Macron et l’Algérie : l’art de parler pour masquer les véritables intentions
Par Dr A. Boumezrag – Quand Emmanuel Macron prend la parole sur la Guerre d’Algérie, l’effet est immédiat : les projecteurs sont braqués sur lui, les commentateurs politiques se régalent, et les diplomates peuvent souffler en attendant que le président offre une nouvelle concession symbolique. Mais derrière ces paroles soigneusement pesées, se cache un art du discours qui ne va jamais au-delà de l’intention, jamais à la rencontre du réel. Macron, dans sa maîtrise du verbe, semble préférer l’illusion du geste plutôt que l’engagement d’une réconciliation vraie. Si la Guerre d’Algérie fait toujours écho à la mémoire collective, le président français semble plus soucieux de ne pas froisser certains électeurs.
Des symboles, mais pas de gestes véritables
En 2017, Emmanuel Macron qualifiait la colonisation de «crime contre l’humanité» dans un acte sans précédent pour un président français. Un aveu historique qui aurait dû ouvrir la voie à des changements profonds, à une prise de conscience collective. Mais, comme pour beaucoup de ses discours, l’effet s’est limité à l’indignation de ceux qui réclamaient depuis longtemps cette reconnaissance, et à un dialogue entre deux mémoires trop lointaines pour se comprendre. Que reste-t-il, concrètement ?
Quelques déclarations, une poignée de commémorations, des visites symboliques… Le rapport Stora de 2021, censé aborder la question des mémoires coloniales et de la Guerre d’Algérie, propose un grand nombre de recommandations – la reconnaissance des crimes, l’ouverture des archives et la réconciliation des mémoires. Mais pas un seul acte radicalement transformateur : pas de restitution de biens culturels, pas de pardon officiel, ni de réparations concrètes. En réalité, Macron a choisi la «réconciliation par petites doses», une forme de politique mémorielle qui l’empêche de se confronter aux blessures profondes laissées par le colonialisme.
Un exemple frappant en 2021 : après des mois de discussions, Macron se rend en Algérie pour réitérer les engagements de la France, mais le silence sur les demandes de grâce persiste. Le président préfère alors «apaiser» les mémoires, en répudiant l’idée d’une réparation systématique, qu’il juge irréaliste et contreproductive. Mais dans le même temps, il laisse en suspens une question de fond : faut-il maintenir cette ambiguïté ou assumer une démarche historique véritable, en brisant le tabou du pardon et des réparations ?
Les «gestes» mémoriels et leur double effet
Les gestes symboliques, aussi louables soient-ils, n’ont souvent qu’un effet pansement. Macron l’a compris, mais il les utilise comme une stratégie politique pour apaiser, sans jamais vraiment tenter de rétablir une véritable justice. Prenons l’exemple de l’admission par Macron de la répression sanglante du 17 octobre 1961, où des manifestants algériens ont été tués lors d’une manifestation à Paris. En 2018, le président français a affirmé, pour la première fois, que la répression avait été «inexcusable». Un geste fort, mais qui a immédiatement été mis en équilibre avec le silence sur les responsabilités directes des autorités de l’époque, notamment sur la manière dont ces actes ont été banalisés par les institutions françaises.
Les actes mémoriels, comme celui-ci, créent une illusion d’avancée qui masque l’absence de rupture véritable avec le passé colonial. Si Macron parle beaucoup de «réconcilier les mémoires», il oublie que cette réconciliation ne peut passer uniquement par des mots et des gestes symboliques. Elle doit, en parallèle, inclure des actes de reconnaissance concrète des préjudices infligés, des actes d’équité pour ceux qui ont été victimes, et des mesures pour réparer les crimes, au-delà de la simple reconnaissance morale.
La fracture mémorielle : une bombe à retardement social
Derrière cette politique mémorielle ambivalente, se cache une réalité plus sombre : la fracture sociale en France. Les jeunes descendants d’immigrés d’origine algérienne, et plus largement les communautés issues des anciennes colonies, sont les héritiers de mémoires dévastées par le colonialisme. Ces jeunes, souvent issus des quartiers populaires, n’ont pas seulement l’histoire de leurs ancêtres à porter, mais aussi celle de la discrimination raciale systémique qui persiste encore aujourd’hui. Les violences policières, les stéréotypes raciaux, l’exclusion sociale et économique font partie de la réalité quotidienne.
La Guerre d’Algérie, dans ces quartiers, est vécue par certaines comme une continuité du traitement inégalitaire des populations issues de l’immigration. L’absence d’une politique de réconciliation sincère, la délégation à des gestes symboliques, entretient cette mémoire conflictuelle. L’immense fracture sociale née de l’histoire coloniale ne se guérit pas en organisant une cérémonie ou en faisant des déclarations, mais en transformant les structures inégalitaires de la société française. Or, si Macron a parlé de «réparer les mémoires», il n’a jamais abordé les inégalités sociales comme un prolongement direct de cette histoire. Cette absence de lien entre mémoire et justice sociale crée une tension qui reste aigre, mais palpable, dans de nombreuses communautés.
Une politique étrangère qui se nourrit du passé
La question de la Guerre d’Algérie n’est pas uniquement une affaire de mémoire. Elle fait partie d’un jeu géopolitique beaucoup plus large. L’Algérie est un partenaire stratégique de la France, notamment dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, des questions migratoires et des échanges économiques. Dans ce cadre, Macron doit jongler avec des relations complexes, en faisant attention à ne pas trop s’engager dans des sujets sensibles tout en maintenant des relations diplomatiques stables. Cela se traduit par une politique étrangère élaborée, où l’héritage colonial est souvent relégué au second plan pour privilégier les intérêts tactiques immédiats.
Mais ce calcul a ses limites. La question mémorielle, même sous forme de gestes timides, fait partie du drapeau national dans les deux pays, et tout faux pas peut rapidement dégénérer en crise diplomatique. Ce compromis entre l’histoire et la diplomatie révèle bien une stratégie de la parole vide, où Macron se garde bien de se confronter réellement à l’héritage de la colonisation, pour éviter de perturber les alliances stratégiques. Pourtant, l’Algérie reste un actif économique pour la France et un acteur clé en Afrique du Nord, de quoi rendre l’héritage colonial encore plus incontournable.
Une autre voie : le temps de la rupture
Si Macron et son gouvernement veulent vraiment tourner la page de la Guerre d’Algérie et de la colonisation, ils accepteront une rupture radicale avec l’inaction actuelle. Cela passe par la reconnaissance de tous les crimes coloniaux, l’ouverture totale des archives et la réparation des préjudices infligés, qu’ils soient financiers, sociaux ou symboliques. Une réconciliation ne peut pas se faire dans la demi-mesure ; elle exige une démarche courageuse et des gestes forts, qui aillent au-delà des discours. C’est en reconnaissant pleinement cette histoire, avec ses injustices, ses souffrances et ses conséquences actuelles, que les deux nations pourront enfin, peut-être, construire un avenir commun.
Des discours à l’épreuve du réel
Emmanuel Macron maîtrise l’art du discours, mais à force de parler sans agir, il risque d’enfermer la France et l’Algérie dans une politique de l’entre-deux, où la réconciliation reste un mirage. Au lieu de s’emparer du passé pour libérer l’avenir, il semble préférer le confort d’une mémoire flottante, où les actes se font attendre. La question reste donc de savoir combien de temps encore les paroles de Macron suffiront pour masquer ses véritables intentions. Car, à force de noyer l’histoire dans des gestes symboliques, la réconciliation risque de ne jamais se concrétiser.
«Il n’est pas d’avenir sans réconciliation des mémoires, mais il n’est pas de réconciliation possible sans une véritable confrontation avec le passé.» (Benjamin Stora, historien spécialiste de la Guerre d’Algérie).
A. B.
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