Une tribune de Judith Bouilloc – Suites à ma lettre ouverte à l’académie Goncourt
Par Judith Bouilloc – Ma lettre ouverte à l’académie Goncourt a été partagée plus de 400 fois sur Facebook, et dans quelques médias algériens – je précise que je n’ai pas été prévenue – mais apparemment ce n’est pas suffisant pour que ces messieurs dames daignent me répondre, ni suffisant pour intéresser le moindre journal français de renom. En revanche, c’était suffisant pour que je reçoive des menaces et des insultes.
Comme tous les journalistes français semblent avoir cours de poney, je déplace donc le débat sur mon nouveau blog Mediapart avec toutes mes sources et des liens pour tout bien comprendre. Lisez, lisez, lisez et continuez de partager ! Un monsieur énervé m’a demandé combien j’avais été payée par le pouvoir algérien pour écrire ma lettre à l’académie. Eh bien, zéro euro, c’est gratuit, mon bon monsieur. Je vous avoue même qu’au moment d’écrire mon texte je ne connaissais strictement personne en Algérie, et il y a trois semaines, je ne savais même pas qui était Kamel Daoud.
Je remercie tous les Algériens, Franco-Algériens et amoureux de la littérature qui m’ont envoyé des messages de soutien et de nombreux témoignages. Pardonnez-moi de ne pas répondre à toutes les invitations. En substance, beaucoup m’ont dit, en plus de voler la voix d’une vraie victime, ce prix Goncourt abîme l’amitié franco-algérienne. Je retiens aussi : «On n’avait vraiment pas besoin du livre de Kamel Daoud, des romans sur la décennie noire, on en avait déjà des centaines, c’est juste que la critique française s’en fout.»
D’ailleurs, merci à tous les écrivains algériens qui m’ont envoyé leurs livres sur la décennie noire parus en Algérie. Preuves que l’article 46 que Daoud a placé au début de son livre est juste un bon filon marketing bien exploité par Gallimard. Repris en boucle dans les médias, c’est aussi un magnifique bouclier maintenant que Kamel Daoud a été pris la main dans le dossier médical. Kamel Daoud est victime de censure en Algérie, Boualem Sansal a été arrêté, alors il faudrait censurer toute critique de Kamel Daoud en France ?
On me demande s’il faut retirer à Kamel Daoud son prix Goncourt. Je ne sais pas. Ce serait peut-être un peu humiliant, le pauvre Kamel Daoud serait obligé de rendre son chèque de 10 euros, mais le scandale ferait que les Français se précipiteraient en librairie pour acheter son torchon. Kamel Daoud est déjà assuré de recevoir un beau magot avec son prix… ne lui donnons pas plus d’argent.
Moi, je suis pour le débat et la rencontre (rapport à ma conception de la littérature). Contrairement à Kamel Daoud, je ne pense pas qu’il faille se «préserver de la vérité».
Si j’étais Philippe Claudel, président de l’académie Goncourt, je prendrais le premier avion pour Alger et j’irais à Oran rencontrer la famille de Saada Arbane. Je rencontrerais aussi les critiques littéraires et les écrivains algériens qui n’ont pas attendu la polémique pour se faire un avis sur le livre de Kamel Daoud. Au lieu de rester planqués chez Drouant, j’oserais traverser la Méditerranée. J’irais avec une délégation d’écrivains, avec une tonne de livres, un esprit de dialogue et de paix et j’en profiterais pour récupérer le vieux Sansal.
Une autrice jeunesse merveilleuse me disait aussi hier : «Pourquoi les vieux de l’académie ne demandent pas simplement pardon ?» On peut se tromper et reconnaître qu’on a eu tort. Ah… le pouvoir du pardon…
Autre suggestion, j’organiserais un débat sur les limites de la liberté d’expression et le droit à la vie privée. Christine Angot, membre de l’académie Goncourt, connaît le sujet par cœur, elle a été jugée deux fois pour violation de la vie privée et condamnée une fois.
Pierre Assouline, autre membre éminent de l’académie, vient de sortir un livre intitulé Comment écrire ? Il pourrait nous expliquer sa conception de l’éthique de l’écriture. Quelle bonne idée !
Car il s’agit bien sûr d’éthique. Je suis lectrice, mais aussi autrice jeunesse et j’ai une certaine conception de mon métier. Je persiste et je signe, le prix Goncourt 2024 est le plus grand scandale littéraire de ce siècle. C’est un crachat aux visages de tous les auteurs français. Comme auteur, comme éditeur, si on a un tant soit peu de respect pour l’écriture et la littérature, on ne peut accepter, les bras croisés, qu’un auteur avec des méthodes si monstrueuses puisse recevoir le prix littéraire le plus prestigieux de France.
J. B.
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