La Côte d’Ivoire au cœur des enjeux régionaux comme internationaux
Une contribution de Julie Jauffrineau – A l’aune des élections en Côte d’Ivoire, à l’horizon 2025, de nombreuses interrogations restent en suspens quant à la direction que prendra le pays. Restera-t-il tourné vers la France ou se rapprochera-t-il de ses voisins, les Etats du Sahel, avec qui il est actuellement en froid ? Au milieu des bouleversements qui agitent le monde, les élections en Côte d’Ivoire, loin d’être un seul enjeu national, constituent un enjeu international. Car comment comprendre qu’Alassane Ouattara continue à être perçu, dans la presse occidentale, comme un candidat légitime aux prochaines élections, quand bien même cela pourrait être considéré anticonstitutionnel ? Et comment expliquer l’absence de réaction internationale quant à l’inéligibilité de Laurent Gbagbo, non amnistié dans son pays par Ouattara, alors même qu’il a été acquitté par la CPI ? Mais ces élections sont peut-être aussi l’occasion d’avoir une nouvelle figure à la direction du pays. Dès lors, intéressons-nous aux enjeux à venir.
La lutte panafricaniste : enjeu des prochaines élections
Le monde traverse une nouvelle période de décolonisation, comme on peut le voir avec Gaza mais aussi avec la Nouvelle-Calédonie ou l’Ile Maurice, dont ne sont pas exempts les pays africains. Justement, la lutte panafricaniste entre dans cette même mouvance pour retrouver une pleine souveraineté des Etats africains. Cela s’exprime à travers la volonté d’avoir une monnaie indépendante, une plus grande représentativité dans les institutions internationales, et la liberté de choisir ses partenariats. Des enjeux au cœur des prochaines élections en Côte d’Ivoire.
Bien que se disant favorable à l’abandon du Franc CFA et à une plus grande représentativité des pays africains au sein des institutions internationales, le camp en faveur de Ouattara, le Rassemblement des républicains, semble se plier aux directives occidentales. A titre d’exemple, suivant ces directives, la Côte d’Ivoire n’a pas reconnu légitime le gouvernement d’Ibrahim Traoré au Burkina Faso et a été l’un des premiers pays à imposer des sanctions économiques illégitimes aux pays du Sahel. On voit ici tout le paradoxe de la politique du gouvernement de Ouattara. En effet, il ne peut se détourner des nouvelles aspirations de son peuple mais, en même temps, il n’engage en rien une collaboration avec ses voisins, chefs de file de la lutte panafricaniste, bien au contraire. Les tensions ne cessent de s’aggraver entre ces pays. Récemment, le Burkina Faso accusait d’ailleurs la Côte d’Ivoire d’accueillir sur son territoire, avec la complicité de la France, des centres d’opération servant aux djihadistes pour déstabiliser son pays. Une accusation qui n’a d’ailleurs pas été démentie par le gouvernement ivoirien.
Ces décisions ivoiriennes ont permis de consolider les partenariats avec l’allié historique du pays, la France. Mais quel crédit donner à cette alliance lorsque l’une des seules requêtes «panafricanistes» de Ouattara, celle que l’Afrique soit représentée au Conseil de sécurité de l’ONU, a sciemment été évincée par Macron, lors de son allocution à l’Assemblée générale des Nations unies ? Et quelle souveraineté escompter lorsque ce type de partenariat est conditionné par une occupation militaire du pays destinée à déstabiliser son voisin ? C’est pourquoi le Parti des peuples africains, côté Gbagbo, comme d’autres partis de l’opposition, revendiquent la nécessité de renouer le dialogue avec les pays du Sahel pour s’inscrire véritablement dans la lutte panafricaniste.
Mais l’idée que la Côte d’Ivoire se rapproche des Etats du Sahel reste peu séduisante pour l’Occident. Cela signerait une nouvelle perte d’influence de la France dans cette région, où elle est de plus en plus désavouée. Mais surtout, cela offrirait un port à cette alliance et donc un moyen d’accroître les échanges commerciaux pour stimuler le développement économique de l’ensemble des pays de la région. Ce à quoi se refuse l’Occident qui a toujours préféré la politique du «diviser pour mieux piller».
Face à la menace terroriste : la Côte d’Ivoire prise entre deux feux
Si le terrorisme en Afrique de l’Ouest ne menace pas directement la Côte d’Ivoire, pour autant, l’extension du terrorisme dans cette région prend la forme d’un conflit mondial opposant les puissances occidentales, aux partisans d’un monde multipolaire. Cela contraint le pays à prendre position sur l’échiquier mondial et constitue un enjeu de taille pour les prochaines élections.
Les sanctions injustes, imposées aux Etats du Sahel par l’Occident, sont révélatrices des tensions entre l’Occident et la Russie, en Afrique. Pendant dix ans, les meilleures armées du monde, qui aujourd’hui contribuent à l’anéantissement de Gaza, ne sont pas parvenues à éliminer la menace terroriste dans la région. Au contraire, elle n’a fait que s’amplifier. Aujourd’hui, les peuples combattent des rebelles étonnamment surarmés. Dans ce contexte-là, les pays de l’AES, ont mis fin à leurs partenariats militaires avec les puissances occidentales et se sont tournés vers la Russie dans l’espoir de mettre véritablement fin à la menace terroriste. Un choix qui déplait aux Etats-Unis qui y voient une perte de leur influence sur ce territoire et multiplient les pressions sur les pays ayant fait le choix de coopérer avec la Russie. Marchant dans les pas de l’Occident, la Côte d’Ivoire participe aujourd’hui activement aux sanctions imposées à ces pays, comme expliqué précédemment.
Mais cette confrontation entre les puissances s’observe également à travers l’extension du conflit entre la Russie et l’Ukraine en Afrique. Alors que la Russie lutte contre le terrorisme aux côtés des armées nationales de l’AES, de son côté, l’Ukraine apporte son soutien aux rebelles Touareg et aux djihadistes dans le Sahel. Un fait qu’on peine à expliquer au regard de la débâcle de l’Ukraine. Comment le pays peut-il avoir les moyens d’appuyer des groupes terroristes à l’étranger alors même qu’il ne cesse de demander de nouveaux financements à l’Union européenne et aux Etats-Unis pour pouvoir mener la guerre de l’OTAN, par procuration, contre la Russie ? Quoi qu’il en soit, si globalement les pays d’Afrique étaient restés jusqu’alors en retrait du conflit russo-ukrainien et ne prenaient pas parti, l’Ukraine a, depuis lors, subi un sérieux revers diplomatique en Afrique de l’Ouest.
Face à cette guerre par procuration en Afrique, les prises de position d’Abidjan, jusqu’alors bien affirmées en faveur de l’Occident, sont aujourd’hui marquées par le silence. En effet, dès le début du conflit russo-ukrainien, l’Etat ivoirien s’est engagé à soutenir Kiev, aux côtés de l’Union européenne et des Etats-Unis. Il est devenu un véritable allié de l’Ukraine en Afrique. Toutefois, suite à l’attaque d’une violence inédite des forces séparatistes et djihadistes contre l’armée malienne et les forces Wagner, fin juillet 2024, il n’y a plus de doute sur l’aide ukrainienne apportée aux djihadistes. Le porte-parole militaire de l’Ukraine, Andriy Yusov, l’a affirmé en personne à la télévision. Alors que les pays du Sahel ont condamné l’Ukraine auprès des Nations unies, la Côte d’Ivoire aurait ouvert une enquête visant la toute nouvelle ambassade d’Ukraine à Abidjan. Simple formalité ? L’enquête reste pour l’heure sans suite car accuser l’Ukraine signifierait se mettre à dos les alliés occidentaux. Mais que fera le prochain gouvernement ? Optera-t-il pour le silence ou condamnera-t-il les faits ? Restera-t-il aligné sur l’Occident ou prendra-t-il une décision souveraine, libérée de toute pression extérieure ?
Défier l’ingérence pour forger de nouvelles coopérations
Pourquoi la Côte d’Ivoire devrait-elle avoir à choisir entre l’Occident et les faits avérés ? Toute décision devrait être prise au regard des intérêts sécuritaires et économiques du pays et non pas dans la crainte de sanctions étrangères illégales et injustes. Non plus dans la crainte d’une ingérence étrangère qui puisse déjouer le cours des élections, comme cela s’est passé en 2010, menant le pays à la guerre civile.
Dès lors, qu’attendre encore de Ouattara, placé au pouvoir de l’Etat ivoirien en 2010, contre la décision du Conseil constitutionnel ? Un revers diplomatique, qui viserait à se libérer du joug occidental pour assurer la souveraineté du pays, semble peu probable de sa part. Il risquerait de perdre ses plus grands alliés, qui lui ont permis d’accéder à la présidence du pays de manière plus que suspecte, et se verrait soudainement accusé de dictateur. Or, le développement du pays ne pourra être effectif qu’à la condition de faire valoir la souveraineté de l’Etat, en éloignant toute menace d’ingérence qui menace la stabilité nationale et en exerçant la liberté de fonder des partenariats plus justes et équitables.
Dès lors, quel que soit le prochain président, un pays comme la France, ami historique de la Côte d’Ivoire, n’a d’autre option que celle de repenser ses partenariats économiques. Plutôt que de s’insurger contre la présence de la Russie et de la Chine en Afrique, la France aurait plus à gagner en questionnant les raisons qui poussent les pays africains à créer des partenariats avec ces puissances. Il ne tient qu’à l’Occident de proposer des partenariats plus justes, gagnant-gagnant. A quoi cela sert-il de louer l’envoi d’aides humanitaires lorsqu’en parallèle les ressources sont pillées ? Or, de même que la Côte d’Ivoire a besoin de renforcer ses partenariats internationaux pour favoriser son développement économique, de même, la France ne peut se détacher de la Côte d’Ivoire pour répondre à ses besoins énergétiques.
A l’heure du monde multipolaire, où chaque pays souhaite exprimer pleinement sa souveraineté, la France doit refonder l’ensemble de ses partenariats avec l’ensemble des pays de la Françafrique, si elle souhaite renouer avec ses alliés historiques. L’Afrique de l’Ouest ne veut plus de la présence militaire française sur son territoire, mais réclame des partenariats économiques équitables. Il en va de l’intérêt de la France d’y répondre. Avec la langue française en partage et les liens historiques et culturels unissant ces pays, reforger la coopération est encore possible.
J. J.
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