Dossier – Aux origines profanes du voilement des femmes (I)
Dossier réalisé par Khider Mesloub – Récemment, le renvoi d’une étudiante portant le voile intégral, le niqab, par une enseignante à l’Université d’Alger I (Benyoucef-Benkheda, ex-Faculté centrale) a enflammé les réseaux sociaux algériens et relancé le débat sur le voile. Certains ont dénoncé cet «accoutrement étranger à l’identité et à la culture algérienne». Pour les contempteurs du voile, il est «l’expression d’un islamisme rétrograde», en particulier au sein d’une institution universitaire censée prodiguer le savoir.
Ce n’est pas la première fois que ce genre d’incident lié au voile secoue l’Université algérienne. Pour de nombreux observateurs, ces polémiques récurrentes soulèvent, au-delà de la question des libertés individuelles, «la problématique identitaire, culturelle, la place de la religion dans l’espace public et l’islamisation de la société algérienne», l’influence de certains courants politiques et prédicateurs du Moyen-Orient.
L’occasion, pour nous, de proposer aux lecteurs d’Algeriepatriotique une brève étude sur les origines du voile.
Aux origines sociales de l’«infériorisation physiologique» de la femme
Dans sa genèse, c’est-à-dire dans sa formation anthropologique et historique, tout comme dans sa version religieuse postérieure, aujourd’hui perpétuée illégitimement par les musulmans, le voile symbolise l’avilissement de la condition féminine.
Il n’a jamais été une mode vestimentaire inventée par la gent féminine pour se mettre en valeur, un apparat adopté pour rendre la femme plus séduisante. L’invention en revient à l’homme, au mâle en mal de domination.
Contrairement à l’opinion communément répandue, le voile n’a pas été inventé par l’islam. Il est apparu des milliers d’années avant la naissance de l’islam. Le voile n’a aucune justification théologique. Produit de sociétés tribales, c’est une survivance archaïque perpétuée par l’homme pour pérenniser son pouvoir de domination sur la femme. De surcroît, il s’inscrit dans cette opposition culturelle millénaire entre la ville et la campagne.
La fonction fait l’organe. La femme, dès l’origine de l’hominisation, fut mise en difficulté de productivité par ses fonctions naturelles. Plus précisément par ses régulières menstrues, ses fréquentes grossesses.
De manière générale, condamnée périodiquement au repos en raison de l’affaiblissement de son corps endolori par les menstrues ; amoindrie physiquement par ses récurrentes grossesses au point de réduire son activité ; prisonnière durant des années de l’éducation de sa progéniture élevée dans l’enclos domestique ; la femme, invalidée par ses multiples fonctions naturelles et occupations féminines, dut réduire considérablement ses déplacements, ses activités productrices de valeur (pour assurer ses activités reproductrices), opérées en dehors du périmètre tribal, notamment pour pouvoir s’adonner à la chasse. Chasse devenue ainsi, sans jeu de mots, la «chasse gardée» de l’homme.
Dans cette période reculée, où il vivait sans feu, sans armes, l’Homme devait surtout affronter des bêtes extrêmement féroces. Dès cette époque primitive, vivant en groupes, ces activités prédatrices influèrent sur l’évolution physique, mentale et sociale de l’homme.
Ainsi, la chasse, cette activité prédatrice requérant l’usage de la force, permit à l’homme de développer sa musculature, d’aguerrir son tempérament agressif, d’affermir son caractère calculateur, diligent, prévoyant. La fonction faisant l’organe, l’homme nous prouve que, grâce à ses fonctions prédatrices développées au cours de l’évolution de l’humanité, ses organes se sont métamorphosés.
A contrario, à cause de son inactivité due à ses fonctions reproductrices, les organes de la femme se sont atrophiés. De nos jours, la participation depuis plus d’un siècle de la femme à l’activité professionnelle et sociale a réduit considérablement les différences physiologiques entre les deux sexes. La femme est tout aussi capable et compétente d’accomplir des fonctions jusque-alors réservées à l’homme.
Pareillement en matière sportive. Son «infériorisation» physiologique millénaire a des origines sociales liées aux spécificités des modes de production antérieurs phallocratiques et à quelques caractéristiques génétiques.
Somme toute, l’exclusion de la femme de cette activité prédatrice propice à l’accroissement de la corpulence musculaire eut raison de ses facultés physiques diminuées considérablement au fil de l’évolution de l’humanité. Cette faiblesse corporelle de la femme finit par la rendre plus vulnérable. Devenant ainsi une proie facile pour l’homme avide de domination favorisée par ses triomphales batailles obtenues contre les fauves. Grâce à ses exploits réalisés dans le cadre de ses activités de chasse, lui prouvant sa supériorité sur certaines espèces animales capturées, son inclination à la domination sur l’espèce humaine, en particulier la femme, va germer, s’affirmer, s’intensifier. De la capture et de la soumission des animaux, œuvres de l’homme, on passe à la capture et la soumission des êtres humains, œuvre d’une classe sociale. Cette phase marque la naissance de l’esclavage.
A cette période primitive, les hommes ont musclé non seulement leur corps, mais ils ont, surtout, développé un esprit de corps. Puis, ils ont créé, pour justifier et légitimer leur force de domination et leur domination par la force, c’est-à-dire consacrer et sacraliser leur hégémonie virile, un corps d’esprit forgé à l’image de leur mentalité irascible, vengeresse et tyrannique : dieu. Un dieu, encore une fois à leur image virile, tout puissant, doté de tous les pouvoirs. Tous les hommes, vis-à-vis des femmes, se sont intronisés patriarches.
C’est la naissance du patriarcat. Pour rappel, patriarche (la même étymologie que patriarcat), du grec patriarkhês, lui-même composé à partir de patria, «descendance, lignée paternelle», et arkhein, «diriger, commander», signifie chef de lignée, ancêtre dans la foi. Plus globalement, chacun des ancêtres (mâles) des tribus de l’humanité.
Ainsi, fragilisée physiquement par ses menstrues et grossesses répétées, retirée de la vie laborieuse prédatrice propice à l’affermissement musculaire, à la fortification du tempérament agressif, la surexcitation de la violence, activité laborieuse prédatrice dévolue exclusivement à l’homme ; cantonnée aux tâches domestiques accomplies dans un périmètre réduit à l’enclos clanique, la femme finit par perdre tout contrôle de son être. Et devenir une proie facile d’asservissement. Progressivement, l’homme va succomber au prurit de la domination.
La femme, premier être humain à être asservi, opprimé, exploité, aliéné
Après avoir, par sa prodigieuse force et ses qualités d’endurance acquises grâce à son activité de chasseur, exercé son pouvoir sur certains gibiers capturés pour la nourriture de la tribu, il étendit son emprise prédatrice et dominatrice sur la femme, handicapée par ses fonctions naturelles invalidantes pour opposer toute résistance. La femme deviendra désormais la «bête noire» et la «bête de somme» de l’homme !
Cette femme, originellement défavorisée physiquement, sera progressivement dévalorisée socialement. Mais favorisée sentimentalement. Valorisée humainement.
En effet, contrairement à l’homme engagé dans un processus d’ensauvagement à force de côtoiement des bêtes dans ses activités prédatrices, la femme conservera cette sentimentalité humaine des premiers hominidés, favorisée notamment par son exclusive activité nourricière et protectrice exercée auprès de sa progéniture. Nous rejoignons là la question de la phylogenèse. L’homme façonnera sa personnalité au contact des fauves côtoyés dans les forêts sauvages loin de sa tribu. Cela donnera naissance à cette brute toujours aussi barbare. La femme, elle, conservera intacte son humanité grâce à ses relations humaines privilégiées établies uniquement avec les membres «pacifiques» de sa famille établie au sein du clan. Ses liens noués exclusivement avec les humains lui permettront, grâce à sa sentimentalité, sa sensibilité, son émotivité, de sauvegarder son humanité. Et par extension, l’Humanité, de sa déchéance morale.
Ainsi, du fait de l’affaiblissement physique de la femme, il était plus commode et possible pour l’homme de s’approprier une femme – voire plusieurs – et de la traiter comme une proie capturée et appropriée pour assurer la continuité de son héritage par le biais de sa progéniture fournie par sa femme-objet, grâce à ses fonctions reproductrices auxquelles désormais elle sera sexuellement assignée et socialement réduite.
Progressivement, par sa soumission au pouvoir de l’homme, la femme finit par devenir un objet d’exploitation sexuelle et sociale, un bien ayant une valeur marchande susceptible d’être échangée sur le marché matrimonial dominé par les chefs (masculins) de famille, une monnaie de négociation entre tribus, une source de richesse. C’est le début de la division sexuelle du travail.
De fait, historiquement, dans l’interminable développement ininterrompu des assujettissements ponctués par l’esclavage, le servage, le colonialisme, le salariat, la femme fut le premier être humain à être asservi, opprimé, exploité, aliéné.
Au cours de cette phase du développement de l’histoire encore inscrite au stade clanique, les sociétés primitives se caractérisent par la généralité de l’exogamie, c’est-à-dire l’interdiction d’épouser une parente légale. Pour protéger son territoire vital contre les incursions de ses voisins, assurer la sécurité de ses zones de chasses, la société tribale instaure cette institution matrimoniale nommée exogamie au sein de laquelle la femme sert de monnaie d’échange, moyen de pacification des relations entre tribus.
En effet, pour réduire les conflits entre tribus, et ainsi tisser des liens de cohabitation pacifique, la femme servira de moyen (monnaie) d’échange. C’est la naissance de l’exogamie.
Dans cette forme de société, la fille n’est plus réservée aux membres mâles de la tribu «autochtone», comme dans le cas de l’endogamie, mais offerte à un membre mâle d’une autre tribu.
Au cours de ce processus de développement de l’humanité, l’instauration de l’exogamie entraîne une profonde mutation «anthropologique» de mentalité. Les relations sexuelles entre membres d’une même famille seront désormais proscrites. C’est la naissance de la prohibition de l’inceste. L’interdiction de l’inceste est, depuis ses origines, une règle sociale, et non naturelle.
Et la preuve d’absence de rapports sexuels noués avant la livraison de la femme au membre mâle d’une autre tribu sera administrée par le constat de la virginité de la femme. Le premier pilier de la nouvelle humanité inégalitaire fut donc le tabou de l’inceste favorisé par l’exogamie. Le second pilier corrélatif sera la virginité de la femme (mais paradoxalement jamais de l’homme évidemment). Originellement, la virginité de la femme n’avait aucune valeur morale, mais une dimension «économique», moyen d’authentification de la qualité de la marchandise échangée, prête à la consommation, à la production lucrative, à la reproduction humaine.
Victime d’oppression et d’exploitation dès la phase paléolithique, la femme verra son avilissement s’accentuer au stade néolithique, c’est-à-dire avec la naissance de la ville, favorisée par la révolution de l’agriculture. Dès lors, avec la révolution néolithique, il ne fut plus nécessaire de se contraindre aux relations de bon voisinage avec les autres tribus.
Grâce à la culture des céréales et à la domestication des animaux, c’est-à-dire l’abondance des troupeaux et des champs agricoles exploitables sans limite dans le cadre de la propriété privée nouvellement instituée, on pouvait désormais chasser et dévaster à volonté.
La naissance de la ville réduit la femme à une condition vile
Avec la révolution néolithique, la société allait surtout pouvoir conserver «ses» femmes au sein de la tribu, convoiter et capturer celles des autres tribus car la femme pourrait œuvrer (force productive), produire et reproduire dans les potagers, les champs, les premières entreprises agricoles exigeant une force de travail corvéable et exploitable à volonté.
La société allait instaurer la prohibition de l’échange des femmes, devenues aussi précieuses que le bétail et les semences, sources de richesses. Réintroduire l’inceste, la polygamie. Promouvoir la guerre, le racisme, l’esclavage. Et surtout perpétuer l’obsession de la virginité féminine. C’est la naissance dans certaines régions de l’endogamie.
Ainsi, si la révolution néolithique permet l’éclosion extraordinaire des forces productives, notamment dans les villes, matérialisée par le développement de l’artisanat, l’invention et la diffusion de l’agriculture et de l’élevage, de la navigation, du tissage et de la céramique ; des fonctions administratives et gouvernementales, ainsi que des activités intellectuelles répandues grâce à l’invention de l’écriture, et l’accumulation de surplus alimentaire et vestimentaire, cette révolution néolithique ne profitera jamais à la femme.
Cette révolution lui sera fatale. Toutes ces nouvelles activités artisanales, administratives et intellectuelles seront l’apanage de l’homme. La femme étant totalement exclue de ses nobles et productives fonctions techniques et intellectuelles.
C’est au cours de cette longue période marquée par l’essor des villes, notamment dans les régions de la Mésopotamie et le pourtour méditerranéen que le voile va prendre naissance, s’imposer aux femmes.
Ironie de l’histoire, la ville s’est révélée être plus aliénante et oppressive à l’égard de la femme que la société tribale. Effectivement, dans la tribu, quoique assujettie au pouvoir de l’homme, la femme était libre. Elle circulait librement dans l’espace public de la tribu.
Elle arborait fièrement son visage et sa chevelure au sein de sa tribu. Elle évoluait parmi ses semblables sans subir ni discrimination, ni proscription, ni interdiction.
C’est dans ce contexte de la naissance de la ville qu’il faut donc situer l’imposition du voile à la femme. Et de manière générale, la dégradation accentuée de la condition féminine. En effet, la ville, alimentée par le flux continu de nouveaux «migrants» issus des tribus environnantes sédentaires ou nomades, allait constituer une agression pour ces nouveaux résidents citadins détribalisés. Particulièrement pour les femmes exposées au regard des autres citadins. Pour les soustraire au regard des étrangers afin de conserver leur valeur marchande certifiée par leur virginité, les parents mâles (père, frère ou mari) s’activeront à cloîtrer leurs femmes sous le voile, symbolisant l’hymen, cette membrane érigée en citadelle de l’honneur de la société patriarcale.
Le voile devient ainsi la nouvelle prison ambulatoire de la femme fraîchement «citadinisée». Emmurée dans sa demeure urbaine, elle sera tout aussi encagée sous le voile dans ses rares sorties autorisées par le mâle.
Effectivement, outre les restrictions sévères imposées à la circulation de la femme seule en dehors du périmètre confiné de sa résidence familiale, la femme, lors de ses rares déplacements obligatoirement accompagnés d’un mâle, doit désormais impérativement porter le voile.
C’est à cette époque antique foncièrement patriarcale que le voile est rendu obligatoire par le roi d’Assyrie (Irak) : «Les femmes mariées n’auront pas leur tête découverte. Les prostituées seront voilées.»
Sans conteste, il y a une relation de cause à effet entre endogamie tribale (ou plutôt sa dégradation) et un certain avilissement de la condition féminine.
K. M.
(Suivra)
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