Notre article «farfelu» sur la DGSE : une ex-juge française corrige Driencourt
Par Abdelkader S. – En 2019, le site Investig’Action publiait des extraits du livre de l’ancienne magistrate française Eva Joly, La force qui nous manque, paru aux éditions des Arènes, à Paris. L’ouvrage détaille les crimes de la France en Afrique, Algeriepatriotique n’ayant cité que quelques-unes des barbouzeries menées par l’ancienne puissance coloniale et exécutées par le service de l’action extérieure, la DGSE, qu’ont dirigée deux anciens «ambassadeurs» de France à Alger. L’ancienne députée européenne répond indirectement aux balivernes de Xavier Driencourt qui nous accuse de fabuler sur le sale boulot des services secrets français en Algérie durant la décennie noire.
«Lorsque j’ai pris en charge l’instruction de l’affaire Elf […], au fil de mon enquête, j’ai découvert un monde souterrain. Magistrate, limitée par le cadre de ma saisine et des compétences nationales, je devais m’arrêter sur le seuil de certaines portes, qui menaient vers l’étranger. Je découvrais des chemins qu’il aurait été passionnant de remonter, des connexions qui m’ahurissaient. Avec des chiffres, des comptes, nous avions sous nos yeux le déchiffrage d’un vaste réseau de corruption institutionnalisé, dont les fils étaient reliés en direct à l’Elysée», écrit la Franco-Norvégienne.
«Ce n’était pas mon rôle d’en tirer les conclusions politiques, mais j’en ai gardé l’empreinte. Nous avions dessiné alors un vaste schéma, que j’ai toujours avec moi. Il fait huit mètres une fois déplié. Il serpente depuis le bureau d’un directeur des hydrocarbures d’Elf, jusqu’à des comptes obscurs alimentés par le Gabon, aux mains d’Omar Bongo : quarante ans de pouvoir et une difficulté récurrente à distinguer sa tirelire et sa famille, d’une part, le budget de l’Etat et le gouvernement, d’autre part», ironise l’ancienne juge. Elle explique ainsi le rôle de Paris dans les coups d’Etat et le choix des présidents en Afrique. En Algérie, Mitterrand a essayé d’installer les extrémistes religieux du FIS au pouvoir, mais le vaillant général Khaled Nezzar – paix à son âme – lui a barré la route.
«Les positions ont sans doute varié, les techniques de camouflage se sont sophistiquées, mais le système est là : les tyrans sont des amis que la France a placés au pouvoir et dont elle protège la fortune et l’influence par de vastes réseaux de corruption ; en échange, ils veillent sur les intérêts et les ressources des entreprises françaises venues creuser le sol. Tout ce beau monde a intérêt à ce que rien, jamais, ne stimule ni les institutions ni l’économie des pays», développe Eva Joly, qui décrit un monde politique auquel appartient Xavier Driencourt, pourri jusqu’à la moelle.
«La France fait semblant d’aider des pays qui sont riches en matières premières. A ceux qui croient encore à l’aide désintéressée de la France en Afrique, il suffit de consulter les chiffres du Programme des Nations unies pour le développement. La corrélation est régulière entre le montant de l’aide française et la richesse en matières premières», explique la magistrate, en précisant que «celui qui n’a rien dans son sous-sol ne doit pas attendre grand-chose de Paris».
«Il ne s’agit pas d’une dérive mais d’une organisation cohérente et raisonnée. Dans chaque audition durant notre instruction, nous entendions parler de pressions physiques, d’espionnage permanent et de barbouzes», souligne encore Eva Joly, qui dit avoir découvert au fil de son enquête un «tableau effrayant».
«La République française a mis en place en Afrique un système loin de ses valeurs et de l’image qu’elle aime renvoyer au monde. Comment des institutions solides et démocratiques, des esprits brillants et éclairés, ont-ils pu tisser des réseaux violant systématiquement la loi, la justice et la démocratie ? Pourquoi des journalistes réputés, de tout bord, ont-ils toléré ce qu’ils ont vu ? Pourquoi des partis politiques et des ONG, par ailleurs prompts à s’enflammer, n’ont-ils rien voulu voir ?» interroge-t-elle, désenchantée, tout en accusant l’Occident d’avoir «fermé les yeux sur les crimes de la France, car la France se prévalait d’être le gendarme qui défendait la moitié du continent contre le communisme». «Les Français ont laissé faire, car astucieusement, De Gaulle et ses successeurs ont présenté leur action comme un rempart contre l’hydre américaine. Elf était l’une des pièces maîtresses de cette partie géopolitique», a-t-elle fait constater.
«Le double jeu a été facilité par la certitude, ancrée dans les mentalités, que là-bas, c’est différent. Là-bas, c’est normal la corruption, le népotisme, la guerre, la violence. Là-bas, c’est normal la présence de l’armée française, les proconsuls à l’ambassade ou à l’état-major, les camps militaires. Là-bas, c’est normal l’instruction des gardes présidentielles. Là-bas, c’est normal la captation des richesses naturelles», déplore Eva Joly. Et de conclure : «La France vit encore comme si en Afrique, elle était chez elle, et comme si ses enfants d’ascendance africaine n’étaient pas Français. Le développement de la Françafrique, notre tolérance vis-à-vis des réseaux, tout ramène à ce secret colonial, cet empire qui hante les esprits comme un fantôme.»
A. S.
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