps.
Coécrit par trois chercheurs, Alice Picard, Olivier Esteve et Julien Talpin, ce livre, La France, tu l’aimes mais tu la quittes (clin d’œil au slogan du Front national «La France tu l’aimes ou tu la quittes») décrit la situation de la population française de confession musulmane, diplômée, ayant choisi l’expatriation pour fuir les discriminations subies en France.
Cette enquête sociologique s’est appuyée sur un échantillon de plus de 1 000 personnes et sur 140 entretiens approfondis. L’ouvrage révèle les effets délétères de l’islamophobie qui sévit en France. Cette islamophobie constitue une exception française.
Selon les auteurs du livre, les Français de confession musulmane, pratiquants ou non, peinent à s’insérer professionnellement en France malgré des parcours universitaires accomplis (54% des sondés ont un bac+5). Victimes de discriminations en raison de leur nom, leur apparence ou leur religion, les personnes interrogées témoignent d’un racisme institutionnel devenu insupportable au point de choisir l’exil.
Elles sont lasses de devoir donner, plus que les autres, des preuves d’allégeance à la République et à la laïcité. Pour ces jeunes Français musulmans, le «plafond de verre», qui bloque l’ascension sociale, se fait de plus en plus pesant et présent. Et les pratiques discriminatoires, récurrentes, croissantes.
Ces Français de confession musulmane, pourtant hautement qualifiés, sont acculés à l’expatriation à cause du caractère profondément discriminant du marché de l’emploi, une discrimination professionnelle induite par leur origine ethnique, mais surtout par leur confession musulmane.
Selon Alice Picard, chercheuse et coauteure de l’étude, ce phénomène peut être qualifié d’«islamophobie d’atmosphère». Pour Alice Picard il existe en France un racisme anti-arabe, alimenté par l’idée selon laquelle «cette minorité devrait demeurer à sa place». Elle observe également que les discriminations semblent s’intensifier lorsque les Français musulmans accèdent à des positions sociales plus élevées.
Tout se passe comme si, plus les Français musulmans s’intègrent, s’inscrivent dans les cursus universitaires, plus les «Français de souche» les ostracisent, anathématisent. Par jalousie ? Par crainte de la «concurrence musulmane» ? Ou, tout simplement, du fait du racisme atavique inhérent à la France, par refus d’être placés au même niveau social supérieur que les Arabes, d’être dirigés par un musulman ? Ces Français musulmans subissent une discrimination systémique et systématique.
Tous les témoignages convergent vers le même constat. Ces Français musulmans témoignent de la discrimination dont ils font l’objet sur le marché de l’emploi, de la stigmatisation en raison de leur religion, de leurs noms ou de leurs origines. Autant de freins à leur ascension sociale.
«En France, j’ai envoyé 70 CV, personne ne m’a répondu. J’ai passé la frontière au Luxembourg, j’ai déposé 3 CV, et j’ai eu 3 entretiens», témoigne dans le livre un Français musulman, aujourd’hui directeur financier à l’étranger.
Ce qui ressort des témoignages de ces Français musulmans rapportés dans le livre, c’est que, en tant que techniciens, cadres, ingénieurs ou médecins, ils prennent véritablement l’ascenseur social uniquement une fois partis à l’étranger. «Ils y trouvent aussi le droit à l’indifférence qui leur permet de se sentir simplement Français», écrivent les auteurs dans leur enquête sociologique.
Ce qui ressort également de cette étude, c’est que la plupart de ces Français musulmans expatriés, leur exil à l’étranger ne sera pas suivi d’un retour définitif en France. Installés dorénavant au Royaume-Uni, au Canada, aux Etats-Unis, à Dubaï ou au Maghreb, ces Français musulmans ne souhaitent plus vivre en France.
IIs semblent s’écrier : «Ya latif ! L’harba t’ssalak !»
K. M.
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