Comment l’antisémitisme idéologique est devenu le frère siamois du sionisme
Une contribution d’Arezki Belkacimi – Paradoxalement, l’idéologie sioniste émerge au lendemain de la création du vocable «antisémitisme», concept élaboré en 1880 par Wilhelm Marr, pour caractériser un discours antijuif. Wilhelm Marr, anarchiste et athée, décrit comme antisémite, s’est marié pourtant trois fois, et chaque fois avec une juive.
Tout s’est passé comme si le concept d’antisémitisme avait été fabriqué pour servir d’«alibi racial» et de «caution morale» à la nouvelle entreprise coloniale sioniste, aux fins de convaincre les juifs d’Europe de «s’expatrier vers la terre promise», de «partir» coloniser la Palestine.
En fait, le terme péjoratif antisémitisme s’inscrit dans le prolongement du vocable antonymique, mélioratif, sémite, inventé, lui, en 1781 par l’Orientaliste allemand August Ludwig Schlözer pour caractériser non pas une race (terme et notion inexistants à l’époque) mais une langue ou des langues orientales.
Historiquement, le terme sémite, initialement, avait une connotation purement linguistique. En effet, le terme sémite (construit à partir du nom de Sem, fils de Noé) visait à englober toutes les langues apparentées à l’origine commune : l’hébreu, araméen, l’arabe, etc.
C’est vers le milieu du XIXe siècle, dans un contexte marqué par la création des nations et de l’épanouissement du nationalisme, que le terme «sémite» commence à être associé à la notion de race, très en vogue à l’époque. Le terme sémite, purement linguistique, revêt une connotation «racialiste». Dorénavant, le terme ne désignera plus l’ensemble des langues sémites, mais l’ensemble des présumés peuples sémites de la péninsule arabique, de la Mésopotamie, de la Syrie, de la Palestine.
Ainsi, à l’origine, que ce soit dans sa dimension linguistique ou raciale, le terme «sémite» désignait l’ensemble des populations orientales, autrement dit plusieurs peuples sémites, en majorité arabes, et non pas une seule communauté sémite (juive). Mieux, pour les contemporains, les juifs ne constituent nullement une race, ni un peuple, mais un groupe religieux. Une communauté religieuse hébraïque.
Une communauté juive victime, dans toute l’Europe, pour des motivations théologiques, d’ostracisme et de persécutions.
En effet, durant des siècles, les communautés juives d’Europe ont été victimes, pour des raisons strictement religieuses, d’antijudaïsme. Terme qui ne doit pas être confondu avec l’antisémitisme ou la judéophobie, inventés aux XIXe et XXe siècles par les sionistes. C’est à cette époque, au XIXe siècle, à la faveur du développement des théories raciales en Europe, que la haine des juifs, l’antijudaïsme séculaire, se détache de ses motivations théologiques pour revêtir, politiquement, une tournure racialiste, biologique. Plus tard, au lendemain de la Révolution bolchevique en Russie et spartakiste (avortée) en Allemagne, il se confondra avec l’anticommunisme. On parlera de judéo-bolchevisme.
Pourquoi les premiers idéologues sionistes et leurs acolytes antijuifs traditionnels se sont emparés du vocable sémite pour l’appliquer exclusivement aux habitants européens de confession juive ? Pourquoi les idéologues sionistes ont usurpé ce terme générique sémite pour le monopoliser ?
Pour les pionniers sionistes, l’assignation des juifs européens, pourtant descendants des Khazars, au rameau sémitique avait pour dessein de les exclure du «tronc civilisationnel européen». Par cette assimilation au rameau «racial» sémitique, les judéophobes européens pouvaient, à bon compte, dorénavant considérer les «juifs européens» comme des étrangers, des non-européens, justifiant leur bannissement de leur «pays d’accueil», leur expulsion vers leur «terre natale», la Palestine (appuyant ainsi le projet embryonnaire sioniste), même au prix de la spoliation des Palestiniens de leur terre.
Plus tard, au XXe siècle, le soutien politique apporté par les pays favorables à la création de l’Etat sioniste n’avait pas d’autre motivation que raciste. Cet appui diplomatique n’était absolument pas mû par des considérations humanitaires, par l’amour des juifs. Mais par leur volonté de purifier leurs pays respectifs de leurs concitoyens indésirables de confession juive, de tout temps ostracisés, proscrits, victimes de pogroms.
L’antisémitisme est le frère siamois du sionisme. Du moins l’antisémitisme idéologique et politique. Celui qui sert de fondement au sionisme, au projet colonial des Européens de confession juive qui, en pleine ère du colonialisme et de l’impérialisme triomphants, du partage du monde, dans le sillage de leurs compatriotes colons chrétiens catholiques et protestants, voulaient également s’approprier un territoire en Orient pour l’exploiter à leur seul profit.
C’est au nom de l’antisémitisme que les sionistes bâtiront leur entreprise coloniale. Aussi, le concept d’antisémitisme leur servira d’alibi pour justifier et légitimer leur projet colonial.
Après l’invention du concept d’antisémitisme en 1885, il fallait lui donner une consistance politique. Une popularité médiatique. Une réalité sanglante. Une concrétion incendiaire. Là où il n’existait pas, les sionistes s’emploieront à l’inventer. Là où il était résiduel, les sionistes s’appliqueront à le ressusciter, l’attiser.
Ainsi, l’antisémitisme et le sionisme, engendrés en même temps, chemineront ensemble. Le sionisme se nourrit de l’antisémitisme, réel ou fantasmé. Et l’antisémitisme alimente le sionisme.
La preuve par ces citations du fondateur du sionisme, Théodore Herzl : «Les antisémites ont été nos amis les plus fidèles, les pays antisémites sauront être nos alliés.» «Lorsque notre organisation sera connue à travers le monde, les forces antisémites lui feront de la publicité dans les gouvernements, dans les meetings, dans les journaux.»
Pour accréditer l’idéologie sioniste, avec la complicité des gouvernants des pays européens accueillant des résidents de confession juive, les premiers représentants du mouvement sioniste s’attacheront à répandre leur propagande selon laquelle les juifs seraient inassimilables dans les sociétés européennes.
L’idéologie sioniste selon laquelle les habitants européens de confession juive ne peuvent exister qu’en allant tous s’agglutiner en Israël, ne peuvent pas vivre dans le reste du monde, est fondée fondamentalement sur l’idéologie antisémite. Et elle est l’œuvre des sionistes. Elle est antisémite.
Avec cynisme, c’est avec des arguments des antisémites que les sionistes militeront pour persuader, pour ne pas dire contraindre, les juifs du monde entier à se muer en colons en terre de Palestine. Qu’ils attaqueront toujours les juifs qui ne cautionnent pas ni le sionisme ni les agressions militaires menées par l’Etat d’Israël.
Bien avant le triomphe idéologique du sionisme, des dirigeants politiques européens, notamment Ernest Laharanne, secrétaire de Napoléon III, Lord Palmerston, Premier ministre du Royaume-Uni, plaidaient pour la «restauration» de la présence juive en Palestine pour défendre les intérêts de la «civilisation européenne».
Le fondateur du sionisme, le journaliste autrichien Theodore Herzl, s’inscrit dans le même mouvement idéologique de la mission civilisatrice européenne assigné aux sionistes. Il écrit en 1896 que «nous formerions là-bas (en Palestine) un élément d’un mur contre l’Asie, ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie». L’humanité comme l’histoire peuvent témoigner que c’est bien le contraire qui s’est produit. L’Orient pacifique, berceau de la civilisation et de la spiritualité, subit depuis presque un siècle l’assaut de la barbarie génocidaire sioniste. L’Orient est plongé dans l’apocalypse par les récurrentes interventions militaires génocidaires menées par les puissances impérialistes occidentales.
Le sionisme, au point de vue de la définition originelle rigoureuse de la notion sémite rappelée plus haut, est foncièrement antisémite. Car, outre le fait d’être un projet colonialiste élaboré par des Européens de confession juive dans le sillage de leurs compatriotes chrétiens, il vise la colonisation d’une «terre sémite», l’expropriation et la spoliation d’une population sémite, à savoir le peuple autochtone de la Palestine, les sémites authentiques palestiniens.
Cependant, si au départ le sionisme était fondé sur le concept de l’antisémitisme, à partir de 1917, à la faveur des Révolutions prolétariennes russe et allemande, le sionisme s’appuiera dorénavant sur le danger révolutionnaire imputé aux juifs. Le sionisme devient, en effet, un instrument de l’impérialisme contre les juifs opprimés et révolutionnaires.
Dès cette époque, la politique sioniste en Palestine sera endossée directement par la bourgeoisie impérialiste pour prévenir le péril révolutionnaire. Pour rappel, les juifs ont joué un rôle majeur lors de la vague révolutionnaire prolétarienne en Europe de l’Est qui a suivi la révolution russe de 1917.
A cet égard, il est utile de souligner que l’idée de faire de la Palestine le «foyer national juif» surgit curieusement en pleine révolution bolchevique. Pour éteindre les foyers de la révolution prolétarienne en Europe, supposément enflammés par les communistes juifs internationalistes, il fallait créer un foyer national juif pour déporter ces dangereux révolutionnaires dénués toute fibre patriotique.
Le 2 novembre 1917, Arthur Balfour, secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, adresse une lettre à Lionel Walter Rothschild, personnalité de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste. Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l’établissement en Palestine d’»un foyer national pour le peuple juif».
Le danger révolutionnaire associé aux juifs est souligné par le président Wilson, lors du Conseil des Quatre qui réunissait à Paris, en 1919, les représentants des quatre plus grandes puissances mondiales. «Ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance à l’égard des juifs, mais par l’incertitude du danger que le traitement injuste des juifs crée dans différentes parties de l’Europe. Le rôle des juifs dans le mouvement bolcheviste est dû sans aucun doute à l’oppression que leur race a subie pendant si longtemps. Les persécutions empêchent le sentiment patriotique de naître et provoquent l’esprit de révolte. A moins que nous ne portions remède à la situation des juifs, elle restera un danger pour le monde», déclare le président Wilson.
Son ambassadeur en Russie, David R. Francis, avertit dans une dépêche à Washington en janvier 1918 : «Les dirigeants bolcheviks ici, dont la plupart sont des juifs et dont 90% sont des exilés de retour [en Russie], font peu de cas de la Russie ou de tout autre pays, mais sont des internationalistes et ils essayent de déclencher une révolution sociale à l’échelle mondiale.»
L’ambassadeur des Pays-Bas en Russie, Oudendyke, établit le même constat quelques mois plus tard : «A moins que le bolchevisme ne soit tué dans l’œuf immédiatement, il est destiné à se répandre sous une forme ou sous une autre en Europe et dans le monde entier, car il est organisé et conduit par des juifs qui n’ont pas de nationalité.»
Pour sa part, Winston Churchill, dans le Illustrated Sunday Herald du 8 février 1920, accuse les juifs d’être responsables de la Révolution russe : «Il n’y a pas besoin d’exagérer la part jouée dans la création du bolchevisme et dans l’arrivée de la Révolution russe par ces juifs internationalistes et pour la plupart athées. C’est assurément un très grand rôle ; il surpasse probablement tous les autres. Avec la notable exception de Lénine, la majorité des figures dominantes sont des juifs».
De son côté, l’industriel américain Henry Ford publie, au début des années 1920, une série de brochures intitulées Le Juif international, dans lesquelles il reprend, parmi d’autres thèmes antisémites, le mythe du judéo-bolchevisme. C’est encore Henry Ford, patron de trust automobile, qui diffuse en décembre 1927 dans le monde entier son livre The International Jew (Le Juif international) qui dénonce la menace communiste des juifs. Hitler s’inspirera amplement de la littérature antisémite diffusée par ce capitaliste américain, Henry Ford.
Comme on le constate, les dirigeants des pays occidentaux sont les instigateurs des théories antisémites à caractère politique, notamment le concept antisémite de judéo-bolchevisme. Et c’est sur le fondement de leurs théories antisémites qu’ils appuient le projet de création d’un foyer national juif, pour en endiguer la vague révolutionnaire prolétarienne par la déportation de ses «meneurs communistes supposément juifs».
Ainsi, ce sont les dirigeants occidentaux, en particulier américains, bien avant la fondation du parti nazi d’Hitler, qui propageront amplement la thèse du judéo-bolchevisme parmi d’autres théories antisémites. Les dirigeants occidentaux ont créé Hitler. Ils ont nourri Hitler de leurs théories antisémites.
Cela étant, le projet sioniste est consubstantiellement colonialiste, raciste et, surtout, antisémite. Rien d’étonnant à cela. Le sionisme est d’inspiration européenne, donc fondé sur la culture raciste, suprémaciste, répandue dans le monde occidental.
Abraham Serfaty, militant communiste juif marocain, antisioniste et opposant au régime monarchique makhzénien, l’a rappelé avec insistance : «Le sionisme est avant tout une idéologie raciste. Elle est l’envers juif de l’hitlérisme […] Elle proclame l’Etat d’Israël Etat juif avant tout, tout comme Hitler proclamait une Allemagne aryenne.»
Soit dit en passant, les organisations sionistes n’ont jamais lutté contre le nazisme. A l’époque de l’Allemagne nazie, durant la phase génocidaire, les organisations sionistes ont délibérément ignoré ou minoré le génocide des juifs d’Europe, présenté comme de sporadiques pogroms. Comme l’écrit Nicolas Weill dans Le Monde du 19 avril 1983 : «A Varsovie, comme dans le reste de l’Europe d’Hitler, les juifs sont abandonnés à leur sort.» Le sionisme n’a jamais cherché à combattre les exactions des nazis et a couvert la complicité des grandes puissances impérialistes occidentales.
En dépit des informations faisant état de la destruction massive des juifs par les nazis, le Congrès juif mondial et l’Organisation sioniste d’Amérique (Zionist Organization of America : ZOA) n’ont pas œuvré pour sauver les juifs d’Europe de l’Est, préférant concentrer leurs activités à récolter des fonds pour les consacrer à la colonisation de la Palestine, au nettoyage ethnique des Palestiniens, ces autochtones sémites. Autrement dit, ils s’inscrivaient dans la même logique que les nazis avec leur Libensraum : au nom d’une fantasmée élection de la race par Dieu, ils ont le droit de conquérir un pays, de chasser ses habitants, de s’approprier leur territoire, y compris par un nettoyage ethnique, la commission d’un génocide ; de favoriser l’extension de ce territoire palestinien occupé.
Pour rappel, le judaïsme, religion minoritaire millénaire, était au XIXe siècle, à la faveur de l’émancipation des juifs opérée en Europe, en voie d’extinction. En effet, par son émancipation, une grande majorité de juifs s’était intégrée, voire totalement assimilée à sa société d’«origine», son pays ancestral «adoptif» (la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Angleterre, les Etats-Unis, etc.).
Jusqu’à l’accession d’Hitler au pouvoir, les processus d’émancipation et d’assimilation des populations juives établies en Europe étaient déjà amplement réalisés. A travers le monde, les juifs s’éloignaient massivement de leur judaïté et s’intégraient dans la société, devenant ainsi des citoyens dotés de la nationalité et pourvus des mêmes droits politiques que leurs «compatriotes» français, allemands, anglais, etc.
Néanmoins, cette religion opprimée, de tout temps «apolitique», dépourvue de toute dimension universelle (car elle ne s’adonne plus au prosélytisme), et donc de toute ambition de domination, va se fourvoyer dans l’impérialisme européen triomphant du XIXe siècle, et se dévoyer dans la religion colonialiste et raciste prépondérante à l’époque (le christianisme sous toutes ses variantes totalitaires chapeauté par le capitalisme triomphant).
Tout s’était passé comme si, devant le déclin de l’emprise du judaïsme sur ses ouailles converties au capitalisme libéral et libre penseur, réalité illustrée par l’éloignement de la religion ou conversion au protestantisme, au catholicisme, au socialisme ou au communisme, d’une importante frange judaïque, les instances rabbiniques politisées et partisanes du sionisme émergent, soucieuses de stopper l’hémorragie religieuse, ont confectionné un dérivatif politique pour réanimer la foi juive au moyen d’une entreprise impérialiste de création d’un «foyer juif» sur la base du mythe d’une antique nation hébraïque détruite.
C’est la naissance du sionisme, antithèse du judaïsme pacifique millénaire, le début de la religion judaïque dévoyée vers un projet politique raciste colonialiste et génocidaire issu de l’impérialisme européen.
La suite, tout le monde la connaît. C’est la fondation coloniale de l’Etat fantoche d’Israël en Palestine par des sionistes, justifiée et légitimée au nom de l’irrationnel et fallacieux «droit de réappropriation» du sol palestinien, effectivement habité durant l’Antiquité par des communautés sémites disparates de confession judaïque, entre autres, mais converties ultérieurement, au fil des siècles et des vicissitudes de l’histoire, au christianisme, puis à l’islam, devenues ainsi palestiniennes.
C’est l’inauguration de l’authentique antisémitisme suprémaciste et génocidaire commis, depuis presque un siècle, par les colons sionistes contre les populations palestiniennes sémites en particulier, et les Arabes des pays voisins en général (Libanais, Syriens, Egyptiens, etc.).
A. B.
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