L’Europe last
Par A. Boumezrag – La réélection de Donald Trump en novembre 2024 marque un tournant décisif dans l’arène géopolitique mondiale. Alors que l’ancienne administration Trump avait déjà fait des vagues avec sa politique de «America First», sa réélection risquait de transformer de manière radicale les relations internationales, notamment avec l’Union européenne. Si, sous Trump, les Etats-Unis se sont éloignés des alliances traditionnelles et des engagements multilatéraux, son deuxième mandat promet d’approfondir ce schisme. Dans ce contexte, l’Europe, souvent reléguée au second plan, pourrait voir sa position mondiale encore plus fragilisée.
Depuis son premier mandat, Donald Trump défend clairement une politique étrangère basée sur l’intérêt national américain avant tout. En réaffirmant le principe de «America First», il a opéré un retrait partiel des accords multilatéraux tels que l’Accord de Paris sur le climat, l’OTAN et l’Accord de Paris, tout en poursuivant des politiques économiques protectionnistes envers l’Europe et d’autres partenaires commerciaux. Cette vision isolationniste a fait tanguer les relations transatlantiques, exposant l’UE à une précarité nouvelle sur la scène mondiale.
Avec sa réélection en 2024, Trump pourrait accentuer cette dynamique. Sa volonté de réduire l’engagement des Etats-Unis à l’international et de privilégier les accords bilatéraux pourrait laisser l’Europe de plus en plus isolée, sur la défensive dans un monde de plus en plus multipolaire. A travers un désengagement progressif des grandes organisations internationales et une politique étrangère plus centrée sur ses propres intérêts, les Etats-Unis risquent de pousser l’Europe à se redéfinir face à un monde qui n’attend plus seulement des puissances traditionnelles pour imposer les règles du jeu mondial.
Dans un contexte également changeant, l’Europe se retrouve dans une position difficile. Si l’UE souhaite garder son rôle de leader mondial en matière de diplomatie, de commerce et de droits humains, elle devra se renforcer en tant qu’acteur autonome. Cela passe par une révision de ses priorités géopolitiques, avec une attention particulière portée à la souveraineté énergétique et technologique. La dépendance de l’Europe au gaz russe, en particulier, soulève des questions de sécurité stratégique, tandis que les enjeux numériques et technologiques s’imposent comme des champs de bataille essentiels pour l’avenir de l’UE.
La pandémie de Covid-19 a montré les limites de la dépendance européenne vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment dans les secteurs critiques. L’UE pourrait donc être contrainte de redoubler d’efforts pour garantir sa résilience économique, avec des investissements dans l’innovation, l’industrie de haute technologie et les énergies renouvelables. Parallèlement, la politique de défense européenne, en particulier avec des initiatives comme la Pesco, pourrait prendre davantage d’importance afin de réduire la dépendance militaire vis-à-vis des Etats-Unis.
Sous Trump, l’UE se retrouverait non seulement confrontée à des tensions externes, mais aussi à des défis internes. Le vieillissement démographique, l’euroscepticisme grandissant et les tensions migratoires pourraient fragiliser l’unité de l’Union. Face à une Amérique de plus en plus repliée sur elle-même, ces fractures internes pourraient être exacerbées, rendant difficile l’élaboration d’une politique commune et d’une stratégie efficace sur la scène internationale.
Les politiques migratoires, en particulier, continueront d’être un terrain de clivages. Alors que Trump défend une ligne dure contre l’immigration, l’UE, elle, devra gérer des flux migratoires importants, notamment en provenance de l’Afrique et du Moyen-Orient. Cela soulève la question de la solidarité européenne et de l’équilibre entre sécurité et droits de l’homme dans le cadre d’une politique migratoire commune.
Face à une administration Trump de plus en plus isolationniste, de nouvelles puissances se feront un devoir de redéfinir les règles de la compétition mondiale. La Russie et la Chine devraient continuer de renforcer leurs positions, en particulier sur les marchés énergétiques et commerciaux. L’UE pourrait voir son rôle de médiateur sur ces questions menacées, tout en devant s’adapter à un monde où les relations bilatérales avec la Chine et la Russie deviennent de plus en plus complexes.
Parallèlement, l’Afrique pourrait devenir un terrain d’investissements et d’influence pour ces puissances rivales. Le continent, riche en ressources naturelles et en opportunités économiques, pourrait voir la Chine et la Russie y renforcer leurs positions face à un Occident de plus en plus divisé et fatigué. L’Europe, déjà confrontée à des défis migratoires et économiques, devra réagir avec discernement pour conserver sa place sur ce marché stratégique.
La réélection de Donald Trump offre à l’Europe une opportunité paradoxale : celle de se réinventer en tant que puissance mondiale autonome, capable de redéfinir ses priorités face à un monde plus fragmenté et moins prévisible. Cependant, cette tâche ne sera pas sans défis. L’UE devra surmonter ses divisions internes, renforcer sa souveraineté économique et technologique, et se préparer à un rôle de plus en plus autonome sur la scène mondiale.
Le slogan «America First» pourrait en effet se transformer en un catalyseur pour la montée d’une «Europe Last», avec des effets déstabilisateurs. Cependant, loin de se résigner, l’Europe peut choisir de tirer parti de ses atouts pour devenir un acteur clé d’un ordre mondial multipolaire, où les intérêts et les valeurs seront redéfinis. En relevant ce défi, l’UE pourrait alors redonner sens et direction à son projet commun, tout en affirmant son indépendance stratégique dans un monde où le pouvoir se redessine.
A. B.
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