Les «Français blancs» de Mayotte renouent avec l’esprit fuyard des colons d’Algérie
Par Khider Mesloub – Grâce aux travaux de l’historien Pierre Daum, nous savons que, lors de l’indépendance de l’Algérie, autrement dit de la défaite du camp de l’Algérie française, l’écrasante majorité de la population pied-noire a préféré abandonner le nouveau pays libre qui lui ouvrait, pourtant, grands les bras, que de vivre modestement parmi les Algériens libérés du joug colonial de la France.
Ainsi, en 1962, par refus de renoncer à leurs privilèges et, surtout, par racisme atavique, les Européens d’Algérie ont préféré abandonner précipitamment leur «terre natale», qu’ils chérissaient plus que ses habitants autochtones assujettis, que de devoir partager, dans l’égalité et la modestie, leur existence avec les Algériens.
Les pieds-noirs ont, depuis 1962, toujours fait croire que leur départ précipité était motivé par les risques encourus pour leur vie et leurs enfants. En réalité, la majorité des pieds-noirs ont quitté l’Algérie non pas pour les prétendus risques encourus pour leur vie, mais car ils ne supportaient pas la perspective de vivre à égalité avec la population algérienne, d’être gouvernés par des dirigeants algériens, commandés dans les entreprises et les administrations par des «indigènes».
Ainsi, du fait de leur refus à renoncer à leur mentalité suprémaciste, les pieds-noirs, persuadés de leur supériorité raciale, ont décidé de se réfugier en France plutôt que de rester vivre dans l’Algérie indépendante parmi les autochtones qu’ils avaient toujours l’habitude de commander et de mépriser. Hors de question pour ces Français de participer au relèvement économique de l’Algérie indépendante dont la population d’origine a été maintenue délibérément, durant 132 ans, dans la précarité et l’ignorance, de prêter main forte à la renaissance de ce pays qui les a pourtant vu naître.
Plus de soixante ans après, à Mayotte, dans leur dernière colonie annexée en 1976, à la suite de la dévastation de l’île par le cyclone Chido, en plein milieu d’une catastrophe humanitaire et sociale historique, les «Français blancs» adoptent la même attitude de fuite, de désertion. Ils renouent ainsi avec l’esprit fuyard de leurs ancêtres colonialistes, les Français d’Algérie en 1962. Au vu de l’urgence dans laquelle se trouvent des centaines de milliers de sinistrés, plutôt que de rester sur l’île dévastée pour aider les Mahorais à reconstruire Mayotte, assister les sinistrés pour leur permettre de se relever, de nombreux «Français blancs» commencent à déserter l’archipel pour s’installer (se réinstaller) en métropole. Dans l’Hexagone, leur vrai pays. Ces «Français blancs» ont au moins cette solution de repli, cette possibilité de s’extraire de la désolation de Mayotte, une île dévastée, transformée en champ de ruine.
Pour tenter d’endiguer la fuite de ces «Français blancs», c’est-à-dire éviter le départ massif des agents publics coloniaux, le nouveau Premier ministre, François Bayrou, a pris une circulaire ce vendredi 27 décembre afin de recenser «les besoins des fonctionnaires» à Mayotte. Le chef du gouvernement veut ainsi inciter les agents publics à rester sur l’île afin de «garantir» la continuité de l’action coloniale de l’Etat impérialiste français. A ces agents publics coloniaux présents sur l’île, l’Etat français s’est engagé à assurer un accompagnement «en matière d’hébergement d’urgence, de relogement, de restauration et de soutien psychologique».
Pour ce qui est des Mahorais et des Comoriens, eux, ils continueront à dormir à la belle étoile pour les plus miséreux ou à construire des habitations de fortune pour les «chanceux», à se nourrir de plantes vénéneuses et à boire de l’eau impropre. Autrement dit, à mourir à petit feu de malnutrition et de déshydratation. Nul plan d’accompagnement «en matière d’hébergement d’urgence, de relogement, de restauration et de soutien psychologique» n’a été actionné pour ces populations autochtones de l’archipel par les autorités coloniales françaises.
Selon plusieurs sources, plus de 500 enseignants ont demandé à quitter l’archipel et à être rapatriés en France (leur vrai pays). La préfecture de Mayotte craint «un départ massif de personnels qui pénaliserait la rentrée scolaire».
En tout cas, cette fuite massive des «Français blancs» suscite l’indignation et la colère des Mahorais. Des critiques virulentes sont publiées sur les réseaux sociaux. D’aucuns qualifient de «fuyards» ces «Français blancs». «Au moment où l’on a le plus besoin d’eux pour reconstruire Mayotte, ces fonctionnaires fuient l’île, à croire qu’ils ne veulent pas partager la misère avec nous», s’insurge une internaute. Dans une vidéo devenue virale, une Mahoraise exprime son indignation. Depuis l’aérodrome de Dzaoudzi, où elle demande d’abord comment faire évacuer sa grand-mère malade, elle finit par suggérer que les siens «n’ont pas la bonne couleur de peau» pour que l’Etat les prenne en charge. Dans une autre vidéo, une internaute fustige les colons français. «Les colons veulent partir. (…) Vous n’avez même pas honte. Vous profitez du soleil, des primes (liées à un emploi dans les départements et territoires d’outre-mer), bande de profiteurs que vous êtes !» a-t-elle posté en légende de sa vidéo. Pour conclure, tout un chacun aura entendu le président Macron et son Premier ministre affirmer qu’ils reconstruiraient Mayotte en deux ans.
Comment la France coloniale peut-elle réaliser en deux ans ce qu’elle n’a jamais pu accomplir en cinquante ans d’occupation de l’île ? En effet, depuis l’annexion de Mayotte en 1976, la France, qui bénéficiait d’une conjoncture économique favorable au cours des années 1970-2008 (forte croissance et faible endettement), avait les moyens financiers pour impulser le développement de l’île. Or, elle a délibérément maintenu Mayotte dans le sous-développement et la précarité. Ce n’est certainement pas aujourd’hui, au moment où la France est en proie à une grave crise économique doublée d’un endettement abyssal, qu’elle va s’atteler à reconstruire Mayotte. En tout cas, les caisses sont vides. La France ne dispose ni de moyens financiers ni de volonté politique pour construire et développer Mayotte. Car cette île lui sert uniquement de base militaire et les autochtones de supplétifs administratifs.
Encore une fois, la classe dominante française trompe le peuple mahorais par ses fallacieuses promesses de reconstruction de leur île. Du reste, comme l’a reconnu le présentateur de la chaîne LCI, il n’est pas dans l’intérêt de la France de développer Mayotte.
A l’analyse d’un journaliste humaniste qui prônait, naïvement, le développement de Mayotte par la construction d’écoles et d’universités et de multiples infrastructures sociales, hospitalières et culturelles, afin de rehausser le niveau de vie de l’île à celui de la moyenne des autres départements de la métropole, un animateur de la chaîne LCI l’a interrompu pour lui faire une remarque qui trahit la véritable pensée de la classe dominante française, l’essentiel du projet colonial des dirigeants français. «Attention, a-t-il lancé à l’intention du journaliste humaniste, plus vous rendez Mayotte attractive, plus vous rendez, du coup, Mayotte attractive pour les migrants qui vont vouloir y aller.» Conclusion logique de cette pensée coloniale : il faut délibérément laisser Mayotte dans le sous-développement, les populations autochtones dans la précarité, la misère. C’est ce que fait la bourgeoisie française depuis l’annexion de Mayotte.
Et si la situation vient à se détériorer sur l’île, l’Etat colonial, comme en 1962, ne manquera pas de rapatrier les «Français blancs» fuyards dans leur pays d’origine, la France. Ce rapatriement des «Français blancs» fuyards livrera, au passage, la population mahoraise abandonnée aux affres de la mort sociale, à l’épouvante de la dislocation gouvernementale de l’archipel. A la guerre civile. Car les Mahorais, qui ne veulent pas être rattachés à l’Etat des Comores, sont incapables de se gouverner dans le cadre d’une hypothétique proclamation d’indépendance. Aussi Mayotte risque-t-elle de devenir un no man’s land territorial et étatique.
K. M.
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