Kamel Daoud ou comment revisiter le nègre de maison à la sauce néocoloniale

Daoud Gancourt
Kamal Daoud. D. R.

Ce 4 novembre 2024, Kamel Daoud s’est vu décerner le prix Goncourt pour son nouveau roman, Houris, un récit sur la décennie noire en Algérie, qui explore la violence et le traumatisme de la guerre civile des années 1990. Ce prestigieux prix vient couronner un écrivain dont le parcours littéraire a été marqué par la controverse et des prises de position tranchées, mais politiquement correctes. Depuis «Meursault, contre-enquête», sa première œuvre remarquée qui revisitait L’Etranger de Camus, Daoud suscite des débats passionnés. Son succès littéraire en France, doublé d’une image d’intellectuel critique de l’Algérie contemporaine, l’a érigé en figure médiatique choyée, surtout dans un climat où il fait bon de casser l’Algérie.

Le choix de la décennie noire par Daoud dans Houris n’est pas innocent, et la prétention de l’auteur à dire que ce sujet est insuffisamment abordé en Algérie relève non seulement d’une foutaise, mais d’un aveu qu’il s’agit bien d’un bon de commande. En effet, la décennie noire a été l’objet de milliers d’articles et de dizaines de romans, notamment ceux de Yasmina Khadra, qui ont puissamment exploré les cicatrices de cette guerre, et avec une plume beaucoup plus talentueuse que notre Daoud de service. En revendiquant la nécessité d’aborder un sujet soi-disant refoulé, Daoud justifie ainsi un thème qui, pour certains, répondrait davantage à un agenda politique. Ce prix Goncourt est donc l’occasion de s’interroger sur le personnage de Daoud, sur son positionnement idéologique et sur la manière dont ses œuvres s’inscrivent dans une démarche littéraire qui, pour certains, frôle l’imposture. Pour cela, son roman Meursault, contre-enquête nous dévoile tout sur la psychologie de Daoud et le rôle que les dominants lui ont fixé.

Meursault, contre-enquête ou comment trahir l’héritage de Kateb Yacine

Avec Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud se propose de revisiter L’Etranger d’Albert Camus, en redonnant voix et identité à l’Algérien tué par Meursault, ce personnage réduit à un simple «Arabe», sans nom ni histoire. A première vue, l’entreprise paraît louable : apporter un contrepoint algérien au roman mythique de Camus, qui avait effacé, dans un geste inconscient mais brutal, les Algériens de leur propre terre. Cependant, derrière cette intention, Meursault, contre-enquête révèle, pour qui le lit avec un regard critique, des failles graves. Ce qui se voulait une réhabilitation des voix colonisées semble, en réalité, trahir l’héritage de Kateb Yacine et renouer avec des schémas intellectuels hérités du colonisateur, lesquels aliènent autant l’auteur que ses personnages.

Le racisme négateur dans L’Etranger de Camus

Pour saisir la portée problématique de Meursault, contre-enquête, il faut d’abord rappeler la position de Kateb Yacine vis-à-vis de L’Etranger. Kateb, qui connaissait bien Camus, voyait dans ce roman un déni insidieux de l’existence même des Algériens. Chez Camus, l’Algérie n’est qu’un décor, un paysage sans âme, et l’Algérien n’est qu’un «Arabe» anonyme, un être sans nom, ni profondeur. Ce choix de Camus n’est pas, selon Kateb, une omission innocente, mais un produit inconscient du racisme structurel propre au système colonial. Camus, tout en se présentant comme un humaniste, perpétue, malgré lui, une négation inconsciente de l’Algérien dont l’histoire et la légitimité sur cette terre sont ignorées.

A travers cette invisibilisation, Camus incarne en fait le mythe fondateur de la société coloniale en Algérie : la négation d’une nation multimillénaire. Ce geste n’est pas seulement une absence de reconnaissance ; il s’agit d’une violence symbolique qui s’ajoute à la violence physique de la colonisation. L’Algérien, privé de nom et d’identité, est réduit à une ombre ; un être effacé de l’histoire de sa propre terre. Et pire encore, cette inhumanité ne frappe pas que le colonisé. En participant, même inconsciemment, à cette déshumanisation, le colon se mutile lui-même, perdant une part de son humanité. Ce racisme négateur, plus insidieux encore que celui de l’écrivain américain William Faulkner – qui représentait les Noirs avec toute leur complexité, malgré le racisme qu’il dépeignait – enferme Camus dans une logique d’effacement radical, plus violente car elle refuse même à l’autre le droit d’exister.

Ce racisme négateur est d’autant plus pernicieux qu’il se drape de neutralité et d’un humanisme de façade. Pour Kateb, cet «humanisme» camusien, célébré en Occident, est en réalité un narcissisme moral. En prétendant se situer au-dessus des luttes historiques de son époque, Camus construit une posture de neutralité, où l’indifférence de Meursault devient un principe universel, indifférent aux souffrances des colonisés. Ce n’est pas seulement un échec éthique ; c’est un humanisme qui, par son abstraction, ignore volontairement le réel concret et oppressant de l’Algérien. Kateb avait compris que cet humanisme abstrait permettait à Camus d’éviter d’affronter la réalité coloniale tout en affirmant une position morale de «juste».

Daoud et la critique superficielle de l’Algérie postcoloniale

Dans Meursault, contre-enquête, Daoud prétend offrir une réponse algérienne à cette vision camusienne. Il le fait en redonnant une voix au frère de «l’Arabe» de Camus et en ajoutant une critique acerbe de la société algérienne postcoloniale. Mais ici, Daoud révèle une autre faille, peut-être plus pernicieuse encore. Loin de s’inspirer des travaux de Kateb, qui analysait les stigmates profonds laissés par la violence coloniale, Daoud choisit de «sauter» directement à la critique des Algériens d’aujourd’hui, comme si l’Algérie avait dû se libérer instantanément de tous les traumatismes de la colonisation au moment de l’indépendance.

Daoud fustige les Algériens actuels sans chercher les racines profondes de leurs dysfonctionnements, comme si les marques psychologiques et identitaires du colonialisme n’avaient jamais existé. Contrairement à Kateb, qui comprenait que la libération physique du colonisateur ne pouvait suffire à effacer des décennies d’effacement et de négation, Daoud paraît ignorer cette dimension. En cela, il semble se contenter d’un réquisitoire facile contre ses compatriotes, tout en omettant les racines coloniales des difficultés de l’Algérie actuelle. En place d’un intellectuel qui chercherait à comprendre et à offrir des voies d’émancipation, Daoud ressemble davantage à un homme malade de son époque, figé dans un ressentiment quasi pathologique envers les siens.

La «singerie» de l’absurde : un mimétisme sans profondeur

Si la critique de Daoud se veut tranchante, elle manque de profondeur intellectuelle et de perspective historique, en raison de son mimétisme envers Camus. En effet, l’usage du thème de l’absurde dans Meursault, contre-enquête sonne faux, comme une imitation servile de l’existentialisme camusien, sans que le contexte algérien s’y retrouve véritablement. Ce pastiche, ou cette singerie de l’absurde, trahit moins une compréhension du sujet qu’un désir de plaire, de mimer les codes littéraires de l’ancienne métropole. Ce mimétisme trahit un écrivain qui semble chercher l’approbation française plus que la vérité, un pastiche qui, loin de défier Camus, le reproduit à vide, sans réelle critique ni originalité.

Le «nègre de maison» : Daoud entre mimétisme et haine de soi

Daoud est un avatar du «nègre de maison» décrit par Malcolm X, ce personnage qui, au lieu de chercher l’émancipation de son peuple, cherche plutôt à plaire au maître, fût-ce en reniant ses racines et en rejetant les siens. Il incarne une forme de haine de soi, où l’intellectuel cherche l’approbation de l’ancien maître en dénonçant les failles de son propre peuple. Dans sa critique acerbe de la société algérienne, Daoud exprime un mépris qui frôle la haine de soi et de ses semblables, un ressentiment qui l’amène à ignorer les stigmates de la colonisation et à tourner en dérision les dysfonctionnements d’une société encore en quête d’émancipation. Là où Kateb Yacine, par une compréhension fine du fait colonial, luttait pour rendre justice aux voix effacées, il offrait aussi, par son humanisme, une voie d’émancipation autant au colonisé qu’au colon. Kateb ne voyait pas le colon uniquement comme un oppresseur, mais aussi comme une victime d’un système qui le coupait de son humanité. Sa posture élevée transcendait la rancœur, et révélait la complexité d’une réalité socio-politique minée de tabous et de refoulements. Par cette lucidité et cette profondeur, Kateb Yacine éclairait non seulement les stigmates laissés sur les colonisés, mais aussi la déshumanisation que subissaient les colons eux-mêmes. C’est cet héritage intellectuel et humaniste que Daoud, à force de complaisance envers les attentes de l’ancienne métropole, semble fouler aux pieds comme une bête inculte.

En se prêtant à une «singerie» littéraire de l’absurde, en tournant le dos à cet héritage et en affichant une haine de soi qui conforte ses maîtres, Daoud scelle son propre destin. Lorsqu’il aura rempli sa mission d’auteur complaisant, il sera relégué aux oubliettes par ceux qui l’ont momentanément encensé. Et quand ce jour viendra, espérons pour lui que ses ex-maîtres ne ressortiront pas son linge sale, notamment la violence qu’il aurait exercée contre son ex-femme restée en Algérie.

F. B.

 

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