Pourquoi l’Algérie a eu raison de refuser de faire du pays un dépotoir touristique
Une contribution de Khider Mesloub – Ces dernières années, dans de nombreux pays, la dénonciation du surtourisme n’a pas cessé de s’amplifier. En Algérie, c’est tout le contraire. Certains dirigeants et hommes d’affaires dénoncent sans cesse le sous-tourisme. Pour rappel, le surtourisme, autrement dit l’invasion du tourisme de masse, est la forte concentration de touristes dans des lieux jugés attractifs, entraînant un certain nombre de dysfonctionnements et de nuisances pour les habitants du pays d’accueil (choc des cultures, perturbation de la population locale, embouteillages, bruit, flambée des prix de location et d’achat foncier, etc.). Le sous-tourisme, lui, se caractérise par la faiblesse du potentiel touristique, une offre «patrimoniale» historique nationale, certes, abondante mais peu valorisée, rarement exploitée.
Une chose est certaine, l’Algérie a toujours été en délicatesse avec le tourisme. En Algérie, le tourisme n’a jamais décollé. Pourtant, le pays recèle des trésors touristiques splendides. En dépit de ses multiples atouts enchanteurs, l’Algérie n’attire pas les investisseurs dans le secteur du tourisme. Donc les touristes.
Sans conteste, avec son interminable littoral de 1 600 km, l’Algérie constitue une destination idéale pour le tourisme. Sans oublier d’autres merveilles, telles que les vestiges romains, les gravures rupestres, le majestueux désert. Néanmoins, le tourisme sommeille sous le soleil ardent, réchauffant et irradiant uniquement les habitants algériens, sous le ciel bleu azur réservé aux seuls citoyens algériens. Et pour cause.
Nombre d’Algériens intéressés, notamment la corporation affairiste sévissant dans le commerce, déplorent l’absence d’investissement dans le secteur du tourisme. En effet, l’activité touristique en Algérie ne parvient pas à se réveiller de sa léthargie économique. Actuellement, en Algérie, ce secteur touristique fait l’objet d’un immense investissement verbal politique par les acteurs de la représentation nationale et commerciale pour dynamiser le tourisme. Toutes les solutions sont proposées par les affairistes du secteur touristique, ces requins financiers pressés de transformer les côtes balnéaires algériennes en complexes bétonnés lucratifs pour eux, mais écologiquement et architecturalement répulsifs aux yeux des Algériens.
Dépotoir «déculturatoire» touristique
D’aucuns suggèrent, pour booster le tourisme en Algérie, de favoriser le tourisme cynégétique ou chasse touristique. Rassurez-vous : il ne s’agit pas de «tourisme génésique», à la manière du voisin de l’Ouest, autrement dit la chasse de la chair fraîche humaine à des fins sexuelles.
Le tourisme cynégétique, destiné à une clientèle fortunée, permet aux richissimes de se livrer à la chasse du gibier. Mais ces lubriques touristes se livrent souvent aux deux formes de tourisme : cynégétique et génésique.
Pour autant, l’activité touristique n’est pas près de décoller. Pour preuve, ces vingt dernières années, l’Algérie n’a attiré que 3 000 touristes par an. Chiffre ridiculement dérisoire comparé aux autres pays voisins, la Tunisie et le Maroc. Le secteur du tourisme a été négligé sous le règne de Bouteflika, en particulier par ses acolytes ministériels et affairistes écornifleurs, occupés à exporter leurs richesses spoliées vers les pays étrangers, expatrier leurs progénitures et familles dans les contrées riches.
A cet égard, il est utile de relever que, sur la carte touristique mondiale, l’Algérie demeure toujours inexistante, inconnue du système GPS des voyagistes. Depuis 30 ans, l’Algérie est absente sur la carte touristique internationale. Pourtant, ces dernières années, à la suite de la baisse du prix du pétrole, dans le cadre du projet de diversification de l’économie algérienne principalement tributaire des hydrocarbures, l’activité touristique a été inscrite dans le programme de réorientation de l’économie. En dépit de la volonté affichée par le pouvoir de promouvoir et de relancer l’activité touristique, on n’assiste à aucun démarrage de ce secteur déserté par les investisseurs. Outre l’indigence de la politique de promotion du tourisme en Algérie vient se greffer le problème de l’obtention du visa algérien pour les nombreux voyageurs désireux de visiter l’Algérie. Depuis janvier 2023, seulement 7 755 autorisations d’embarquement ont été délivrées à des touristes de 57 nationalités par l’intermédiaire de 175 agences.
Aujourd’hui, au plan des infrastructures touristiques, l’Algérie ne dispose que de 60 000 lits en bord de mer dont moins de 10% correspondent aux normes internationales. A l’échelle nationale, l’Algérie compte seulement un peu plus de 110 000 lits. En outre, pour des raisons de sécurité, de nombreux sites touristiques, tel le Hoggar, sont fermés aux étrangers.
Quant au rapport qualité/prix, en termes d’attractivité tarifaire, l’Algérie demeure parmi les destinations les plus onéreuses de l’Afrique du Nord. Le prix du billet d’avion à lui seul est prohibitif. De même le coût du séjour est très onéreux, comparé aux autres pays voisins.
Néanmoins, contrairement aux thuriféraires du libéralisme, partisans de l’ouverture de l’Algérie au tourisme, on peut considérer la décision de fermeture des frontières au tourisme international, donc l’absence d’investissement dans le secteur touristique depuis les années 1980, comme un choix politique légitime et vertueux.
En effet, à la faveur de l’augmentation considérable des recettes pétrolières, dès les années 1990-2000, l’Algérie avait tourné le dos au tourisme exogène, le tourisme réceptif international, pour promouvoir et investir dans le tourisme endogène, destiné aux seuls citoyens algériens. En outre, ce choix de se détourner du tourisme international avait été motivé par des raisons de préservation des traditions algériennes susceptibles d’être corrompues par l’invasion des touristes occidentaux porteurs de cultures étrangères dissolvantes (sic). Cette crainte du saccage du patrimoine culturel algérien par les hordes touristiques occidentales et/ou orientales est fondée. De même, la peur de la pollution immorale de l’Algérie par ses multitudes occidentales/orientales libidineuses est motivée.
L’Algérie a eu raison de refuser de transformer le pays en dépotoir «déculturatoire» touristique, en bordel des Occidentaux ou des Orientaux libidineux, en contrée exotique exploitée par le capital financier international.
Des caprices des touristes
De surcroît, sous le mode de production capitaliste, le tourisme, ce vecteur de mondialisation, est le cheval de Troie des intérêts du capital, de la finance internationale. La grande porte d’entrée à la contamination culturelle, la corruption morale, l’avilissement national.
Le tourisme est le colonialisme contemporain de l’Occidental pauvre, ce voyeuriste de la nudité sociale autochtone, cet idiot heureux appartenant à la petite et moyenne bourgeoisie, infatué de son aliénation, qui, l’espace de quelques jours, pétri de relents colonialistes et paternalistes, peut se croire riche dans un pays pauvre, se comporter en territoire conquis par la grâce de ses dollars ou euros amassés par son esclavage salarié.
Dans les pays touristiques, les populations «autochtones» sont folklorisées par les protagonistes de leur déculturation, ces Occidentaux ethnocidaires, responsables des désordres anthropologiques irréversibles infligés aux peuples longtemps colonisés (introduction de l’argent, de la propriété privée ; destruction des modes de production traditionnels, exode rural, etc.). De plus, les multiples hôtels de luxe accueillant les touristes, outre le fait de saturer et de défigurer les côtes, déversent leurs eaux usées directement dans la mer, provoquant la pollution de la végétation marine, l’extinction de certaines espèces de poissons.
Comble d’absurdité, les touristes visitent souvent un pays sans même parfois parler à un seul autochtone, voire en croiser un lors de leur circuit organisé. Ils sont récupérés à l’aéroport, acheminés comme du bétail dans leur hôtel planté dans un complexe touristique forteresse, éloigné des habitations des autochtones, tenus à l’écart pour ne pas souiller la vue de ces touristes occidentaux (ou riches orientaux) qui passent leurs vacances dans des espaces réservés, dans un entre-soi vacancier.
Par ailleurs, le secteur touristique est très aléatoire, entièrement tributaire des caprices des touristes, des effets de mode et, de nos jours, des vicissitudes géopolitiques ou sanitaires. Un pays dépendant des recettes du tourisme s’expose aux retournements de situations géopolitiques et sanitaires, au basculement des habitudes des consommateurs de voyage.
Comble du cynisme, la majorité de la population locale impécunieuse des pays dits touristiques ne profite jamais des infrastructures du tourisme (complexes touristiques, hôtels, piscines, plages, divers secteurs de distractions et de loisirs, et autres multiples sites), réservées exclusivement aux seuls voyageurs occidentaux richement solvables.
Au vrai, le tourisme est une forme d’exploitation qui s’inscrit dans le prolongement du néocolonialisme, la division internationale du travail. Le marché du tourisme est dominé par quelques acteurs mondialistes, basés dans les pays capitalistes occidentaux, des groupes hôteliers, des entreprises spécialisées dans le transport aérien, des tour-opérateurs.
A qui profite donc le tourisme ?
En tout cas, ni à la population autochtone, ni aux commerçants «généralistes», ni à la collectivité, ni à l’Etat. Au plan commercial, la majorité des touristes étrangers ne franchissent pas la porte des magasins, sinon celle de quelques boutiques spécialisées vendant des objets traditionnels et des produits de souvenir. Ni, non plus, la porte des restaurants mais celle de la restauration rapide (fast-foods, sandwicheries, kebabs), peu chère.
Cela étant, les promoteurs du tourisme affirment que le tourisme fait rentrer de l’argent. En réalité, l’argent engrangé par le tourisme sort immédiatement du pays. Car la plupart des infrastructures touristiques (hôtels, entreprises de divertissement) appartiennent à des multinationales, des groupes étrangers. Les profits tirés du tourisme sont ainsi accaparés par des groupes d’entrepreneurs restreints autochtones, reliés à des multinationales, notamment des banques.
Dans les pays dits touristiques, les bénéfices de l’économie du tourisme profitent non seulement à un nombre restreint d’entrepreneurs autochtones, mais une grande partie de ces bénéfices part à l’étranger, sur les comptes bancaires des investisseurs capitalistes.
Aussi les retombées touristiques ne se reflètent-elles pas sur les données économiques de l’Etat. Le tourisme n’a jamais permis de renflouer les comptes publics des pays touristiques, ni de diminuer le chômage. Et le secteur touristique n’emploie le plus souvent que des travailleurs saisonniers, autrement dit des précaires qui alternent de courtes périodes de travail intense et de longues phases d’inactivité.
En tout cas, la masse touristique ne génère pour l’Etat aucune manne financière. Et pour les populations autochtones, l’arrivée de cette masse touristique ne les empêche pas d’être prises dans la nasse.
En Algérie, les promoteurs du secteur touristique, pour louer les vertus de ce secteur qu’ils souhaitent développer et fructifier pour leurs intérêts, parlent de tourisme régénératif. Il s’agit plutôt de tourisme dégénératif.
Ces promoteurs du tourisme dégénératif s’obstinent sans répit à vouloir transformer l’Algérie en une destination pour touristes, mais jamais à transformer la destinée sociale des Algériens, le destin économique global de la nation algérienne.
L’urgence pour l’Algérie n’est pas de devenir une nation récréative et attractive pour touristes occidentaux et riches orientaux libidineux. Mais une nation économiquement productive et socialement améliorative.
K. M.
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