«Merci la France pour l’indépendance et la défense de notre souveraineté !»
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Il y a des phrases qui résonnent comme des vérités universelles. «Merci la France», donc, pour avoir «offert» à ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest et du Sahel un cadeau aussi précieux : l’indépendance ! Oui, l’indépendance, mais uniquement dans les termes convenus, n’est-ce pas ? D’un côté, on nous annonce que nous sommes libres, mais, de l’autre, on nous rappelle constamment qu’il existe des conditions, des promesses non tenues et, parfois, un contrôle discret mais tenace.
Indépendance ou emprise déguisée ?
Quand les pays africains ont obtenu leurs indépendances dans les années 1960, on nous a dit que nous étions «libérés», que nous allions enfin prendre notre destin en main. Mais, attendez, la France ne semble pas avoir totalement quitté la scène. Non, non. L’ombre de l’ancienne puissance coloniale n’a jamais cessé de planer. La Françafrique, ce modèle qui se tisse encore entre diplomatie, économie et sécurité, a permis à la France de garder un pied ferme dans la région. Les régimes autoritaires soutenus, les contrats de défense et les faveurs économiques ont fait en sorte que la liberté de ces pays reste… bien relative.
Prenons un exemple flagrant : le franc CFA, une monnaie qui lie 14 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale à la France. Ces pays doivent non seulement laisser une partie de leurs réserves de change dans les coffres français, mais, de plus, la monnaie reste sous le contrôle d’une institution française. La souveraineté monétaire ? Elle semble être l’un des détails ignorés dans ce jeu de dupes. La France continue de s’assurer que ces pays restent solidement ancrés dans son orbite économique, bien qu’avec un joli emballage d’indépendance.
La souveraineté sous surveillance : le rôle de l’armée française
Ah, et la défense de notre souveraineté, vous y avez pensé ? La France, toujours présente pour «défendre» notre sécurité. Depuis 2013, avec l’opération Serval, puis l’opération Barkhane, l’armée française est intervenue dans le Sahel, au nom de la lutte contre le terrorisme. Oui, bien sûr. Mais qui, aujourd’hui, peut vraiment prétendre que la situation est réglée ? Les groupes djihadistes sont toujours là, les bases militaires françaises sont toujours bien ancrées et les populations commencent à se demander si elles ne sont pas simplement devenues dépendantes d’un modèle de sécurité imposé de l’extérieur.
Après le retrait du Mali en 2022, on pouvait se dire que la France a pris du recul. Mais, en réalité, elle n’a pas quitté la région, elle a seulement réorganisé son rôle. L’armée reste présente, et les pays du Sahel, malgré leurs multiples déclarations de vouloir reprendre le contrôle de leur défense, semblent toujours dépendants de cette force étrangère qui prétend garantir leur stabilité. Le paradoxe est flagrant : un pays «souverain» qui dépend d’une armée étrangère pour sa sécurité. Une souveraineté militaire sous surveillance.
Une souveraineté déléguée : l’ironie des relations franco-africaines
Mais c’est là qu’on touche le fond du paradoxe. Ces pays sont «indépendants», mais leurs décisions de politique intérieure, de sécurité et même de développement économique semblent constamment validées par Paris. Les dirigeants se retrouvent dans cette position inconfortable où, même après avoir obtenu leur indépendance, ils doivent jongler entre la pression populaire et la réalité de cette dépendance géopolitique.
Prenons le Mali, par exemple. En 2022, le pays exprime clairement son mécontentement face aux interventions françaises, tout en appelant à une reconfiguration de ses accords avec Paris. Et pourtant, même après ce rejet, même après avoir demandé le retrait des troupes françaises, la question demeure : peuvent-ils réellement se passer d’une présence extérieure pour maintenir leur sécurité ? Et si la réponse est non, alors où est l’indépendance ?
Le Tchad, avec son régime autoritaire, soutenu par la France même après la mort d’Idriss Déby, nous donne un autre exemple de cette «souveraineté conditionnée». La France choisit ses alliés, et tant que les régimes au pouvoir ne menacent pas ses intérêts, ils bénéficient de son soutien, peu importe les failles démocratiques. Une indépendance politique qui dépend de l’acceptation tacite de Paris et non d’une réelle émancipation des peuples.
Le paradoxe de l’indépendance : une illusion persistante
Le vrai paradoxe est qu’en 2022, les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest sont officiellement «indépendants», mais ne sont jamais véritablement libres. Oui, la colonisation formelle est terminée, mais la tutelle postcoloniale reste bien ancrée. Et, comme une ombre qui ne disparaît jamais, la France continue de dicter une part importante de leur avenir, que ce soit par des accords économiques, des interventions militaires ou des choix politiques imposés.
Donc, «Merci la France» ? Oui, merci pour l’indépendance… partielle. La souveraineté sous condition, surveillée, scrutée. Les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest sont, en théorie, indépendants. Mais, en pratique, leur autonomie est constamment mise en échec par un réseau de dépendances financières, diplomatiques et militaires.
La souveraineté sous perfusion économique
Bien sûr, il ne s’agit pas uniquement de l’aspect militaire. Le contrôle économique est tout aussi évident. Les entreprises françaises, notamment dans les secteurs pétroliers et miniers, continuent de pomper les ressources naturelles des pays africains, tout en laissant les populations locales dans une précarité extrême. Total, Areva, Bouygues, etc., ces géants profitent de contrats avantageux, d’accords souvent inégaux et des richesses africaines qui finissent entre les mains d’investisseurs étrangers, tandis que les pays africains restent prisonniers de leur dépendance.
C’est là que la question du néocolonialisme économique prend tout son sens : les pays africains sont privés de la possibilité de capitaliser sur leurs ressources pour leur propre développement. La France et ses multinationales continuent de tirer les ficelles de cette économie qui ressemble plus à une néocolonisation économique qu’à une véritable indépendance.
Vers une véritable autonomie ?
Alors, comment sortir de ce carcan ? Les solutions ne sont pas simples. La véritable autonomie réside dans le renforcement de la coopération intra-africaine, l’activation des forces régionales, comme la CEDEAO, et une réduction de la dépendance à l’égard des puissances extérieures. Les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest doivent diversifier leurs partenaires économiques et sécuritaires, tout en donnant plus de poids aux solutions locales face aux crises. Il est grand temps de repenser les rapports avec la France, pour envisager une coopération plus équilibrée, où l’indépendance ne se résume pas à un simple mot, mais à une réalité tangible et vécue.
L’indépendance à géométrie variable version 2025
En 2025, «Merci la France», mais pour une indépendance conditionnée. Si les pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest ont certes acquis leur indépendance formelle, leur véritable souveraineté reste largement sous l’influence de l’ancienne puissance coloniale. A travers des mécanismes comme la Françafrique, les interventions militaires récurrentes (comme l’opération Barkhane) et un contrôle économique via des institutions comme le franc CFA, la France continue de jouer un rôle déterminant dans la stabilité de ces pays, selon ses propres intérêts.
Les tensions, notamment le retrait des troupes françaises du Mali en 2022 et plusieurs autres pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest par la suite – Niger, Burkina Faso, République centre-africaine, Tchad, Sénégal –, après plusieurs années de présence militaire, illustrent bien ce paradoxe. Malgré des appels à l’autonomie et à la fin de l’ingérence, beaucoup de pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest restent dans une position où leur indépendance politique et militaire semble mise à mal par des dépendances stratégiques à la France et à d’autres puissances occidentales.
Pour que cette indépendance soit pleinement réalisée, il est essentiel de repenser ces relations postcoloniales. Les pays africains doivent pouvoir construire un modèle de coopération fondé sur l’égalité et la respectabilité, où la souveraineté n’est plus une illusion, mais une réalité vivante. Les initiatives récentes de coopération intra-africaine et la montée en puissance des forces régionales sont des pistes prometteuses. Mais pour aller plus loin, il faudra des réformes profondes dans les rapports économiques, militaires et diplomatiques, afin d’atteindre une indépendance véritablement partagée et non subordonnée.
C’est bien là tout le paradoxe. Facile à dire, mais beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre. Cette souveraineté retrouvée semble un idéal lointain, presque utopique, au vu des lourdes chaînes économiques, politiques et militaires qui maintiennent encore beaucoup de pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest dans une dépendance subtile, mais persistante.
Les tentatives de sortir de ce carcan ne manquent pas : la montée en puissance des initiatives régionales comme la CEDEAO, les appels à la fin du franc CFA et même les révoltes populaires contre la présence militaire étrangère. Mais face à la réalité des rapports de force internationaux, des intérêts géopolitiques, et de la résistance de certains régimes à s’émanciper des anciennes structures de pouvoir, ces efforts se heurtent souvent à des murs. Les anciens liens coloniaux sont tenaces, et se débarrasser de ces héritages nécessite plus qu’un changement de discours ou une volonté politique.
C’est comme un équilibre précaire où tout geste pour revendiquer une véritable autonomie doit se mesurer avec les risques et les conséquences : l’instabilité intérieure, les pressions économiques et la menace d’une ingérence extérieure. Le chemin vers l’indépendance complète est pavé d’obstacles, et chaque avancée semble être contrebalancée par une nouvelle forme de pression ou d’ingérence.
«Plus facile à dire qu’à faire.» Oui, en effet. Mais c’est dans l’adversité que l’on forge les véritables changements. Se réinventer tout en brisant ces chaînes passées demandera sans doute des décennies et des efforts soutenus. Mais tant que le dialogue reste ouvert et que les peuples continuent de rêver et de se battre pour leur avenir, il y a toujours un espoir que ce futur ne sera pas qu’une illusion.
A. B.
Ndlr : Article rédigé en réaction au dernier discours d’Emmanuel Macron, dans lequel il affirme qu’«on a oublié de dire merci», en parlant des Africains, avec mépris.
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