Les fondements moraux des systèmes politiques : le contexte algérien

Hirak théories politiques
Le Hirak a marqué un désir profond de réformes démocratiques. D. R.

Une contribution de Khaled Boulaziz – «La vérité est de ce monde ; elle est produite grâce à de multiples contraintes. Et elle induit des effets réglés de pouvoir. Chacun de nous en est à la fois le sujet et l’objet.» (Michel Foucault, philosophe français.) Le cadre théorique élaboré par diverses théories politiques offre une analyse approfondie des bases éthiques et des justifications de l’autorité politique. En plongeant dans les principes de l’utilitarisme, du marxisme, de la théorie du contrat social, de la théorie démocratique, de la politique anti-Lumières et du pragmatisme, nous pouvons éclairer les fondements moraux des systèmes politiques. En appliquant ces concepts au contexte algérien, nous avons l’opportunité d’examiner les dynamiques politiques et sociales du pays à travers le prisme de ces bases morales (1).

L’utilitarisme et la politique algérienne

L’utilitarisme, le principe du plus grand bien pour le plus grand nombre, a des implications significatives pour la politique algérienne. Depuis son indépendance du régime colonial français en 1962, l’Algérie a affronté de nombreux défis, y compris l’instabilité économique, les troubles politiques et les inégalités sociales. L’approche utilitariste met l’accent sur les politiques qui maximisent le bonheur et le bien-être général, ce qui se reflète dans les efforts du gouvernement algérien pour fournir des biens et services publics, tels que les soins de santé, l’éducation et le développement des infrastructures.

Cependant, l’approche utilitariste en Algérie a souvent été entachée par la corruption et l’inefficacité. Bien que le gouvernement ait investi dans des programmes sociaux pour améliorer les conditions de vie, la distribution des ressources a souvent été inégale, profitant à une petite élite au détriment de la population plus large. Cette disparité souligne une tension critique au sein du cadre utilitariste : le défi d’assurer que les politiques conçues pour promouvoir le plus grand bien ne perpétuent pas l’inégalité et l’injustice sociale.

Le marxisme et la lutte des classes en Algérie

La théorie marxiste, avec son accent sur la lutte des classes et la justice économique, offre une perspective pour analyser les conditions socio-économiques en Algérie. L’histoire du pays est marquée par une lutte profonde contre l’oppression coloniale, qui peut être vue comme un conflit de classe entre les colonisateurs et les colonisés. Après l’indépendance, le gouvernement algérien, dirigé par le Front de libération nationale (FLN), a adopté des politiques socialistes visant à redistribuer la richesse et à réduire les disparités économiques.

Malgré ces efforts, l’Algérie a eu du mal à atteindre une véritable justice économique. Les politiques socialistes de la période postindépendance ont cédé la place à des réformes néolibérales dans les années 1980 et 1990, entraînant une privatisation accrue et une libéralisation économique. Ces réformes ont souvent exacerbé les inégalités sociales car les bénéfices de la croissance économique n’étaient pas partagés équitablement. La persistance du chômage élevé, de la pauvreté et des disparités régionales souligne la pertinence des critiques marxistes dans le contexte algérien, mettant en lumière la lutte continue pour la justice économique et l’égalité sociale.

La théorie du contrat social et la gouvernance algérienne

La théorie du contrat social postule que l’autorité politique découle d’un accord implicite ou explicite entre les individus pour former une société. Dans le contexte algérien, la légitimité de l’autorité politique a été une question litigieuse, en particulier à la suite de la guerre civile des années 1990 et de la domination autoritaire qui a suivi.

La revendication de légitimité du gouvernement algérien est enracinée dans son rôle de libérateur de la domination coloniale et dans sa promesse de défendre la souveraineté nationale et la justice sociale. Cependant, ce contrat social a été maintes fois contesté par la corruption généralisée, les violations des droits de l’homme et le manque de transparence politique. Les manifestations de 2019, connues sous le nom du Hirak, reflètent une demande collective pour un nouveau contrat social, qui met l’accent sur la gouvernance démocratique, la responsabilité et le respect des droits individuels.

La théorie démocratique et la quête de participation

La théorie démocratique, avec son accent sur l’égalité, la participation et la protection des droits individuels, fournit un cadre critique pour évaluer les développements politiques en Algérie. Le système politique du pays a été caractérisé par des pratiques démocratiques limitées, avec un pouvoir concentré entre les mains de quelques élites et de l’armée.

Le Hirak représente une poussée significative pour la démocratisation, demandant une plus grande participation politique, des élections libres et équitables, et l’établissement d’un gouvernement véritablement représentatif. Ce mouvement souligne le fondement moral de la théorie démocratique : la croyance que l’autorité politique légitime doit être basée sur le consentement des gouvernés et la participation active des citoyens au processus politique.

Malgré les tentatives du gouvernement de maintenir le statu quo, la persistance du Hirak indique un désir profond de réformes démocratiques. Le défi pour l’Algérie réside dans la traduction de ces aspirations en changements politiques concrets pouvant favoriser un système politique plus inclusif et participatif.

La politique anti-Lumières et l’identité algérienne

La politique anti-Lumières critique l’universalité de la raison et l’accent mis par les Lumières sur l’individualisme et la rationalité. Dans le contexte algérien, cette perspective peut être vue dans l’accent mis sur l’identité nationale, le patrimoine culturel et le rôle de l’islam dans la vie publique.

La lutte de l’Algérie pour définir son identité nationale après l’indépendance a impliqué une tension entre les forces modernistes et traditionalistes. Alors que certains ont plaidé pour la laïcité et la modernisation, d’autres ont souligné l’importance des valeurs islamiques et des traditions culturelles. Cette tension reflète la critique anti-Lumières plus large, qui remet en question l’applicabilité des idéaux politiques occidentaux aux sociétés non occidentales.

La montée des mouvements islamistes en Algérie, en particulier pendant la guerre civile des années 1990, illustre le jeu complexe entre modernité et tradition. Ces mouvements rejettent souvent les modèles politiques occidentaux, prônant un système politique basé sur les principes islamiques. Le défi pour l’Algérie est de trouver un équilibre qui respecte les traditions culturelles et religieuses tout en promouvant la gouvernance démocratique et les droits de l’homme.

Le pragmatisme et l’adaptation des politiques en Algérie

Le pragmatisme, avec son accent sur les solutions pratiques et l’adaptabilité, offre des perspectives précieuses pour aborder les défis politiques et économiques de l’Algérie. Les approches pragmatiques privilégient l’efficacité des politiques plutôt que la pureté idéologique, mettant l’accent sur la nécessité de flexibilité et de réactivité face aux circonstances changeantes.

Dans le contexte algérien, les politiques pragmatiques ont été essentielles pour aborder des questions telles que la diversification économique, le bien-être social et la stabilité politique. Par exemple, les efforts du gouvernement pour diversifier l’économie au-delà de la dépendance au pétrole reflètent une reconnaissance pragmatique de la nécessité d’un développement durable. De même, les programmes sociaux visant à réduire la pauvreté et à améliorer l’éducation démontrent un engagement pratique à améliorer le bien-être des citoyens.

Cependant, l’efficacité des politiques pragmatiques en Algérie a souvent été minée par la corruption, l’inefficacité bureaucratique et l’instabilité politique. Pour réaliser pleinement le potentiel de la gouvernance pragmatique, l’Algérie doit aborder ces défis structurels et favoriser un système politique plus transparent et responsable.

Conclusion

L’application de diverses théories politiques au contexte algérien révèle l’interaction complexe des principes éthiques et des réalités politiques. L’utilitarisme, le marxisme, la théorie du contrat social, la théorie démocratique, la politique anti-Lumières et le pragmatisme offrent chacun des perspectives précieuses sur les défis et les opportunités auxquels l’Algérie est confrontée.

En fin de compte, la quête de légitimité politique et de justice sociale en Algérie nécessite une compréhension nuancée de ces fondements moraux, ainsi qu’un engagement à aborder les conditions historiques, culturelles et économiques spécifiques du pays. En s’appuyant sur les forces de ces diverses théories politiques, l’Algérie peut progresser vers une société plus juste, démocratique et inclusive.

Et, quoi qu’il en soit, la coercition par la violence ne peut jamais constituer un paradigme moral pour la politique. Car celui qui prône et applique avec une obéissance aveugle, se prive de toute flexibilité dans ses prérogatives, même les plus aberrantes. Comme l’a si bien exprimé Michel Foucault, la vérité est de ce monde ; elle est produite grâce à de multiples contraintes. Et elle induit des effets réglés de pouvoir. Chacun de nous en est simultanément le sujet et l’objet.

Cette citation met en lumière les effets du pouvoir inhérents au statu quo, où vérité et justice se trouvent souvent subordonnées à des structures de domination coercitives.

K. B.

1) Ian Shapiro, The Moral Foundations of Politics, Yale University Press

Comment (4)

    Abou Stroff
    11 août 2024 - 7 h 32 min

    « La montée des mouvements islamistes en Algérie, en particulier pendant la guerre civile des années 1990, illustre le jeu complexe entre modernité et tradition. » souline K. B..

    désolé mais, à mon humble avis, il n’y avait aucune guerre civile* pendant les années 90 et encore moins un jeu complexe entre modernité et tradition.

    je splike:

    1- pour faire court, je pense qu’il y avait une guerre menée par la vermine islamiste qui était manipulée par des forces externes pour détruire l’Algérie en tant qu’Etat et Nation et la livrer aux puissances impérialio-sionistes* qui ne voulait détruire un régime jaloux de son autonomie relative.

    2- quant à cette histoire de jeu complexe entre modernité et tradition,

    a- reconnaissons que la vermine islamiste n’a jamais représenté une quelconque tradition mais n’a été qu’un agent de déstabilisation de ………………la tradition étant donné qu’elle désirait, au niveau des apparences, réislamiser les algériens, alors qu’elle voulait, dans les faits, profiter d’un meilleur partage de la rente.
    d’ailleurs, chacun peut remarquer que, depuis que la vermine islamiste contrôle et le commerce formel et le commerce informel, aucun hurluberlu ne demande l’érection d’une « dawla islamia ».

    b- reconnaissons que le pouvoir en place de l’époque n’avait rien de moderne mais représentait des couches rentières qui jouissaient, en cercles fermés (où le népotisme et le ben’amisme servaient de critères pour la « mobilité sociale »), des bienfaits de la rente et en distribuait une partie pour avoir la paix sociale, d’où l’émergence à grande échelle de tubes digestifs ambulants doublés de zombies décérébrés qui se complaisaient dans leur état en tant que tels, qui étaient incapables de se prendre en charge et qui pouvaient servir de bêtes de somme ou de chair à canon aux manipulateurs de tous bords.

    moralité de l’histoire: il n’y en a aucune, à part que le jeu complexe auquel se livrent différentes couches sociales en Algérie, s’inscrit sur la rente en tant que rapport social dominant et tourne essentiellement autour du partage de la rente en tant qu’enjeu du pouvoir, d’où l’impression (est ce simplement une impression?) que la formation sociale algérienne tourne en rond et ne parvient pas à prendre la tangente pour s’extirper de l’archaïsme (la tradition?).

    * je pense que seule la vermine islamiste utilisait cette notion de « guerre civile » pour dissimuler la guerre contre les civils qu’elle menait au profit de couches sociales déclassées par la poussée du capitalisme en tant que système et au profit de forces exogènes qui n’appréciaient pas la volonté d’autonomie du régime en place vis à vis des puissances étrangères.
    ** je n’ai aucune sympathie pour le régime de bachar el assad, mais je pense que ce qui se passe en Syrie est une répétition de ce qu’est passé en Algérie. heureusement que l’Algérie possédait une armée puissante dont la haute hiérarchie était à la hauteur des évènements.

    wa el fahem yefhem

      Abou Stroff
      11 août 2024 - 16 h 01 min

      permettez moi d’ajouter que l’utilisation de la notion de « guerre civile » par K. B. n’est pas innocente mais s’intègre dans une politique machiavélique qui consiste à mettre sur le même plan les patriotes qui défendaient l’Algérie en tant qu’Etat et Nation et la vermine islamiste (agent local d’un mouvement apatride, i. e., le mouvement islamiste mondial) qui servait consciemment (pour les leaders) ou inconsciement (pour la plèbe aliénée par la religion), les intérêts bien compris des puissances impérialistes et de l’entité sioniste.

      en effet, je persiste et signe :

      la vermine islamiste (qu’elle soit qualifiée de modérée ou de radicale) est l’allié objectif et subjectif de l’impérialisme (concept recouvrant l’élargissement des rapports de production capitaliste et qui est tombé en désuétude à cause de la propagande néolibérale) et du sionisme dans toute leur laideur.
      s’il n’est pas nécessaire de développer la convergence d’intérêts entre le capital financier mondial, fraction dominante du moment du capital mondial et l’islamisme dans leur quête vers le tout marché (les islamistes croient idiotement que le commerce est la source de la richesse), il est tout à fait pertinent de souligner que la pérennité de l’entité sioniste et la garantie de sa domination sans partage sur la région qui va de l’atlantique au golfe persique, requièrent que ce régime raciste basé sur la religion soient entourée de régimes racistes basés sur la religion et/ou sur l' »ethnie » pour que cette entité raciste basée sur la religion ne soit pas perçue comme un anachronisme et s’intègre parfaitement dans la normalité.
      wa el fahem yefhem

    Abou Stroff
    10 août 2024 - 8 h 59 min

    « En s’appuyant sur les forces de ces diverses théories politiques, l’Algérie peut progresser vers une société plus juste, démocratique et inclusive. » avance K. B..

    tiens, moi qui croyais que les théories, en particulier et les discours, en général, étaitent produits par la réalité concrète que des forces contradictoires mettent en mouvement, je découvre, avec K. B., qu’il suffit d’appliquer des « théories » à une réalité concrète pour que cette dernière progresse vers un nouvel état!

    bizarre, bizarrement bizarre, n’est ce pas?

      Quel courage
      10 août 2024 - 10 h 46 min

      de pouvoir lire encore certains contributeurs.

      C’est d’un niveau « inaccessible » pour nombre de lecteurs de AP dont je suis.

      Depuis bien avant Kant, le monde sait que la morale, ensemble de croyances et de dogmes, est en perpétuel démenti avec la politique, ensemble de luttes quotidiennes, parfois féroces jusqu’au pire.

      Alors, fonder le politique sur la morale est une aporie, au mieux une antinomie, bref dirait l’autre, une contradiction insurmontable.

      Mais il faut beaucoup travailler pour accéder à toute ces choses simples, car les chemins vers le simple sont bien escarpés.

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