Du roi Charles X au président Macron : du coup d’éventail au coup de bluff

Macron
Le nouveau roi Macron dans son palais élyséen. D. R.

Une contribution du Dr A. Boumezrag – Paroles, gestes et silence. Deux siècles se sont écoulés entre le coup d’éventail donné au consul français par Hussein Dey et le coup de bluff politique d’Emmanuel Macron face à la mémoire, toujours brûlante, de la colonisation. Mais, au fond, qu’est-ce qui a changé ? Rien, ou presque. Si ce n’est que la rhétorique est désormais plus lisse et que les excuses sont devenues une monnaie diplomatique qui se négocie au gré des intérêts économiques et électoraux.

1830 : comment déclencher une invasion «par principe»

Retour en 1827 : le Dey d’Alger, Hussein, exaspéré par l’attitude méprisante du consul français Pierre Deval, lui donne un coup d’éventail lors d’une audience. Ce geste devient le prétexte rêvé pour la monarchie française. En 1830, Charles X lance une expédition militaire contre Alger, désormais pour «punir l’insulte» et protéger les intérêts commerciaux français. Officiellement, il s’agit d’une manœuvre désespérée pour détourner l’attention d’une crise politique interne et redorer le blason d’une monarchie vacillante.

Ce qui suit est loin d’être une simple «opération de police». L’invasion de l’Algérie se transforme en une guerre coloniale d’une violence inouïe : massacres, expropriations massives, destruction des cultures locales et, surtout, dépossession de terres, cœur du projet colonial. Entre 1830 et 1871, environ un tiers de la population algérienne est décimée, soit par les armes, soit par les famines provoquées par la politique française.

L’Algérie devient une colonie de peuplement en 1848, directement intégrée à la République française comme trois départements. Pourtant, les Algériens autochtones sont privés de droits politiques. La République des droits de l’Homme n’est alors qu’une République pour les colons.

2025 : comment gérer l’histoire avec des demi-mesures

Et nous voici presque deux siècles plus tard. La colonisation appartient-elle au passé ? Pas vraiment. L’héritage de ce système perdure dans les mémoires, les discours politiques et les relations internationales. Et c’est dans ce contexte que la présidence d’Emmanuel Macron prend toute sa complexité.

En 2017, alors candidat, Macron frappe fort lors d’une visite en Algérie. Il qualifie la colonisation de «crime contre l’humanité», suscitant une tempête politique en France et des applaudissements de l’autre côté de la Méditerranée. Pourtant, une fois élu, ses actes peinent à suivre ses mots.

En 2018, Macron reconnaît la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat du mathématicien Maurice Audin, militant anticolonialiste disparu en 1957. C’est un geste fort, mais isolé. Les familles des disparus attendent toujours un accès complet aux archives de la guerre.

En 2021, commandé par Macron, le rapport de l’historien Benjamin Stora propose des pistes pour apaiser les tensions mémorielles, mais éviter soigneusement de recommander des excuses officielles ou des réparations. Résultat : une demi-mesure tout aussi infructueuse.

Pendant ce temps, l’Algérie continue d’exiger des excuses formelles.

Au-delà des gestes officiels, les cicatrices de la colonisation restent visibles. En France, les populations d’origine algérienne subissent encore des discriminations et une marginalisation. Dans les banlieues, les stigmates du passé colonial se mêlent aux fractures sociales et économiques, alimentant un sentiment de relégation.

Les mêmes ficelles, un siècle après l’autre

Charles X utilisait l’invasion de l’Algérie comme une distraction politique. Macron, lui, manipule la mémoire coloniale comme une carte diplomatique. A chaque époque, l’Algérie semble servir d’écran de projection pour les crises françaises : hier pour détourner l’attention des problèmes intérieurs, aujourd’hui pour apaiser un débat identitaire toujours enflammé.

Macron aime se présenter comme un président moderne, prêt à regarder l’histoire en face. Mais ses actions semblent souvent guidées par le court terme : un discours ici, une poignée de main là, mais pas de véritable projet de réconciliation. Le passé est encore utilisé comme un outil politique et non comme un levier pour construire un avenir commun.

Pendant ce temps, les deux sociétés, française et algérienne, restent piégées par leurs blessures mémorielles. Ce ne sont ni les gestes symboliques ni les coups de bluff qui suffiront à solder les comptes de l’histoire.

Entre histoire et politique, l’ombre d’un avenir incertain

De Charles X à Emmanuel Macron, l’Algérie n’a jamais arrêté d’être un miroir, souvent déformant, des crises françaises et des ambitions politiques. Le coup d’éventail de 1830 a inauguré une ère de violence et d’injustice dont les cicatrices continuent de traverser les mémoires des deux côtés de la Méditerranée. Le coup de bluff de 2025, lui, illustre une autre réalité : celle d’une histoire instrumentalisée, où les mots «réconciliation» et «excuses» restent suspendus entre stratégie diplomatique et opportunisme politique.

Mais peut-on bâtir un avenir sans affronter sincèrement son passé ? A force de demi-mesures et de gestes symboliques sans réelle profondeur, sur le maintien des malentendus et des frustrations, la mémoire coloniale, loin d’être une page tournée, demeure une blessure ouverte qui attend une véritable réconciliation, fondée sur la vérité, la justice et l’écoute des peuples.

Car l’histoire n’est pas un simple récit d’hier : elle façonne encore aujourd’hui nos identités, nos relations et nos futurs possibles. Et tant que l’on continue à manier l’éventail et le bluff, les rives de la Méditerranée resteront séparées par un océan d’incompréhensions.

«Le passé ne meurt jamais. Il n’est même pas passé.» (William Faulkner).

A. B.

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