La crise de la gouvernance ou la politique bourgeoise à l’ère de la récession économique (IX)

GJ monde capitaliste
La répression des Gilets jaunes.

Dossier réalisé par Khider Mesloub – Ainsi, nous vivons la fin d’un monde capitaliste, celui de la démocratie bourgeoise avec son système politique, ses Parlements, ses droits, ses pouvoirs et contre-pouvoirs devenus superflus car, désormais, les lois et les mesures despotiques sont dictées directement par le pouvoir exécutif, autrement dit l’Etat, ce conseil d’administration du Grand capital international, sans être ratifiées par les Parlements.

Nous assistons à la fin de la souveraineté du pouvoir judiciaire désormais dépouillé de son apparente et illusoire indépendance, à la mort de la liberté d’expression et de la presse, illustrée par la disparition des fonctions de contrepoids correctif démocratiques défendues par des instances de régulation libres, désormais menacées de disparition car encombrantes en période de guerre de classe. Cela dévoile également le caractère illusoire de la démocratie bourgeoise. En effet, la démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital.

Dans l’histoire, démocratie et dictature, deux modes de régulation politique au sein du même mode production capitaliste, se succèdent alternativement, au sein du même Etat, au gré des conjonctures socioéconomiques et de l’assoupissement ou de l’exacerbation de la lutte des classes. La politique, lieu d’affrontements par excellence, est nécessairement despotique. De fait, elle ne peut tolérer l’opposition et la contradiction, excepté comme antagonisme institutionnellement policé et orienté vers la stabilité sociale, le respect de l’ordre existant, opéré au sein de structures parlementaires ou communales par essence incorporées au pouvoir étatique.

Avec la crise économique systémique actuelle, couplée à une profonde instabilité institutionnelle, la nécessité de lutter en dehors et contre les instances politiques officielles s’impose à l’ensemble du prolétariat mondial. Cette autonomisation du combat s’est affirmée dans de nombreux pays, notamment en France avec les Gilets jaunes. En effet, ces dernières années nous avons vu émerger la contradiction entre politique officielle et mouvement de masse, entre politique électoraliste et lutte de classe. Indéniablement, la politique est l’espace de la régulation et de la pondération institutionnelle des conflits, de l’équilibre interclassiste, du respect des normes étatiques, de la pacification des rapports sociaux entre «citoyens», mais également le lieu de la «violence légitime» de l’Etat.

Le processus de désagrégation de la politique, vidée de sa dimension conflictuelle purement idéologique, longtemps ritualisée par les mascarades électorales, se confirme chaque jour davantage avec la crise institutionnelle et la croissance de la défiance et de l’abstentionnisme.

Désormais, la politique est devenue une affaire intra-bourgeoise, et vis-à-vis des classes populaires, la politique devient une entreprise de terreur exercée contre l’ensemble du prolétariat. En effet, si la politique continue à fonctionner comme instance de régulation pacifique des conflits entre bourgeois, en revanche, dans ses relations avec les populations laborieuses, aujourd’hui, elle dévoile sa hideuse figure criminelle qu’elle a toujours en vérité masquée sous le voile de la démocratie bourgeoise : celle de la répression policière, des arrestations, de l’incarcération arbitraire, du contrôle social, de la surveillance électronique, du confinement pénitentiaire, de l’état de siège, du couvre-feu. En résumé, de la militarisation de la société, de la démocratie totalitaire, dernière invention du capital, que j’ai baptisé démospotisme.

Le démospotisme, c’est ce mode de gouvernance occidentale, donc français, qui a l’apparence de la démocratie par l’élection, mais le vrai visage du despotisme par la gestion étatique.

Dès que la désintégration de la société n’accorde aucune perspective de reconfiguration de la vie sociale par un sursaut collectif émancipateur, la tendance de destruction se métamorphose rapidement en pulsion individuelle d’autodestruction.

Contrairement à la propagande distillée par tous les partis politiques institutionnels, suggérant que le pouvoir gouvernemental émanerait des urnes, il faut réaffirmer que les élections sont une pure mascarade. Le pouvoir gouvernemental repose sur les coffres-forts des banques, les matraques policières et les blindés des casernes. Les urnes lui servent à enterrer les illusions électoralistes du prolétariat aliéné.

Certes, des dissensions peuvent apparaître entre les diverses fractions composant l’Etat capitaliste sur l’orientation de certaines politiques économiques et sociales. Mais ces dissensions entre les partis en lice pour la gouvernance demeurent circonscrites au sein de l’espace institutionnel, et surtout toujours conformes aux intérêts du capital.

De manière générale, depuis plus d’un siècle, dans tous les pays, les élections ont toujours constitué un moyen efficace de dévoiement du mécontentement social. Même des pays longtemps adversaires acharnés de tout multipartisme ont fini par se convertir avec zèle à cette nouvelle religion du capital, la démocratie. Et pour cause. De même, dans les pays d’obédience démocratique, en proie à la perte de la foi électoraliste de leurs sceptiques citoyens, les classes dirigeantes mènent des campagnes de prosélytisme pour rabattre les brebis égarées dans l’isoloir, qui porte si bien son nom tant il participe de l’atomisation des prolétaires. Dans nombre de pays, le taux d’abstention avoisine les 70 %. Cet abstentionnisme est le corollaire du rejet profond éprouvé à l’égard des «politiques » de droite comme de gauche. Néanmoins, si la participation électorale subit une réelle érosion, en revanche l’idéologie démocratique demeure vivace parmi nombre de citoyens, en particulier parmi la petite et moyenne bourgeoisie.

Aussi, avec des intonations inquisitoriales, le pouvoir fait-il régulièrement le procès des abstentionnistes accusés d’hérésie démocratique, de sacrilège électoraliste, pour s’être éloignés du rite citoyenniste, avoir abjuré leur foi démocratique. Pour avoir relevé avec inquiétude la tendance grandissante de la population à s’éloigner du rite électoraliste, la bourgeoisie a décidé de déployer tous les moyens de propagande pour endiguer l’hémorragie abstentionniste. Devant le scepticisme grandissant des prolétaires, indifférents au rituel électoral consacré par l’alternance gauche-droite, pour redorer la foi de la démocratie ternie par la corruption morale de ses représentants parlementaires et gouvernementaux, le grand capital s’est résolu à miser sur de nouveaux prophètes de la politique, censément porteurs de nouveaux dogmes aux conceptions immaculées : le bonapartisme à la Macron ou le populisme à la Trump, tous deux censément être au-dessus des partis politiques, des classes sociales.

Quoi qu’il en soit, la promotion de la démocratie comme nouvelle religion du capital semble susciter qu’indifférence parmi les classes populaires inscrites toujours dans la dynamique de l’abstentionnisme. Mais au-delà de cette abstention active, de la compréhension de la futilité des élections, s’impose pour le prolétariat l’impérative nécessité de prendre conscience que la démocratie bourgeoise doit être radicalement dépassée pour pouvoir inscrire sa lutte sur un registre politique exclusivement révolutionnaire.

L’implacable vérité est que le prolétariat ne s’émanciperait pas avec les moyens de lutte inhérents à la bourgeoisie, par essence destinés à le maintenir dans l’asservissement, notamment les instances parlementaires, départementales et communales, des structures dominées par le capital. Sans conteste, le retour du prolétariat sur la scène de la lutte sociale, illustrée par les multiples révoltes à travers le monde, indique qu’il est en voie de développer une réflexion en profondeur sur la signification du chômage massif, les attaques antisociales récurrentes, le démantèlement des systèmes de retraite et de protection sociale. Et sur la nécessité de s’auto-organiser au sein de ses propres instances de lutte pour abattre le capitalisme.

K. M.

(Suite et fin)

Comment (2)

    Abou Stroff
    26 octobre 2024 - 6 h 59 min

    « Sans conteste, le retour du prolétariat sur la scène de la lutte sociale, illustrée par les multiples révoltes à travers le monde, indique qu’il est en voie de développer une réflexion en profondeur sur la signification du chômage massif, les attaques antisociales récurrentes, le démantèlement des systèmes de retraite et de protection sociale. » conclut K. M..

    question à un doro adressée à mister K. M.:

    où et quand avez vous perçu un quelconque retour du prolétariat sur la scène de la lutte sociale?

    réponse à un doro de la part de mon auguste personne:

    je ne vois rien qui puisse s’apparenter à un quelconque retour du prolétariat sur la scène de la lutte sociale. par contre, je remarque un réveil et la montée palpables et quantifiables des nationalismes (voir, entre autres, la montée des extrêmes droite dans quasiment toutes les formations sociales où le capitalisme a atteint sa plénitude) qui dissimulent, pour le moment, la contradiction fondamentale (i. e. la contradiction capital-tavail) du capitalisme, qui empêche les prolétaires de se constituer en tant que classe pour soi et, qui, par conséquent, renvoie la révolution prolétarienne aux calendes grecques.

    ceci étant dit, reconnaissons que: « Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. » (K. Marx).
    or il s’avère que, pour le moment, le système capitaliste continue, malgré des couacs, à développer les forces de production et rien, absolument rien, n’indique son effondrement dans le futur prévisible*.

    moralité de l’histoire: il n’y en aucune, à part que « l’humanité ne se propose jamais que des tâches qu’elle peut résoudre » (K. Marx), et qu’au moment présent, la révolution prolétarienne ne semble pas être une tâche à l’ordre du jour, à moins de prendre ses désirs pour la réalité.

    wa el fahem yefhem.

    * on peut envisager un passage d’un monde unipolaire à un monde multipolaire, mais cela n’implique nullement la disparition du capitalisme en tant que système dominant

    Sprinkler
    25 octobre 2024 - 14 h 16 min

    Cette même analyse – toute échafaudée fût-elle – est révolue. Le dualisme « bourgeoisie-prolétariat » ne nous laisserait donc aucune alternative « heureuse » hors de cet étau dont les mâchoires acérées sont le « capital prédateur » et le « communisme totalitaire », deux systèmes esclavagistes, à la fois complémentaires et exclusifs.

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