Corruption endémique en Ukraine : autopsie d’un phénomène qui gangrène tout le pays (II)

Ukraine corruption
Olga Stefanishina, ministre ukrainienne de la Justice. D. R.

Une contribution d’Oleg Nesterenko – Le 5 septembre 2024, une nouvelle réjouissante a été reçue par les partenaires occidentaux de l’Ukraine : Mme Olga Stefanishina, vice-Première ministre ukrainienne pour l’Intégration européenne et euro-atlantique a été nommée à l’unanimité des voix par le Parlement ukrainien au poste de ministre de la Justice.

Hormis la responsabilité sur l’intégration européenne et euro-atlantique de l’Ukraine, cette dame a été choisie pour devenir le visage de la justice ukrainienne. Cette lourde responsabilité et, en même temps, l’honneur lui ont été accordés certainement pour son sens aigu de la justice et ses valeurs morales à toute épreuve.

Il y a juste un détail qui ne pose, bien évidemment, aucun souci ni aux tenants du pouvoir à Kiev ni aux amis euro-atlantiques de l’Ukraine qui connaissent fort bien Mme Stefanishina. Un détail que je vais quand même aborder en quelques lignes.

Avant et au moment même de sa nomination à la tête du ministère de la Justice ukrainien, Olga Stefanishina était, l’air de rien, en état d’inculpation pour corruption par la justice ukrainienne : elle est officiellement soupçonnée de détournement de fonds publics et d’abus de pouvoir, en vertu du paragraphe 5 de l’article 191 du code pénal de l’Ukraine (son nom figure sur liste des accusés dans l’affaire de corruption sous le numéro 991/7772/23, daté du 26 septembre 2023).

La première audience pour l’affaire pénale de corruption de Mme Olga Stefanishina a eu lieu auprès de la Haute Cour anti-corruption d’Ukraine, le 26 septembre 2023 et, depuis septembre 2024, l’accusée occupe le poste de ministre de la Justice ukrainienne. Le poste lui procurant, par la même occasion, le pouvoir juridique direct sur ceux qui sont en train de la juger.

Ce serait faire preuve d’une grande légèreté d’esprit que d’imaginer que dans un pays orwellien où un accusé dans une affaire pénale devient ministre de la Justice, ce dernier ne serait pas déclaré innocent pour les faits incriminés.

Consortium Bulding UA

Sur un grand nombre de cas de grande corruption que l’Ukraine connaît, j’ai choisi un qui touche le domaine des travaux publics et, en même temps, celui de la génération des bénéfices de corruption grâce à de gigantesques pertes humaines sur les champs de bataille, dont une grande partie concerne les civils envoyés de force par le régime de Zelensky à ce qu’on peut difficilement qualifier autrement que d’abattoir (le thème fera l’objet d’un de mes prochains articles).

Il s’agit du projet de construction près de Kiev du plus grand cimetière militaire d’Ukraine.

L’appel d’offres pour la construction près de Kiev de ce cimetière militaire a été remporté par l’entreprise kiévienne Consortium Bulding UA, dont l’offre s’élevait à 1,75 milliard de hryvnias (environ 40 millions d’euros).

Le fait que ce soit cette société et pas une autre qui ait été retenue pour la réalisation du projet démontre qu’elle s’est avérée être la meilleure au niveau du rapport qualité/prix proposé et parmi les plus compétentes sur le territoire de l’Ukraine dans le domaine des travaux publics.

Jusque-là, rien d’anormal. Mais ce n’est pas tout. La particularité de ce consortium constitué de trois entreprises (originaires des villes d’Odessa, de Dniepr et de la région de Kiev) et qui devait avoir l’air d’une joint-venture tout à fait ordinaire, réside dans le fait qu’il a été créé le 04 juillet 2024, soit 1 jour après l’annonce de l’appel d’offres en question. Et le montant du capital social de ce «nouveau-né» qui a remporté l’appel d’offres avoisinant les 40 millions d’euros est remarquable : 1 million de grivnas, soit environ 22 500 euros.

En dehors même des éléments exposés qui feraient déjà l’objet d’un examen judiciaire dans un pays où la lutte contre la corruption existerait comme telle, l’analyse des éléments du dossier de réponse du gagnant de l’appel d’offres par un système ukrainien indépendant, Youcontrol, a conclu que non seulement le dossier du soumissionnaire Consortium Bulding UA ne disposait pas d’éléments nécessaires pour la réalisation du projet, mais ne pouvait même pas être autorisé à prendre part à l’appel d’offres en question.

Strictement aucune action de la part des autorités, ni aucune mise en examen n’a eu lieu et n’aura, bien évidemment, jamais lieu dans cette affaire, bien qu’elle ait fait l’objet d’une divulgation et d’un scandale au niveau national. Ce qui signifie une seule chose : dans ce projet, il existe des rétrocommissions, dont les bénéficiaires sont les personnes se trouvant au sommet de la pyramide de la corruption ukrainienne.

Cela étant, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la corruption flagrante qui est un élément ordinaire, voire constitutif de la vie économique du candidat à l’adhésion à l’Union européenne qu’est l’Ukraine.

Le tour de passe-passe législatif dans la protection de la corruption

Le code pénal de l’Ukraine, de même que le code pénal de chaque pays, contiennent des dispositifs et des procédures pénales s’appliquant à des infractions pénales de corruption.

Dans le cadre de la politique de l’intégration européenne et selon les exigences de l’UE (contre la délivrance à l’Ukraine de 4 milliards d’euros d’aide supplémentaire), le 29 octobre 2024, la Verkhovna Rada (Parlement) a adopté la loi (4033-IX) portant modification du code pénal et du code des procédures pénales s’appliquant à la coopération avec la justice des auteurs des infractions pénales de corruption.

Notamment, son article 77 concernant les dispositifs s’appliquant aux personnes soupçonnées de corruption qui coopèrent avec l’enquête en dénonçant les complices et en apportant la réparation des préjudices, a été complété par une seconde partie prévoyant la possibilité de confiscation des biens de la personne incriminée. «2. En cas d’exemption de l’exécution d’une peine avec probation sur la base d’un accord de plaidoyer dans le cadre d’une procédure pénale concernant une infraction pénale de corruption ou une infraction pénale liée à la corruption, sous réserve de l’accord entre les parties, une peine supplémentaire sous forme de confiscation de biens peut également être infligée.»

A la suite de cette «harmonisation» du code pénal ukrainien vis-à-vis de ceux de l’espace européen, Kiev a reçu les 4 milliards d’euros promis par Bruxelles.

Seulement, 22 jours après l’adaptation de la loi 4033-IX, le 20 novembre 2024, la Verkhovna Rada adopte une nouvelle loi (4074-IX) portant une nouvelle modification au code pénal et au code des procédures pénales s’appliquant à des infractions pénales de corruption. Dans cette nouvelle rédaction de la loi, la partie 2 de l’article 77 du code pénal est également modifiée ? Non. Elle disparait carrément.

Ainsi, le code pénal de l’Ukraine revient à son état «originel» et ne prévoit plus aucune possibilité de confiscation de biens des fonctionnaires condamnés dans les affaires de corruption, s’ils coopèrent avec l’instruction : ils peuvent dormir tranquille et ne plus s’inquiéter pour le destin de leurs biens mal acquis qui ont été mis en danger durant les 22 jours de l’existence de la loi adoptée fin octobre 2024.

Manque de chance, le tour de passe-passe législatif dans la protection des corrompus par les «élus du peuple» siégeant au Parlement ukrainien a été découvert. Après que leur l’initiative lumineuse a été portée à la connaissance du grand public, un véritable scandale à l’échelle national a éclaté (il est à noter que, côté Union européenne escroquée par Kiev à hauteur de 4 milliards d’euros de plus, Bruxelles n’a pas prononcé un mot sur le sujet, de même que les médias mainstream occidentaux de propagande).

Face à un peuple ukrainien opprimé, persécuté et abaissé par le régime de Zelensky, la tentative de ses «représentants» au Parlement de faire amender la législation pour la préservation des biens pillés par les fonctionnaires ripoux a dépassé l’entendement et a donc fait s’élever des voix même au sein des masses opprimées et habituées à l’omerta.

Alors, le pouvoir installé à Kiev a dû reculer et abandonner son initiative qui faisait rêver la légion de fonctionnaires ukrainiens corrompus. Le député Serguei Ionouchas, le représentant du parti de Zelensky, Serviteurs du peuple, a qualifié la tentative échouée de «simple malheureuse erreur technico-juridique commise par ses auteurs» et a promis de la corriger.

Le patronat «atlantiste»

C’est bien ce régime totalitaire ne disposant d’aucune vision, même théorique, sur ce qui est le fonctionnement d’un Etat avec la structure portante autre que celle de la corruption, qui est maintenu sous perfusion durant toutes ces années par l’Occident, qui en fait un outil de la guerre contre le résurrection de la puissance de la Fédération de Russie face aux intérêts et des élites politico-financiers occidentaux.

Les tenants du pouvoir dans les capitales occidentales font passer leur «création» pour un cas exemplaire de la lutte pour des «valeurs démocratiques», via l’appareil de propagande des médias mainstream auprès des masses électorales occidentales, dont l’unique rôle est de cautionner l’usage de leur argent par leurs dirigeants.

Les présidents et les gouvernements successifs des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France et de quelques autres pays, modestes satellites et outils entre les mains du maître outre-Atlantique, agissent en association avec des malfaiteurs, dont l’objectif constitutif est la domination d’autres nations, afin de pérenniser la génération des bénéfices financiers avec le minima de contrepartie. Ils sont directement coupables de l’encouragement et de la multiplication des crimes contre l’humanité et des assassinats ciblés.

La mise en danger par des acteurs du monde non-occidental du rapport «dominant-dominé», instauré depuis un demi-millénaire et qui mène vers une grave diminution des bénéfices financiers, fait entrer le bloc «atlantiste» dans un état d’agressivité toute particulière, qui ne présage rien de bon pour le monde dans les décennies à venir.

En ce qui concerne le positionnement de leur «création», qu’est le pouvoir actuellement installé à Kiev, vis-à-vis de la guerre en cours, celle-ci doit continuer, quel que soit le prix à payer par l’Ukraine et son peuple. Car, le jour où la guerre s’arrêtera et si le régime de Zelensky est renversé, les faits exposés dans cet article paraîtront tout à fait banals devant l’ampleur des faits de corruption qui seront mis en lumière.

O. N.

Président du CCIE, spécialiste de la Russie, CEI et du continent africain, ancien directeur du MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de commerce de Paris.

(Suite et fin)

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