Les BRICS et la stratégie turque : continuité ou changement de dogme ?

Poutine Erdogan
Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. D. R.

Une analyse d’Ozan Doğan Avunduk(*) – La Turquie, bien que membre-clé de l’OTAN et candidate de longue date à l’Union européenne, ne se limite pas à ses alliances occidentales. Son intérêt pour les BRICS, notamment manifesté lors du Sommet de Kazan en octobre 2024, témoigne d’une stratégie de diversification des partenariats. Ce rapprochement avec les BRICS soulève des questions sur l’avenir de la politique étrangère turque : l’adhésion aux BRICS marquerait-elle une rupture avec le camp occidental ou s’agit-il plutôt d’une complémentarité ? Les autorités turques inclinent pour la deuxième raison. Examinons de près les BRICS et les récentes orientations de la diplomatie turque afin d’apporter une réponse nuancée à cette question.

BRICS : une plateforme aussi puissante que nébuleuse

Le groupe BRICS a été créé en 2009 pour réussir une meilleure coopération financière et de développement entre les pays émergents. Le mot «BRIC» est l’acronyme pour Brésil, Russie, Inde et Chine. La plateforme est devenue «BRICS» avec la participation de l’Afrique du Sud en 2010 et est communément appelée «BRICS+» depuis l’adhésion de l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Ethiopie et les Emirats arabes unis en janvier 2024. Avec cette dernière vague d’élargissement, la population totale des BRICS+ a atteint 3,5 milliards d’habitants, soit 45% de la population mondiale. La taille totale des économies des pays membres est de 28,5 billions de dollars. Cela correspond à environ 28% de l’économie mondiale. Il importe de noter également que les pays des BRICS produisent également 44% du pétrole brut mondial. En 2014, les BRICS ont créé un instrument au service d’une nouvelle dynamique économique mondiale, la Nouvelle Banque de développement (NBD), dotée alors de 250 milliards de dollars. En amont de leur adhésion aux BRICS, les Emirats et l’Egypte sont devenus membres de la NBD dont l’objectif principal est le financement des projets d’infrastructure dans les pays en développement.

Réunis annuellement sous une présidence tournante, les BRICS forment un bloc économique dynamique où l’Inde et la Chine, grands consommateurs d’énergie, trouvent avec la Russie un fournisseur privilégié. Cependant, l’absence d’une structure institutionnelle solide en fait un ensemble au potentiel encore incertain. Les BRICS n’ont pas de secrétariat permanent, ni de traités contraignants entre leurs membres. En outre, l’hétérogénéité du groupe ne peut être ignorée. Alors que la Russie voit dans les BRICS un soutien pour contrer les sanctions occidentales qui pèsent sur son économie depuis l’invasion de l’Ukraine, d’autres membres comme l’Afrique du Sud et le Brésil évitent une confrontation directe avec l’Occident. Bref, les BRICS sont un groupe de pays en pleine ascension, mais leur cohésion et leur capacité à agir de manière unifiée restent à prouver.

Sommet de Kazan : remise en cause de l’ordre occidental ?

Au dernier Sommet des BRICS, les délégations de 35 pays et de 6 organisations internationales se sont réunies pour échanger sur les questions mondiales et les perspectives d’élargissement des partenariats dans trois domaines principaux : la politique et la sécurité, le commerce et l’investissement, ainsi que les échanges culturels et humanitaires. Les Etats ont discuté des efforts conjoints possibles pour stimuler la croissance économique dans les Etats des BRICS et les pays du Sud. Dans ce cadre, par l’intermédiaire de la NBD, ils visent à mettre en œuvre de nouveaux projets communs dans les domaines de l’industrie, de l’énergie, de la logistique et de la haute technologie. Ils ont réaffirmé leur détermination à approfondir les partenariats dans le domaine financier, en améliorant la communication interbancaire et en créant de mécanismes de paiement dans les monnaies nationales. La volonté d’établir un tel système pourrait être un défi majeur à l’hégémonie du dollar, monnaie au cœur du système financier international conférant aux Etats-Unis une influence considérable sur l’économie mondiale.

La Russie, qui préside actuellement les BRICS, a également invité au Sommet les dirigeants des Etats qu’elle qualifie de «partenaires», y compris la Turquie. La déclaration de Kazan souligne l’opposition collective des BRICS à la pratique des sanctions «illégales».

La Turquie, déjà marginalisée au sein des cercles occidentaux notamment depuis son achat des missiles russes antiaériens S-400, semble s’éloigner de ses partenaires traditionnels. Toutefois, les apparences peuvent être trompeuses.

Entre marasme économique et équilibres diplomatiques fragiles

La Turquie affirme depuis des années sa volonté d’intégrer les BRICS pour équilibrer ses relations internationales. Les propos du président Afrique du Sud de la Müsiad, association patronale islamo-conservatrice proche du gouvernement, en témoignent : «Les pays tels que la Chine et l’Inde, grâce à leurs fortes populations et leurs efforts sur le plan économique, tentent de briser le monopole des pays occidentaux. Les BRICS prévoient de mettre sur pied un nouveau système financier à l’horizon 2025, ce qui leur permettra non seulement de mieux se soutenir, mais aussi et, surtout, de trouver des alternatives aux structures financières mondiales, notamment le FMI et la Banque mondiale. (…) La Turquie, bien que non membre des BRICS, a été conviée au Sommet avec le statut d’invité spécial. Cette invitation est une grosse opportunité en vue de développer l’économie turque. La coopération économique et la lutte contre le terrorisme seront au menu des échanges tête-à-tête entre le président Erdogan et les leaders des BRICS (…) le pouvoir économique des BRICS sera supérieur à celui des nations occidentales d’ici 2030.»

La Turquie, sous la direction d’Erdogan et du parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir depuis 2002, est coutumière de revirements diplomatiques. On note les efforts de réconciliation du président Erdogan avec d’anciens adversaires : le prince saoudien Mohammed ben Salmane, le président émirati Mohammed bin Zayed Al Nahyane et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. Alors qu’il avait porté des accusations très dures contre ces dirigeants depuis 2013, Erdogan avait entrepris des visites officielles à Riyad, Dubaï et au Caire, marquant ainsi un tournant dans ses relations avec ces pays. Parallèlement, son désir d’intégrer la Turquie aux BRICS, un bloc économique réunissant ces anciens adversaires, témoigne d’un pivot stratégique turc au Moyen-Orient.

Toutefois, les déclarations gouvernementales demeurent souvent équivoques. D’une part, en participant au sommet des BRICS et en demandant à en devenir membre, le gouvernement turc montre qu’il est à la recherche de nouvelles alliances, tandis que, d’autre part, il répète à plusieurs reprises que cela ne signifie pas quitter l’OTAN. La Turquie insiste sur le fait que sa collaboration avec les BRICS s’ajoute à son partenariat douanier avec l’UE, sans le substituer.

Le discours d’Erdogan prononcé seulement quatre jours après le Sommet de Kazan illustre la direction que prend la Turquie : «Nous renforçons notre coopération avec l’Allemagne d’une manière qui sied à deux amis de longue date et alliés de l’OTAN. Notre objectif est d’atteindre 60 milliards de dollars dans les échanges bilatéraux, qui s’élèvent actuellement à 50 millions de dollars (…) Les relations croissantes de la Turquie avec les BRICS ne sont en aucun cas une alternative à ses engagements existants. La Turquie participe à toutes ces plateformes en tant que pays allié de l’OTAN et menant des négociations en vue d’une adhésion à part entière à l’UE.» Le chef de l’Etat turc continue donc à donner la priorité à la coopération avec l’Occident.

De toute manière, depuis septembre 2024, Moscou tempère les attentes sur l’adhésion de la Turquie aux BRICS. L’organisation a besoin de consolider l’intégration des nouveaux membres accueillis en janvier 2024. Plutôt qu’une adhésion immédiate, un «statut de partenariat» a été proposé à la Turquie et aux autres pays candidats, témoignant d’une approche plus graduelle.

Conclusion

La volonté d’adhésion de la Turquie aux BRICS répond avant tout à une volonté d’éviter l’isolement sur la scène internationale. Les liens historiques, économiques et institutionnels étroits de la Turquie avec l’Europe, notamment avec l’UE, son premier partenaire commercial, et le Conseil de l’Europe dont elle est membre fondateur, créent une interdépendance complexe difficile à rompre.

Face à une situation économique délicate marquée par l’hyperinflation, la Turquie est visiblement à la recherche de nouvelles pistes pour stimuler sa croissance et accéder à de nouvelles sources de financement. L’intégration aux BRICS et à la Nouvelle Banque de développement pourrait ouvrir de nouveaux horizons à la Turquie. La matérialisation des opportunités offertes par les BRICS dépendra également de la capacité du groupe à se structurer en une organisation formelle véritablement efficace proposant une alternative crédible aux institutions financières internationales existantes.

O. D. O.

(*) Analyste politique, expert de la Turquie.

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales.

Comment (6)

    Anonyme
    20 novembre 2024 - 23 h 27 min

    Trump n’est pas une Cause ……c’est une Conséquence d’une ÉVOLUTION de la Place des USA dans le MONDE et qui impose des PROFILS comme Trump pour Sauvegarder un Rang
    .
    Comme l’écrit R. Dallio Patron de Fonds d’Investissements dans une Publucation récente

    L’ordre mondial international passera de
    a) les vestiges en lambeaux du système d’après-guerre qui a été créé par les États-Unis et leurs alliés, dans lequel il existe / étaient généralement des normes mondiales de comportement, des règles et des organisations gouvernementales comme l’ONU, l’OMC, la Cour internationale de justice, le FMI, la Banque mondiale, etc.
    à b)
    un ordre mondial plus fragmenté, dans laquelle les États-Unis poursuivront une politique de « l’Amérique d’abord » avec des catégorisations claires d’alliés, d’ennemis et de pays non alignés, car il y aura plus de guerres économiques et géopolitiques et une chance plus grande que jamais de guerre militaire au cours des 10 prochaines années.
    .
    …En d’autres termes, nous arrivons maintenant à la FIN d’une époque dirigée par les États-Unis, au cours de laquelle les pays ont essayé de trouver ensemble comment être les uns avec les autres par le biais d’organisations multinationales avec des principes et des règles directeurs,
    .
    Nous allons vers un ordre plus égoïste, de type LOI DE LA JUNGLE , les États-Unis étant l’un des deux plus grands acteurs et la CHINE l’autre…
    .
    Donc une politique étrangère « l’Amérique d’abord » et une préparation à la guerre extérieure avec la Chine, qui est perçue comme la plus grande menace pour l’Amérique.
    .
    L’EUROPE est faible, elle est occupée avec ses propres problèmes et n’a pas d’Enjeu critique dans ce combat, alors qu’elle a la Russie à sa porte et ne peut pas la combattre sans le soutien des États-Unis à l’OTAN.
    .
    La plupart des autres pays ne veulent pas se lancer dans la lutte, car ce pour quoi les États-Unis se battent n’est pas aussi important pour eux que pour les États-Unis, et ils ont plus de DEPENDANCES économiques vis-à-vis de la CHINE que des États-Unis.
    .
    Les puissances montantes non alignées du Sud – qui, avec la Chine et la Russie, sont membres des BRICS – sont des pays auxquels il faut prêter attention….”
    <<<Fin de Citation

      Géopolitique du CoVid permanent
      21 novembre 2024 - 8 h 51 min

      On entre dans une Géopolitique du CoVid permanent
      “Chacun pour Soi”
      “Malheur au Vaincu”
      “Aucune limite Morale ou Éthique”
      “La Fin justifie les Moyens”
      .

    GHEDIA
    20 novembre 2024 - 21 h 21 min
    tuco
    20 novembre 2024 - 20 h 44 min

    Ansarallah yéménite attaque un vraquier turc qui approvisionne Israël
    il y a 7 jours Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé la rupture des relations diplomatiques et commerciales avec Identité sioniste
    les déclarations turcs a prendre avec des pincettes ils vont un peu la ou le vent les emportes

      DZ
      20 novembre 2024 - 21 h 17 min

      la turquie d erdogan pas credible

    Anonyme
    20 novembre 2024 - 20 h 29 min

    Une stratégie truc où truquée plutôt. De ttes façons leurs chiffres présentés sont bidons et à tous ces membres , le seul vrai bloc et adversaire économique puissant reste la Chine pour les occidentaux dont USA. Une anarque ce Brics mais qui servira d abord qu aux premiers d ou son appellation Brics. Le reste sert à compléter et rendre le machin plus gros devt l occident, un probable futur géant aux pieds d argiles ce Brics et perso je ne lui donne pas long feux avant qu il explose en son sein , je peux me tromper aussi ? Mais qui vivra verra ?

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