Ces questions sur lesquelles la nation algérienne ne saurait jamais transiger
Une contribution de Khaled Boulaziz – «Nous sommes loin de la pacification pour laquelle nous avions été rappelés ; nous sommes désespérés de voir jusqu’à quel point peut s’abaisser la nature humaine et de voir des Français employer des procédés qui relèvent de la barbarie nazie.» (Jean Muller, ancien chef scout et militant.)
L’Algérie s’apprête à célébrer le 70e anniversaire du déclenchement de sa Révolution, un événement qui marque l’insoumission et la résistance face à la colonisation. Dans ce contexte de commémoration, il est essentiel de rappeler l’importance de la vérité historique et de la justice mémorielle. Dans ce contexte, toute tentative de réconciliation doit être scrutée avec soin, car la nation algérienne n’acceptera jamais une démarche sans justice, une rémission sans réparation.
Il est des sujets sur lesquels la nation algérienne ne saurait jamais transiger : l’histoire sacrée de sa Révolution. Les nationalistes se sont donnés la noble mission de dénoncer, à chaque nouvelle apparition de la commission mémorielle, les mensonges éhontés qu’elle propage. La déclaration de l’Elysée, en ce jour sombre, ne saurait être passée sous silence sans que nous n’y opposions un énième réquisitoire, révélant l’infamie de ce prétendu projet de réconciliation, une œuvre fallacieuse, tissée dans l’ombre d’une rémission trompeuse.
Dans ce vaste théâtre de l’histoire, où se mêlent les fils du passé et les échos mouvants de la mémoire s’élève, tel un titan indéfectible, l’ombre colossale de la guerre d’Algérie. Comme une figure immémoriale, elle porte sur ses épaules le poids de siècles d’injustice et de souffrance. Onze millions de mines sont enfouies, telles des épées de Damoclès suspendues au-dessus des plaines frontalières, chaque engin prêt à briser la vie et la paix des habitants. Un million et demi de martyrs, silhouettes héroïques gravées à jamais dans le marbre de l’épopée algérienne, témoignent de la lutte noble et acharnée pour la liberté. Deux millions et demi d’Algériens, contraints à l’exode sur leur propre terre, dépossédés et déracinés, errent comme des âmes en peine au gré des vents cruels de la guerre. Un demi-million de réfugiés, dispersés tels des feuilles arrachées par la tempête du destin, cherchent refuge loin des déchirements de leur patrie. O spectacle désolant de ces 8 000 villages autrefois palpitants de vie, réduits en ruines fumantes, témoins silencieux de la destruction impitoyable semée par le bras de la guerre.
Et que dire de ces forêts, cathédrales verdoyantes, dont un million d’hectares furent consumés par le feu dévorant du napalm, transformés en cendres sous la fureur insensée des hommes ? Le désert du Sahara, immense et mystique, est désormais souillé par les stigmates invisibles des essais nucléaires, porteur d’un fléau que nulle prière ne saurait apaiser, laissant derrière lui l’empreinte indélébile d’une humanité dévoyée.Ô, triste mascarade que cette prétendue «commission mémorielle» ! Elle n’est qu’un décor vide, une scène où la France tente, par des artifices dérisoires, d’effacer la noirceur abyssale de ses crimes coloniaux. Qu’est-ce qu’un mémorial sans justice, sinon un théâtre d’illusions, un voile pudique jeté sur l’abîme des souffrances éternelles ? Réconcilier par des mots creux, là où les actes crient vengeance n’est rien d’autre qu’un travestissement honteux de la vérité.
Mais que dire encore de ce simulacre, de cette grotesque parade ? Loin d’être un baume pour apaiser les plaies ouvertes de l’histoire, c’est un cautère sur une jambe de bois, une tentative désespérée de fuir la gravité de l’incommensurable. Comment peut-on prétendre panser une telle blessure avec de vaines paroles et des commissions sans force, alors que l’ampleur des crimes exige, non pas des discours, mais un tribunal ? Un procès digne de Nuremberg, où la responsabilité historique serait mise à nu sous les feux implacables de la justice. La mémoire seule ne suffit pas : il faut une sentence, des juges, que les bourreaux répondent de leurs actes.
Oui, le peuple algérien, dans sa noble souffrance, n’est pas dupe de cette farce. Que lui importe une réconciliation bâclée, si elle doit se faire sur le cadavre de la vérité ? Que valent de belles paroles si elles ne sont qu’un écran de fumée, masquant les lourdes responsabilités non assumées ? Il n’y a point d’oubli sans justice, point de réconciliation sans réparation. Tant que la France refusera d’affronter ses démons, tant qu’elle cherchera à dissimuler sous de soyeux voiles la réalité rugueuse de son passé colonial, la plaie demeurera béante, suintant à jamais l’injustice et la douleur.
Car chaque mine enfouie, chaque martyr tombé, chaque village rasé, chaque arbre consumé par le napalm est une clameur qui s’élève des entrailles de l’Algérie. Ces clameurs, traversant les siècles, ne réclament pas d’effacement mémoriel, mais une justice éclatante, une réparation équitable. Tant que cette justice n’est pas rendue, il ne peut être question de réconciliation. Ce n’est qu’une sordide réplique dans un théâtre d’ombres où la lumière de la vérité ne perce jamais.
K. B.
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