La crise de la gouvernance ou la politique bourgeoise à l’ère de la récession économique (IV)

capitalisme pays capitalistes
La Bourse de New York, lieu saint du capitalisme. D. R.

Dossier réalisé par Khider Mesloub – Historiquement, dans les pays capitalistes avancés, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la politique fut dominée exclusivement par les partis représentant la bourgeoisie et l’aristocratie, appuyés électoralement par la paysannerie et la petite bourgeoisie (artisanale). Les partis ouvriers d’obédience socialiste n’étaient pas encore constitués en formation politique, ou plus radicalement ils étaient interdits par l’Etat.

Pour rappel : à cette époque d’émergence de la classe ouvrière encore dans les langes du capitalisme des fabriques, le suffrage censitaire était la règle. Le suffrage universel fut opportunément instauré seulement au lendemain de l’éruption révolutionnaire du prolétariat sur la scène politique.

Soit dit au passage, il est de la plus haute importance de souligner cette vérité historique : la convocation inopinée par l’Etat d’élections en période d’insurrection répond en réalité à l’impérative nécessité de dévoyer la lutte prolétarienne sur une voie légale institutionnelle bourgeoise. Il a pour dessein de désarmer les prolétaires de leur combativité révolutionnaire de classe. Historiquement, toutes les élections organisées hâtivement par le pouvoir bourgeois, contesté et menacé de renversement, ont favorisé au final régulièrement les partis de l’ordre : en 1848 en France, au lendemain de la Commune de 1871, en janvier 1918 au début de la Révolution bolchevique lors des élections à la Constituante, au lendemain de Mai 68.

De fait, progressivement, avec l’affirmation sociale et politique de la classe ouvrière, désormais l’Etat dut tenir compte de cette nouvelle force contestataire et insurrectionnelle, ce nouvel interlocuteur politique. Sans oublier la paysannerie, formation sociale en voie de désagrégation, ruinée par le développement de l’agriculture industrialisée, ballottée, elle, entre les multiples forces conservatrices se disputant son suffrage.

Au plan historique, dans la majorité des pays européens, la démocratie bourgeoise se constitua pleinement entre le XVIIIe et le XIXe siècles. Mais elle culmina au début du XXe siècle. Dans son cadre se déroulait le formidable débat politique entre le capital, la féodalité, la classe ouvrière, la petite production marchande et la paysannerie. Cependant, la bourgeoisie et l’aristocratie demeurèrent encore durant un certain temps les principaux protagonistes de la scène politique. Les autres classes ne leur servaient que de forces d’appoint, ne remplissaient qu’un rôle de figuration.

C’est au cours de cette époque que la presse politique commença à s’imposer sur la scène médiatique. Elle amorça son influence à la faveur de l’accroissement remarquable de ses tirages permis par suite de la progression de la scolarisation massive de la population.

Ce faisant, la fonction de la politique, surgie dans le sillage du développement du capitalisme, est d’être un espace d’affrontements pacifique entre les différentes formations sociales en compétition pour s’approprier les rênes du pouvoir, autrement dit de l’Etat.

Cependant, elle revêt deux aspects. D’une part, au premier niveau, la politique apparaît comme sphère de confrontations politiques entre les multiples classes antagoniques en lutte pour le contrôle des institutions étatiques. D’autre part, au second niveau, elle se manifeste aussi comme espace d’affrontements entre les factions concurrentes du capital national de la même classe bourgeoise pour la domination de l’Etat. En fonction de l’évolution de la composition du capital, telle ou telle fraction de la bourgeoisie impose sa domination. Cette domination lui permettant ainsi d’orienter la politique économique de l’Etat dans un sens favorable du capital dominant qu’elle représente. Mais les autres fractions ne demeurent jamais inactives. Elles tentent constamment d’infléchir la politique économique en leur faveur, au moyen notamment du lobbying, de campagnes médiatiques destinées à endoctriner l’opinion publique pour l’inciter idéologiquement à soutenir tel candidat ou tel parti politique inféodé à un clan capitaliste rival.

C’est aussi cela la politique : la confrontation entre de multiples fractions de la bourgeoisie. Cependant, ce second aspect de la politique perd de sa vitalité au fur et à mesure de l’unification du capital, une fois la phase de domination réelle du capital établie. La concentration du capital tend à réduire considérablement le nombre de fractions bourgeoises. Cependant, tant que le capital demeure faible, encore dans sa phase de domination formelle, la politique conserve encore sa fonction de médiation nécessaire entre les différentes classes en conflit.

Ainsi, dans la phase de domination formelle du capital, marquée par l’existence de zones d’activités précapitalistes et la présence de forces conservatrices installées dans les rouages du pouvoir, la politique conserve sa fonction de médiation indispensable au mouvement du capital. Aussi, longtemps, ces forces conservatrices constituèrent-elles un frein aux tentatives de modernisation des structures économiques.

Cependant, il faut nuancer ce schéma d’évolution historique inspiré de l’exemple français et d’autres pays européens développés. En effet, il existe des exceptions. Notamment en ce qui concerne les Etats-Unis. Ce pays nous servira de prototype pour notre étude relative au dépérissement de la politique intervenant dans la phase de domination réelle du capital concrètement achevée.

De manière générale, à la différence des pays européens capitalistes, aux Etats-Unis le capitalisme s’implanta pratiquement immédiatement dans une civilisation totalement vierge, ou plutôt dans une société amérindienne archaïque totalement anéantie, exterminée. Aussi, le capital américain, dès sa naissance, n’eut pas à affronter et, par conséquent, à dissoudre, comme en Europe, un ordre économique antérieur dominant, des formations sociales anciennement établies puissantes.

Avant l’éclatement de la guerre de Sécession, deux principales formations sociales antagoniques régnaient aux Etats-Unis. Au Sud, l’économie était accaparée par une formation sociale archaïque occupant d’immenses exploitations agricoles fondées sur l’esclavage. Au Nord-Est, dominé par la bourgeoisie progressiste, était concentré le principal pôle d’accumulation capitaliste industriel.

Entre ces deux pôles, à l’ouest, nouvellement conquis, régnait l’économie rurale et la petite production marchande. Devant la nécessité de modernisation et de concentration de l’économie américaine, la bourgeoisie progressiste américaine dut anéantir le mode de production archaïque parcellaire du Sud, fondé sur l’esclavage. Si, à l’Ouest, la petite économie rurale se désagrégea tout naturellement par la force dissolvante de la valeur, c’est-à-dire sans la nécessité d’une médiation politique, au Sud il avait fallu la guerre de Sécession pour saper les bases de ce précapitalisme esclavagiste.

La guerre de Sécession fut le dernier grand débat politique (cette fois par des vraies armes) aux Etats-Unis. Et, de nos jours, la fin de la politique spectacle semble emprunter la même voie : elle dépérit dans l’affrontement violent. Et les dernières mascarades électorales nous ont fourni un avant-goût de cette guerre civile larvée qui travaille la société états-unienne, matérialisée par l’assaut contre le Capitole, assaut en vérité prémédité par les deux partis politiques bourgeois – Républicain et Démocrate – à des fins de diversion politique et, surtout, de légitimation du durcissement autoritaire de l’Etat et de la militarisation de la société. La politique spectacle est une forme de politique. Elle n’est pas l’absence – l’abolition du politique.

Aussi le capitalisme états-unien détruisit-il les dernières résistances érigées sur son territoire contre l’accumulation du capital. Au terme de la guerre de Sécession, le Sud se rangea au final par la force à l’économie marchande et au capitalisme monopolistique.

Au lendemain de cette guerre de Sécession, du fait de l’unification totale du capital américain, le fondement de tout débat politique d’envergure entama sa phase de déclinaison, puis progressivement sa phase de dissolution de la scène électorale désormais totalement dominée par la puissante formation économique et sociale exclusivement capitaliste.

Par le règne total sans partage du capital établi aux Etats-Unis, la vie politique américaine tendit à se réduire à une simple entreprise spectaculaire sans aucun enjeu hautement économique, sinon celui du capital, autrement dit de l’économie capitaliste.

Aussi la politique aux Etats-Unis s’éteignit-elle au lendemain de la guerre de Sécession. Depuis lors, la politique s’est totalement dévitalisée, réduite à la politique spectacle dominée par deux partis bourgeois inamovibles, les Républicains et les Démocrates, défendant tous deux les intérêts du capital. En raison de l’absence de modes de production précapitalistes, donc d’enjeux économiques radicalement divergents, et de l’intégration totale de la classe ouvrière au système capitaliste, la politique américaine se transforma rapidement en show politique.

Dorénavant, aux Etats-Unis, bien avant les pays européens, l’Etat devient immédiatement, et non plus médiatement, un agent de l’accumulation capitaliste. Le capitalisme devient le pôle central, voire exclusif, de l’organisation de la société. De sorte que, dans ce capitalisme «pur», du fait de l’anéantissement de tous les modes de production précapitalistes, et de l’atomisation totale du prolétariat américain dépourvu d’organisation politique propre, le débat politique s’établit désormais sans projet médiat. Désencombré des anciens modes de production, et donc aussi de sa classe politique représentant ces modes archaïques, le capital règne en maître absolu sur la société. La puissance extraordinaire du capital a réduit à néant toutes les oppositions précapitalistes. Seul demeure massivement vivant, érigé devant le capital, le prolétariat.

De fait, le capital trouve désormais face à lui une seule classe, le prolétariat qui, en dépit de son atomisation circonstancielle actuelle, demeure la seule formation sociale porteuse d’un projet de société post-capitaliste, c’est-à-dire contre et en dehors des catégories du capital (l’abolition du salariat, de la marchandise, de l’argent, de l’Etat, des frontières, de la propriété, etc.).

Aujourd’hui, l’unique authentique et salutaire débat politique se réduit à cette principale perspective : la révolution ou le néant ; autrement dit, le nihilisme, la barbarie. Ce schéma politique historique américain s’est progressivement étendu à l’ensemble des pays capitalistes développés. Désormais, à l’instar des Etats-Unis, la politique est devenue une sphère entièrement intégrée par le capital, un espace où règne l’absence de confrontations programmatiques économiques, étant entendu que l’économie libérale est devenue l’option indiscutée de la société et de la politique spectacle entièrement domestiquée par dictature capitaliste, système capitaliste consacré comme l’horizon indépassable de l’Histoire.

K. M.

(Suivra)

Comment (2)

    Anonyme
    21 septembre 2024 - 21 h 38 min

    « De fait, le capital trouve désormais face à lui une seule classe, le prolétariat qui, en dépit de son atomisation circonstancielle actuelle, demeure la seule formation sociale porteuse d’un projet de société post-capitaliste,.. »

    Le prolétariat… la seule formation sociale porteuse de projet post capitaliste.

    Mais la réalité révèle que cette affirmation est dans le domaine de la théorie pour ne pas dire du rêve. Cette analyse sur la crise de la gouvernance ou de la politique bourgeoise à l’ère de la récession économique est biaisée. En ne considérant que le monde occidental comme objet et sujet de critiques et en ignorant l’émergence du nationalisme-économique hindou et chinois entre autres, ainsi que de la puissance des mouvements islamiques sur des peuples d’Afrique du Sahel, du Moyen Orient et d’Asie centrale, on n’explique rien. Sinon qu’on participe à une entreprise de déstabilisation d’un camp au bénéfice d’un autre camp.

    D’autre part nous ne sommes plus à l’époque de K. Marx. La Terre est devenue un grand village où dans certains coins de ce village des gens vivent bien et même très bien. Alors que d’autres lieux, ce sont les guerres civiles ou inter état, c’est la famine, le chômage, la sécheresse, le feu, les inondations et autres catastrophes. Cette zone de la terre était nommée « pays en voie de développement ». Or pour la majorité de ces populations qui subissent drames et tragédies, c’est vivre un sous développement persistant et il n’existe pas ce prolétariat dont il est question dans cette contribution. C’est d’un —sous prolétariat— dont il s’agit. Et de ce statut on en parle pas. Et pourtant il concerne des millions de personnes au bord de la famine et abandonnées à leur sort par une gouvernance trop souvent corrompue et incompétente.

    Avant de faire le procès du capitalisme, de dirigeants européens, pourquoi s’abstraire de se pencher sur le sort de ce sous prolétariat? Ne nous concerne-t-il pas plus que les problèmes de Macron? Il est affirmé qu' »Aujourd’hui, l’unique authentique et salutaire débat politique se réduit à cette principale perspective : la révolution ou le néant. » Mais quelle révolution? Celle que fera l’Européen sera-t-elle identique à celle du Gabonais lambda? L’un vit dans un pays où les libertés sont appliquées et le niveau de vie l’un des plus hauts du monde. L’autre subit une autorité dictatoriale depuis son indépendance. Le premier dispose d’un niveau de vie que le second envie au point de quitter son pays au risque de perdre la vie.

    Bien entendu, on va me répondre que le pauvre gabonais en est réduit à vivre misérablement à cause de ces capitalistes occidentaux qui pompent les ressources du Gabon depuis la nuit des temps. Bien sur que les grandes entreprises sont présentent, pas seulement capitalistes d’ailleurs, et qu’elles exploitent leurs hydrocarbures par exemple. Mais… depuis l’indépendance où sont allés les milliards de dollars de royalties perçus par l’état gabonais? Alors que le peuple (quelques 1 million de personnes seulement) n’ont reçu que des miettes. Est ce que le sous prolétariat gabonais est victime de l’entreprise occidentale et chinoise actuellement et/ou de Monsieur Bongo et de sa descendance qui gouvernent leur pays sous la protection, aujourd’hui de la France, demain de la Russie ?

    Comment se fait il que le peuple malien dont la pays dispose de mines d’or faisant de ce pays l’un des principaux exportateurs au monde, vit dans la pauvreté pire que sous la domination coloniale. Les compagnies aurifères anglo sud africaine, canadienne et maintenant russe de wagner réalisent d’énormes bénéfices actuellement. Or vu le fonctionnement du régime militaire actuel, et au cours de l’incompétence des précédents, nul n’est en mesure de connaître le montant exact versé à l’état gabonais. Est ce qu’on peut appliquer le raisonnement qui est développé dans cette contribution à ce pays où sévit à la fois une guerre religieuse, ethnique et de recolonisation par les russes . Y a-t-il un prolétariat dans ce pays ? Non.

    Ces deux exemples montrent qu’il y a un déphasage entre la réalité que vivent des populations qui n’ont que faire de l’histoire et des questions ouvrières européennes. Les données capitalistiques ont complètement changées et sont devenues internationales. Prolétaires de tous pays, unissez vous ! Nous n’en sommes pas là. On devrait même dire nous n’en sommes plus là tellement le fossé s’élargit entre les peuples d’Afrique entre eux, comme entre ceux du monde entier.

    Les données économiques mondiales qui déterminent les conditions de vie sont tributaires d’une transformation climatique, actuellement en court, qu’il importe de prendre en compte dans toute analyse socio économique. Ainsi que devant l’évidence de l’épuisement des ressources terrestres. Ce qui est établi. C’est peut être dans la prise en compte de ces facteurs que naîtra la société de demain. Et c’est le monde scientifiques qui sera certainement en capacité de déterminer les conditions de vie sur terre. Comme il est devenu le concepteur du cadre de vie du monde dit « développé » qui imprègne toutes sociétés dites « évoluée », avec des moyens extraordinaires qu’il a inventés pour que des dirigeants criminels et inconséquents de l’ouest, de l’est, du nord et du sud fassent leur sale guerre.

    Actuellement la Chine subit une récession. Or cette nation et ce régime ne peut survivre économiquement et politiquement qu’en vendant le surplus de ses productions industrielles qu’il fabrique à l’ensemble des terriens tout en se servant à l’étranger des matières premières qui lui manquent. Ce qui démontre qu’un régime communiste en ce XXIème siècle est obligé de s’inspirer de régimes libéraux pour s’installer dans la durée. Il est bon de rappeler que l’auteur des réformes de l’économie chinois de 1977, Deng Xiaoping avait passé un message au peuple chinois qui était :  « Il est bon de s’enrichir ».

    Brahms
    20 septembre 2024 - 0 h 49 min

    Le système va organiser une baisse des cours pour voler les économies des petits actionnaires

    Ensuite, les bourgeois comme Elon Musk, Warren Buffet, Bill Gates rachèteront à des cours très bas pour encore faire des plus values financières plus tard et ce, sur le dos des petits actionnaires qui vendront car affoler par la perte financière.

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