Liberté, égalité, hypocrisie : République en vitrine et répression en coulisses
Par Dr A. Boumezrag – Ah la France ! Ce modèle de démocratie, ce phare des droits de l’Homme, ce berceau des révolutions, où les principes de liberté, égalité et fraternité brillent sur chaque front de mairie. Du moins, c’est ce qu’on nous dit. En façade, tout est beau, tout est idéal, tout est républicain. Mais quand on s’aventure un peu derrière les rideaux, dans les coulisses de cette République, la lumière s’éteint et l’on découvre un autre décor : celui d’un pouvoir qui n’a de républicain que le nom, qui préfère la répression à la négociation et l’apparence à l’essence.
Les «grands débats» ou l’art de faire semblant
Prenons les récentes manifestations contre la réforme des retraites. Des millions de Français dans la rue, battant le pavé pour exprimer leur rejet d’une réforme imposée par le 49.3, symbole même du passage en force. Mais la réponse du gouvernement ? L’usage d’un arsenal répressif digne des régimes autoritaires. L’Observatoire des libertés et de l’information a documenté plus de 900 arrestations pendant ces manifestations, dont des centaines de jeunes, souvent interpellés sans raison valable. Des centaines de blessés, dont des journalistes et des manifestants pacifiques, ont été pris dans des scènes où la brutalité policière semblait se banaliser. On a vu des policiers lancer des grenades lacrymogènes dans les rues bondées, des manifestants traînés au sol, certains blessés au visage par des tirs de LBD (lanceurs de balles de défense). Pour une démocratie qui se veut modèle des droits humains, c’est un drôle de spectacle.
Et que dire des consultations citoyennes ? Après la Convention citoyenne pour le climat, censée proposer des solutions ambitieuses pour lutter contre le réchauffement climatique, on a assisté à un maquillage démocratique de plus. Ces citoyens tirés au sort avaient pourtant mis sur la table des propositions audacieuses, comme l’augmentation de la taxe carbone, la suppression des subventions aux énergies fossiles, ou la réduction des transports aériens. Mais, dans le fond, que sont devenues ces préconisations ? La plupart ont été soit édulcorées, soit ignorées par un Parlement pressé de suivre la ligne économique plutôt que les aspirations populaires. C’est ça, le «dialogue citoyen» : une jolie façade pour faire croire que l’on écoute, avant de verrouiller les décisions dans les bureaux feutrés de Bercy.
L’état d’urgence : l’arme de la normalité
Ah, l’état d’urgence ! Cette petite perle juridique qui permet de suspendre les libertés publiques sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Un dispositif qui devait être temporaire, en 2015, et qui est devenu, année après année, une norme dans le fonctionnement de la vie politique et sociale française. En 2024, une nouvelle législation sur la cybersécurité a franchi un nouveau cap dans cette surveillance généralisée. Désormais, tout individu soupçonné d’«activisme» numérique peut voir sa vie privée scrutée, ses communications interceptées, ses déplacements suivis. C’est la liberté surveillée : un joli oxymore. La France, patrie des droits de l’Homme, voit ainsi ses propres citoyens devenir des suspects permanents, dès qu’ils osent s’exprimer contre l’ordre établi, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les rues.
Et pour ceux qui voudraient encore croire que la France défend la liberté de la presse, jetez un œil sur les perquisitions des journalistes. En 2023, des journalistes du Canard Enchaîné enquêtant sur les ventes d’armes à l’Egypte ont été perquisitionnés en pleine nuit, leurs ordinateurs saisis sous prétexte de «protection des sources». En décembre 2023, plusieurs journalistes de Mediapart ont vu leurs bureaux envahis après avoir publié des révélations sur des affaires de financement politique douteux. Et que dire des lanceurs d’alerte ? La loi Sapin II de 2016 était censée protéger les courageux citoyens qui dénoncent les dérives du système. Mais, en réalité, les lanceurs d’alerte se retrouvent souvent ostracisés, menacés, voire licenciés. Le courage ne suffit pas dans un pays où l’impunité est la règle pour les puissants et la répression la norme pour les contestataires.
Le modèle de la France : à qui sert-il vraiment ?
La France aime se présenter comme le modèle de la démocratie pour les pays du Sud, notamment ceux d’Afrique et du Moyen-Orient. Mais dans la réalité, ce «modèle» se résume à une République où l’égalité n’est que théorique, où la fraternité est un vœu pieux et où la liberté se réduit à une illusion. Les dictatures déguisées, elles, ont tout à gagner à imiter ce modèle : pas besoin de répression violente ni de détournement flagrant des principes républicains, tout se joue dans l’apparence. C’est la démocratie en kit, qui permet de donner un vernis aux régimes autoritaires sans avoir à en assumer les conséquences. Les régimes autoritaires n’ont qu’à regarder la France pour savoir comment jouer de la com’ sans faire trop de vagues.
L’histoire des relations de la France avec ses anciennes colonies nous rappelle aussi que, bien souvent, la France a encouragé des régimes plus souples, prêts à fermer les yeux sur les dérives économiques ou sociales pour mieux soutenir les intérêts français. Un modèle, vraiment ? Ou plutôt une vitrine pour masquer les failles profondes du système ?
La morale de l’histoire : un modèle à repenser
Le problème avec ce «modèle français», c’est qu’il repose sur un paradoxe : il prétend être une démocratie, mais ne pratique pas ce qu’il prêche. Il s’affiche comme un champion des libertés, mais il les réduit sans cesse. Il clame son égalité, mais la transforme en une pure rhétorique, sans fondement dans la réalité des inégalités sociales, économiques et raciales. Il se dit solidaire, mais n’hésite pas à écraser ceux qui se lèvent pour dénoncer les injustices. La République en vitrine est resplendissante, mais son arrière-boutique, elle, est bien sombre.
L’avenir de la France, et peut-être celui des pays qu’elle considère comme ses «modèles» ou ses «partenaires», réside dans une refonte en profondeur. La démocratie n’est pas une question de mots ou de slogans : c’est une question de respect des principes, de responsabilité politique et de transparence. Quand l’arrière-boutique sera aussi resplendissante que la vitrine, peut-être alors qu’on pourra parler d’une République lumineuse à la hauteur de son idéal. En attendant, le peuple n’aura de cesser de réclamer ce qui lui appartient : une démocratie réelle et non une fausse promesse.
«La démocratie ne se mesure pas à la beauté de ses principes affichés, mais à la capacité de ses citoyens à faire entendre leur voix, même contre le vent des institutions.» (Albert Camus).
A. B.
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