Lettre à Daoud : vous avez commis un acte de terrorisme intellectuel !
Une contribution de Saïd Ibrahim – Cher Kamel Daoud, j’ai été un fidèle lecteur de vos chroniques dans le Quotidien d’Oran. Tous les jours, je m’y plongeais avec avidité, mon café noir bien serré à la main. Vos écrits étaient, à cette époque, l’un des rares stimulants intellectuels qui me permettaient d’affronter les journées sombres de notre pays. Vous et votre plume, accompagnés de mon café amer, formiez un duo parfait pour m’armer face à l’adversité. Quelle époque bénie, en ce temps où chacun de nous luttait à sa manière contre ce terrorisme obscurantiste qui avait juré de mettre l’Algérie à feu et à sang !
Combien de confrères ont payé de leur vie leur refus de plier face aux fous de Dieu ? Je me souviens de chaque nom, chaque visage. Parfois, je dois l’avouer, j’ai presque compris (non pas excusé, mais compris) ces jeunes égarés qui prenaient les armes contre leurs propres frères et sœurs. Ils étaient manipulés, convaincus d’être des redresseurs de torts, emportés par des idéaux trompeurs, croyant du haut de leurs vingt ans pouvoir éradiquer l’injustice.
Il m’a fallu du temps, comme à beaucoup d’autres, pour comprendre que ces jeunes n’étaient pas les soldats de Dieu, mais ceux de Satan. Le Dieu que nous connaissons nous demande d’être des exemples de droiture, de justice, de respect de la vie. Ces jeunes, eux, faisaient tout le contraire, se perdant dans la violence et le sang. Des chouyoukh obscurantistes ont lobotomisé tout une génération de jeunes Arabes et musulmans, à l’image d’un Hassan ibn Al-Sabah des temps modernes, promettant à leurs soldats lobotomisés un paradis de pacotille, peuplé de houris fantasmées.
Nous avons, ensemble, condamné ces prédicateurs du mal, ces Cchouyoukh qui envoient des âmes naïves et sincèrement croyantes commettre les pires atrocités. Mais combien de fois avons-nous été dupes de leur jeu cynique ? Car ces maîtres à penser, eux, ne meurent jamais. Leur espérance de vie est bien plus longue que celle des jeunes qu’ils envoient à la mort. Eux vivent confortablement, loin des champs de bataille, jonglant avec des milliards volés par leurs jeunes guerriers, grassement payés par des mécènes installés dans les capitales occidentales. Ah, quelle ironie ! Ces crimes commis en terre musulmane ne sont donc pas pour le triomphe de l’islam, mais bien pour d’autres intérêts plus sombres.
Alexandre Ilitch Oulianov est né le 1er avril 1866. Il a été exécuté le 8 mai 1887 par pendaison à la forteresse de Chlisselbourg. Il était l’un des meneurs du complot qui visait à rééditer le complot des Pervomartovtsi, ce groupe de révolutionnaires qui avaient assassiné l’empereur Alexandre II de Russie le 1er mars 1881. Alexandre Illich Oulianov est ainsi le frère ainé de Lénine que le gouvernement allemand avait financé pour destituer les Romanov.
Cela me rappelle cette ivresse collective de l’Occident à la chute du Mur de Berlin. Le monde libre triomphait, et tout ce qui ne se pliait pas à ses idéaux devenait l’ennemi à abattre. Les communistes étaient ces méchants, animés par une haine viscérale de l’Occident. Mais qui a écrit Le Capital, ce livre maudit aux yeux des capitalistes ? A quel monde appartenait Karl Marx ? Et Lénine, pourquoi lui a-t-on permis d’exporter la révolution en Russie ? Les Alliés de l’époque n’ont pas cherché à déjouer ce complot fomenté par l’Allemagne contre les Romanov. Bien au contraire, ils s’en réjouissaient. Le communisme, né en Europe occidentale, a été exporté en Russie, et quatre vingts ans plus tard, on reproche aux Russes d’avoir adopté ce système. Quelle farce !
De même, on peut travestir une religion, en distordre les enseignements pour ensuite accuser ses fidèles des pires méfaits. Durant la décennie noire en Algérie, où se cachaient les responsables du terrorisme ? Où paraissait leur journal de propagande, Al-Ansar ? Ce même journal qui listait les condamnés à mort, jetant des noms en pâture aux hordes assassines. Vous vous souvenez sûrement de ces chefs terroristes qui défilaient sur les chaînes françaises, justifiant les assassinats de journalistes et de communistes, ceux qui avaient osé choisir leur voie.
Mais là où je suis perdu, c’est de vous voir aujourd’hui installé confortablement dans l’un de ces pays qui, hier, faisaient la promotion des tueurs. Comment en êtes-vous arrivé là ? Pour quoi faire ? Vous plaindre des crimes de la décennie noire auprès de ceux qui ont contribué à enfoncer notre pays dans l’abîme ? Et le plus ironique, c’est que vous le faites en commettant un acte de terrorisme intellectuel contre une jeune femme, orpheline d’une famille décimée par les terroristes en 1997. Une victime trahie une seconde fois, cette fois par sa thérapeute, votre propre épouse.
Je m’arrête ici, Kamel Daoud, car le monde des trahisons, je ne le comprendrai jamais ni ne le pardonnerai.
S. I.
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