Pillages et larcins coloniaux : lettre ouverte au président Emmanuel Macron
Par Ali Farid Belkadi – «La civilisation de l’Homme ne réside pas dans l’Homme, elle est dans les bibliothèques, dans les musées et dans les codes.» (Jean Rostand, Pensées d’un biologiste).
Monsieur le Président,
J’ai lu dans un journal, il y a quelques jours : «Le musée du Louvre, confronté à une affluence record, s’apprête à modifier son système tarifaire. Dès janvier 2026, les visiteurs provenant de Suisse et de pays hors Union européenne verront le prix d’entrée grimper de 22 à 30 euros, soit une hausse de plus de 36%. Cette décision, annoncée par Emmanuel Macron, vise à financer un vaste programme de réaménagement du musée, dont le coût est estimé à 800 millions d’euros d’ici 2031.»
Les Algériens et les Africains, ressortissants hors Union européenne, ne doivent pas payer 30 euros pour venir admirer les œuvres de leurs ancêtres conservées au musée du Louvre.
Cet immense musée qui doit son prestige universel aux abjects pillages et aux larcins opérés au cours du XIXe siècle par la France coloniale affectée de la volonté de puissance si chère au philosophe allemand Friedrich Nietzsche.
Le Louvre à 30 euros cela tend à confirmer le tenace et persistant engrenage des préjugés envers les Maghrébins et les Africains.
Cela concerne autant d’autres ressortissants hors UE, dont les Egyptiens, les Irakiens, les Syriens, les Libanais et les Iraniens. Le décor de la ville et du palais du roi Sargon II à Dur-Sharrukin, actuellement Khorsabad, les œuvres fabuleuses du patrimoine syrien découvert par Max von Oppenheim qui y conduisit des fouilles de 1911 à 1913 ou plus particulièrement les collections du département des Antiquités égyptiennes étalées depuis la fin de la Préhistoire, vers 4000 avant notre ère, jusqu’à l’époque chrétienne, à partir du IVe siècle apr. J.-C. Sans oublier le département des arts de l’islam doté de plus de 14 000 objets et complété par les 3 500 œuvres déposées par le musée des Arts décoratifs. Une collection qui témoigne de la richesse et de la diversité des créations artistiques des terres de l’islam entre les VIIe et XIXe siècles, de l’Espagne à l’Inde.
Sans oublier les cultures d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Mais ça, c’est une autre histoire.
Ce serait tellement irrévérencieux de votre part de faire payer à ces visiteurs du continent africain qui a tant donné à la France, ce que peut rapporter en une seule journée une cagnotte officielle en ligne ou à la télévision.
La visite du Louvre gratuite
Au lieu des 30 euros par personne, anciennement 22 euros, prix du billet d’entrée au musée du Louvre dans la limite des places disponibles, payables en caisse au musée par carte bancaire, en espèces et en chèques vacances, faites que les Maghrébins et les Africains puissent accéder gracieusement aux belles collections de cet imposant musée. Cela leur permettra de s’extasier culturellement et s’embellir orgueilleusement des œuvres remarquables de leurs aïeuls, pillées par le corps expéditionnaire français, lorsque l’Algérie ravagée par les saccages et les crimes, succomba le 5 juillet 1830. Du côté des vaincus, la colonisation, avec les contributions de guerre, les larcins et les razzias qu’elle entraîna, avait eu pour conséquence l’essor du sentiment national et l’aversion légitime pour les colons, clôturée le 5 juillet 1962, jour officiel du recouvrement de la liberté par les Algériens.
L’accès gratuit aux collections du musée du Louvre, les Africains le méritent également. Ne serait-ce que par respect pour le migrant Picasso qui s’inspira des masques de l’Afrique profonde, établissant ainsi sa définitive célébrité grâce au plagiat de l’Afrique dite sauvage. Selon son propre aveu, Pablo Picasso, l’exogène établi vers la place Dutertre, à Paris, lassé d’avoir atteint les limites de son style et d’avoir fait plus de quatre-vingt fois le portrait Gertrude Stein, s’inspira des sculptures africaines et des têtes sculptées dans le bois que lui avait fait découvrir Henri Matisse au musée du Trocadéro.
Quatre-vingt têtes de résistants décapités à Zaâtcha
Retournez aux Algériens, Monsieur le Président, les centaines de restes mortuaires, toutes époques confondues, qui sont toujours conservés au MNHN. Dont les têtes décapitées des quatre-vingt résistants de Zaâtcha (Biskra), les crânes de la bataille de Laghouat, ceux des combats de Touggourt ou encore les ossements des fougueux guerriers touareg de l’Aïr et du Hoggar. Identifiés par moi au MNHN, intégralement ignorés par les dilettantes mémorialistes du New-York Times et par des tas de diplomates convertis en pseudo-scientifiques, et tous ceux qui n’ont toujours pas réalisé que la guerre remportée par les Algériens en huit ans de lutte phénoménale est terminée depuis soixante-trois ans.
Les dolmens, les menhirs, les météorites…
Vous pouvez garder les matériaux recueillis à l’intérieur des Dolmen et les Menhirs. Il en existe près de 3 000, uniquement à Roknia, dans la région de Guelma (Aurès).
De même que les 431 météorites qui sont recensées dans la rubrique «Météorites» dans la base de données du Muséum de Paris. Quelques-unes d’entre elles ont connu la formation du système solaire, il y a 4,6 milliards d’années. Leur nombre doit être bien plus important car seuls figurent dans cet inventaire les spécimens informatisés et non l’intégralité des collections du Muséum de Paris.
MNHN-GT-1577 : poids 500 Kilogrammes
La plus connue d’entre ces météorites pèse un peu plus de 500 kg. Chue, à une dizaine de km de la localité de Tamentit, au sud d’Adrar, elle gisait à demi-enfouie dans le sable, sur l’une des places publiques de l’oasis. La légende locale fait remonter la chute de cette météorite au XIVe siècle. Les Français la firent transporter au Muséum national d’histoire naturelle de Paris en 1927, où elle porte la référence «MNHN-GT-1577, poids 500 000 grammes, météorite origine Tamentit, classification de météorite IIIAB, date de chute 1864. Origine Algérie».
Ce musée conserve des biens patrimoniaux concernant plusieurs domaines scientifiques et provenant de toutes les régions d’Algérie, dont l’ethnologie, la préhistoire, l’entomologie, l’anthropologie ainsi que la paléontologie. Autant de matières qui multiplient par centaines les biens usurpés aux Algériens aux temps obscurs de la colonisation.
L’Algérie sereine et fertile
Les informations des bureaux arabes au début de l’époque coloniale française permettent d’affirmer que bien avant l’apparition des Français, le pays était équipé de barrages hydrauliques artisanaux qui alimentaient les plaines algériennes, où poussaient différentes sortes de céréales, dont le blé, l’orge et le riz. Les arbres fruitiers croissaient jusque sur les pentes des collines. Les petites fabriques privées pourvoyaient les populations dans d’autres richesses, dont l’huile. L’élevage ovin et bovin y était pratiqué traditionnellement, à grande échelle. Le commerce était actif et des tribus maghzen, armées et exemptées de l’impôt foncier, assuraient la sécurité des communications caravanières. De Tlemcen à la Soummam, de Sétif à Bechar, l’agriculture était prospère, la vie traditionnelle suivait son cours. Les plaines côtières, d’Oran, la Mitidja, l’Algérois ou la campagne de Bône étaient riches et les populations qui y vivaient laborieuses, voire aisées.
Les familles algériennes disposaient de maisons cossues, de style mauresque, avant l’arrivée des Français. Celles-ci furent accaparées par les officiers de haut rang de l’armée française et leur clientèle venue de France, nantie, dont le père de l’auteur Léon Roches, fraîchement arrivé à Alger où du jour au lendemain, il se mua en colon. La belle maison de la famille Roches qui était située sur les hauteurs de la ville vers Tagara, fut achetée pour une bouchée de pain à un Arabe qui ne s’y sentait plus à l’aise, ni en sécurité parmi les colonisateurs français.
L’Etat français s’est procuré ainsi des dizaines de milliers d’hectares de terres riches, en confisquant les biens détenus par les Algériens, plus d’un sixième de la superficie totale en abandonnant entre 6 ou 4 hectares à chaque famille «indigène». Les Français poussaient au départ les «riches Arabes», pour racheter leurs propriétés littorales, où furent créés des centres de colonisation.
Ce n’est pas l’Algérie qui a été créée par la France, mais l’Algérie française à destination des petits et grands colons. Ces rebuts du pourtour méditerranéen accourus de partout, accueillis par les bénédictions urbi et orbi des ecclésiastiques.
La loi Warnier de 1875 francisa les terres en contournant les obstacles dressés par la loi coutumière indigène contre l’aliénation des biens patrimoniaux. Des villages européens sont ainsi créés par l’administration sur des terres confisquées.
C’était le bon vieux temps, tombé de Charybde en Scylla.
L’Algérie est un pays riche et prospère. Et elle le restera jusqu’à la fin des temps.
Le musée du Louvre, parlons-en !
La colonisation de l’Algérie est née de la volonté de puissance de l’empereur Napoléon Ier, dont l’égo démesuré, reconnu par tous les historiens, sera furtivement happé quelques années plus tard, en 1830, par un roi de France finissant, au pouvoir chancelant. Pour préparer la prise d’Alger, Napoléon Ier fera la campagne d’Egypte afin de s’informer des tempéraments arabes.
Napoléon Ier est simple général des troupes de la Révolution française, avant de se convertir en maître des campagnes d’Italie et d’Orient.
Vincent-Yves Boutin, colonel français de la grande armée napoléonienne durant le Premier Empire, remplira une mission d’espionnage à Alger en 1808, à la demande de Napoléon Ier. Celle-ci servira de plan d’invasion lors de la conquête de la Régence turque par la France en mai 1830.
L’expansion territoriale française de l’Algérie est la cerise sur le gâteau ; elle fut expérimentée à Hambourg, Barcelone, Amsterdam et Rome, ces capitales seront sous la botte napoléonienne.
La famille de Napoléon Ier confisque l’Europe
Napoléon Ier sera le président l’Italie de 1802 à 1805, puis roi d’Italie du 17 mars 1805 au 11 avril 1814. Il s’occupera de la Confédération suisse de 1803 à 1813. Il deviendra le protecteur de la Confédération du Rhin de 1806 à 1813. On ne retient plus le petit Corse.
A la suite de toutes ces conquêtes, il placera les membres de sa famille sur les trônes de plusieurs royaumes européens. Joseph à Naples, puis en Espagne. A Jérôme reviendra la Westphalie, Louis le trône de Hollande, son beau-frère Joachim Murat régnera à Naples. La Pologne, le Royaume de Prusse et l’Archiduché d’Autriche seront contrôlés par lui.
Restons en France où l’idée révolutionnaire est orientée vers le désir de remodeler la société française sur des bases égalitaristes, selon le modèle du petit peuple de la ville, dont les convictions s’opposent à toute croyance religieuse ainsi qu’aux symboles de la royauté.
La théophilantropie remplace Jésus-Christ
On vit même apparaître momentanément en France une nouvelle doctrine à caractère religieux, appelée théophilantropie, dont la forte connotation anticatholique exhortait la société française à la déchristianisation.
C’est ainsi que sont remis en cause les tenues vestimentaires et détruits les costumes, les manières belles ou mauvaises, le langage de l’aristocratie, ses goûts et ses dispositions artistiques, jugées dégénérescents. On a vu la même chose ailleurs, à notre époque au sein d’autres peuples et dans d’autres régions du monde. La démolition en 2001 des Bouddhas de Bâmiyân en pays afghan. Ces Bouddhas étaient passés inaperçus depuis des siècles, sans qu’aucun musulman sunnite ou chiite depuis le dernier empereur sassanide, vers le milieu du VIIe siècle Yazdgard III, n’en fût jamais offusqué. La révolution «éducative» attribuée aux Khmers rouges n’en était pas moins dictatoriale et despotique, etc.
Les valeurs véhiculées par la Révolution française de 1789 furent déconstruites par l’abbé Grégoire, qui fut auparavant un évêque partisan des émeutiers de 1789.
1789, l’abbé Grégoire et les fripons
Henri Jean-Baptiste, surnommé «l’abbé Grégoire» (1750-1831), un prêtre catholique, qui fut l’une des figures emblématiques de la Révolution française, écrit : «Le mobilier appartenant à la nation a souffert des dilapidations immenses, parce que les fripons, qui ont toujours une logique à part, ont dit : nous sommes la nation et quoiqu’en général on doive avoir mauvaise idée de quiconque s’est enrichi dans la Révolution, plusieurs n’ont pas eu l’adresse de cacher des fortunes colossales élevées tout à coup. Autrefois, ces hommes vivaient à peine du produit de leur travail et, depuis longtemps ne travaillant pas, ils nagent dans l’abondance. C’est dans le domaine des arts que les plus grandes dilapidations ont été commises. Ne croyez pas que l’on exagère en vous disant que la seule nomenclature des objets enlevés, détruits ou dégradés formerait plusieurs volumes. La commission temporaire des arts, dont le zèle est infatigable, regarde comme des conquêtes les monuments qu’elle arrache à l’ignorance, à la cupidité et à l’esprit contre-révolutionnaire, qui semblent ligués pour appauvrir et déshonorer la nation.» (Rapport de Grégoire, au nom du comité d’instruction publique, sur les destructions opérées par le vandalisme et sur les moyens de les réprimer. Séance du 31 août 1794, 14 fructidor, an II).
L’abbé Grégoire dresse un état des lieux saisissant des saccages commis par les insurgés lors de ce branle-bas social. Cet ecclésiastique fut l’un des seuls à s’élever contre les déprédations et les destructions à grande échelle qui se poursuivirent pendant des années au nom de la Révolution. Les croix chrétiennes furent remisées secrètement dans les combles ou détruites. Les églises et les monastères furent rasés par dizaines à l’explosif. D’autres lieux de culte furent transformés en granges ou en casernes. On verra cela lors de la prise d’Alger par le corps expéditionnaire français, lorsque les belles mosquées furent transformées en écuries. Le Coran et les manuscrits de haute spiritualité y furent brûlés par des soldats illettrés, pour se réchauffer, à défaut de bois.
Des châteaux réduits à l’état de ruines
Des statues sont brisées et des tableaux représentant des scènes saintes sont détruits. Des châteaux décorés par des peintres de grande renommée, tels que Philibert de Lorme ou Girolamo della Robbia, sont réduits à l’état de ruines. Parmi lesquels le palais de Marly, celui de Meudon, le château de Sceaux, celui de Chantilly, Cluny et Cîteaux en Bourgogne, Jumièges en Normandie, à l’état de ruines, au besoin par l’emploi d’explosifs. Les armées françaises passent l’Europe au peigne fin. Les œuvres d’art sont pillées, elles serviront à enrichir les collections françaises du musée du Louvre.
Ils offrent ce qui ne leur appartient pas
Parmi les collectionneurs du musée du Louvre, qui firent présent au Muséum de Paris (musée du Louvre) d’œuvres originaires de plusieurs pays étrangers, il y a le Duc de Rivière (1765-1828). Ambassadeur de France à Constantinople, donateur de la célèbre Vénus de Milo en 1821.
Ernest Renan (1823-1892). Ecrivain, archéologue et épigraphiste, don au Louvre de plusieurs pièces d’art phénicien.
Armand Schaeffer à Enkomi (Chypre), chef de mission des fouilles de Ras-Shamra-Ugarit (Syrie) et d’Enkomi-Alasia (Chypre), légua au Louvre une série de tablettes cunéiformes, ainsi que des sceaux-cylindres et des pièces diverses au département des antiquités grecques et romaines, offrant ce qui ne lui appartenait pas.
Du chemin de fer aux antiquités orientales
L’ingénieur Paul Gaudin (1858-1921), parti pour construire des lignes de chemin de fer en Turquie et au Proche-Orient, fit des dons répétés au département des antiquités orientales ainsi qu’à celui des antiquités grecques et romaines.
L’obélisque «parisien» de Louxor
On peut citer aussi l’obélisque de Louxor, élevé place de la Concorde à Paris, don du vice-roi d’Egypte Mehmet Ali, à la France. Un non-Egyptien né en Grèce, de parents albanais, désigné le 18 juin 1805 par le gouvernement ottoman comme pacha d’Egypte.
La Belgique et l’Italie pillées
Les premiers séquestres ont lieu au cours de l’été 1794, en Belgique (Pays-Bas de l’époque). On sait que ce pays qui comprenait dix-sept provinces au cours des siècles passés, fut scindé, le nord formant les futurs Pays-Bas. L’Espagne, l’Autriche et la France se disputeront le territoire au cours de nombreuses guerres qui se succèdent au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. La Belgique proprement dite accèdera à l’indépendance à la suite de la Révolution belge de 1830.
Les troupes françaises qui s’emparent du pays progresseront par la suite vers le Nederland. Près de quatre-vingt œuvres artistiques seront ainsi soustraites au cours de ces conquêtes, en 1794, des dizaines d’autres suivront en 1795.
En 1795, la ville de Cologne, qui sera occupée par les Français de 1794 à 1814, est contrainte de livrer ses trésors.
A partir du printemps de 1796, ce sera le tour de l’Italie, dont la richesse artistique sera mise sous séquestre par les troupes napoléoniennes, avant d’être rapatriée en France.
Titien et Véronèse confisqués
Les 9 et 10 thermidor de l’an VI est organisée une grande fête en France, pour célébrer la chute de Robespierre. On fait défiler sur le champ de Mars, à cette occasion, les œuvres d’artistes prestigieux qui ont été volées à l’Italie. C’est ainsi que les Parisiens massés le long des rues assistent abasourdis au défilé des tableaux de Titien et de Véronèse, le Discobole, l’une des plus célèbres statues de l’Antiquité, attribuée au sculpteur athénien Myron (Ve siècle av. J.-C.). La Transfiguration de Raphaël, le dernier tableau peint par Raphaël, vers 1518, resté inachevé à la suite du décès du peintre. L’Apollon du Belvédère, de la deuxième moitié du IVe siècle av. J.-C. La Vénus du Capitole, l’une des meilleures copies du type de l’Aphrodite de Cnide ou encore Le Quadrige, les chevaux de la Basilique Saint Marc à Venise, ordinairement appelé «Les quatre chevaux de Venise».
Le pape Pie VII obligé de livrer 100 chefs-d’œuvre
Les Français instituent un tribut de guerre, qui exige des familles nobles italiennes à fournir chacune vingt tableaux, choisis par des peintres français.
Le pape Pie VII en personne est sommé de livrer cent chefs-d’œuvre. A ces larcins artistiques viennent s’ajouter des objets de science, ainsi que des animaux rares, qui iront remplir les musées de la France.
C’est ainsi qu’au lieu de «l’évangile de Liberté et de Fraternité», institué par les révolutionnaires en 1789, qui garantissait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, on institua par les armes un régime d’agitateurs qui décida que les œuvres d’art, propriété des musées étrangers, devaient être expédiés à Paris. La «Grande Nation», titre que se donnait présomptueusement la France, était jugée seule digne et méritante de les détenir.
Naissance du musée du Louvre
C’est ainsi que naît le musée du Louvre. Il servira à accueillir les œuvres d’art confisquées aux pays européens. Il fallait un lieu dédié aux artistes et au public, pour exhiber aux Français les modèles de flamboiement universel qui faisaient tant défaut à la Révolution de 1789.
Des toiles de Titien, de Rubens, de Van Dyck et de Rembrandt. Le retable de l’Agneau mystique de Van Eyck. Les représentants de la nation déclarent le caractère inaliénable de ces œuvres fruit d’un larcin.
Waterloo, 18 juin 1815
Les armées britanniques, les Allemands et les Néerlandais, ce dernier nom regroupant à l’origine les Hollandais et les Belges, conduites par le duc de Wellington, auxquelles se joignent les troupes prussiennes du maréchal Blücher, infligeront à Napoléon Bonaparte la célèbre défaite de Waterloo, le 18 juin 1815, où fut prononcé, la première fois dit-on, le mot m…. L’empereur, suivi de son armée, fuient dans le plus complet désordre, abandonnant l’essentiel de ses équipages et de ses pièces d’artillerie. Cette défaite aura pour effet subsidiaire de ruiner le musée du Louvre.
Les œuvres escamotées pendant la Révolution française sont rendues à leurs propriétaires européens légitimes.
Le musée du Louvre aura tout le temps de se refaire, au détriment des pays colonisés cette fois, selon le schéma expérimenté auparavant, lors des conquêtes européennes.
C’est au nom du même caractère d’inaliénabilité et d’incessibilité que des centaines de vestiges de la haute antiquité algérienne sont gardés au musée du Louvre.
Le MNHN de Paris
Dans l’immédiat, intéressons-nous aux collections dites «ethniques» du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, qui est placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et de l’Environnement.
Le Muséum national d’histoire naturelle de Paris, en abrégé MNHN, est composé de quatorze sites à Paris, parmi lesquels : le Jardin des plantes, qui gère, entre autres, les collections de minéralogie et de géologie, la botanique, l’entomologie, etc. L’Institut de paléontologie humaine, le Musée de l’Homme, ainsi que le zoo de Vincennes. D’autres sites existent hors de Paris, parmi lesquels le musée consacré à l’abri Pataud, dans la commune des Eyzies de Tayac (Dordogne), qui est lié à la préhistoire.
Le MNHN est chargé, entre autres, de la conservation de collections scientifiques comprenant plus de 62 millions d’articles, ainsi que des espèces vivantes, à Paris et dans le reste de la France. Il est formé, dans le cas qui nous occupe, de 48% de collections européennes, les 52% restants proviennent des autres parties du monde. Le but, selon les statuts du MNHN, étant d’échantillonner la diversité humaine à l’échelle planétaire. Cela ne concerne donc pas uniquement les Algériens. Sauf que ces Algériens sont arrivés au MNHN dans un contexte lié à la guerre que leur menait la France.
Le MNHN participerait ainsi, selon ses statuts, «à la compréhension des débuts de l’humanité, ainsi que la restitution des modes de vie, des maladies, de l’alimentation à une époque donnée», etc.
Aucune étude n’a jamais été menée par les anthropologues sur ces «sujets» algériens. Cela, plusieurs responsables du MNHN me l’ont certifié.
J’ai été le seul Algérien depuis les années 1880 à tenir dans mes mains le crâne du chef de guerre et cherif (noble) Boubaghla, et d’autres prestigieux chefs de la résistance algérienne contre la colonisation.
Ces anciens immigrés algériens, parlons-en !
Le mythographe Robert Ranke Graves, qui est plus connu en tant que poète et écrivain britannique, s’est beaucoup investi dans la connaissance de la civilisation grecque et celle de Rome. Il écrit à propos des anciens Berbères, algériens de tout temps : «Des immigrants libyens (paléoberbères), hautement civilisés, connus sous le nom de constructeurs de tombes, transmigrèrent en Europe occidentale, jusqu’aux îles britanniques, en passant par l’Espagne et le Portugal.»
Cet exode à grande échelle eut lieu avant les invasions celtes en Europe occidentale. L’apogée des Celtes dans cette Europe occidentale se situe entre le VIIIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle. Les constructeurs de tombes dont il s’agit appartiennent à la protohistoire européenne, ils précèdent les premières civilisations historiques. Ces Berbères se différencient par leur culture et leurs mœurs des Cimmériens, Hittites, Daces, Ligures, Massagètes et autres Scythes, ils sont connus des Egyptiens dès les liminaires de la fondation de la royauté en Egypte.
«C’étaient des cultivateurs, dit encore Robert Graves, et ils arrivèrent en Grande-Bretagne vers la fin du IIIe millénaire avant J.-C., mais on n’a trouvé aucune explication à leur émigration en masse vers l’Espagne méridionale en passant par la Tunisie et le Maroc et de là, au nord, vers le Portugal et au-delà.» (Robert Graves, Les Mythes grecs, Atlas et Prométhée, p. 162).
«Des poteries retrouvées en Crète indiquent une immigration libyenne durant le IVe millénaire. L’apparition des Libyens en Crète précède l’avènement de la civilisation de l’île.»
Les stèles d’El-Hofra au musée du Louvre
Plus de 700 stèles et fragments de stèles, dont la signification historique et religieuse est considérable, ont été mis au jour sur la pente de la colline d’El-Hofra à Constantine, l’ancienne Cirta. La moitié de ces stèles, dont j’ai dressé l’inventaire au musée du Louvre il y a de longues années, portent des inscriptions rédigées en caractère puniques, nom donné par les spécialistes aux Phéniciens de l’ouest.
Dix-sept de ces stèles sont inscrites en caractères grecs. Sept sont gravées en caractères latins. Certaines sont datées du règne du roi Massenssen, mort en 147-8 avant J.-C. ou de ses fils, Makusen, Gulussa et Mastanabaal, étalées jusqu’en 122 avant J.-C.
Ces centaines de stèles sont enroulées dans du papier cellophane transparent et disposées soigneusement sur des étagères dans les sous-sols du musée du Louvre, interdits aux touristes et à d’autres visiteurs. Je les ai inventoriées. Je les ai compulsées. La signification historique et religieuse de leur contenu est considérable. Depuis les années 1950, date de leur découverte à Constantine, personne ne s’est présenté au Louvre pour étudier sérieusement ces stèles.
Monsieur le Président,
Peut-être tiendrez-vous compte du contenu de cette lettre, tout comme vous m’aviez écouté lorsque je vous ai adressé un courrier le lundi 15 mai 2017, dans lequel j’écrivais : «Monsieur le Président. Le 5 juillet est une date symbolique. C’est celle officielle de la conquête de l’Algérie par le corps expéditionnaire français en 1830, et c’est surtout la date à laquelle mon pays opprimé pendant 132 ans réintégra le concert des nations et l’histoire en 1962. Ce serait un beau geste de votre part que le choix de cette date prochaine pour la restitution aux Algériens des restes mortuaires de leurs héros.»
C’est ainsi que 24 crânes, dont trois litigieux, sur les 47 que j’ai personnellement inventoriés au MNHN ont été rendus le 5 juillet 2020, à l’occasion de la fête de l’Indépendance de l’Algérie et que les travaux des deux commissions d’historiens dont j’ai fait partie ont été abrégés et suspendus en cette occasion. La sénatrice centriste de Seine-Maritime, Catherine Morin-Desailly, résuma ainsi la suspension de ces travaux à ce moment-là : «Ça a été fait en douce et a été bâclé».
Les Algériens et les Africains ne doivent pas payer 30 euros pour venir admirer les œuvres de leurs ancêtres conservées au musée du Louvre.
Le «Louvre à 30 euros pour les Algériens», cela tend à confirmer le tenace et persistant engrenage des préjugés envers ces anciennes colonies, quand toute trace de temps historique ainsi que les chronologies furent méchamment abolies par la France coloniale. La mode de nos jours est de criailler que l’Algérie n’existait pas. Que c’est une création de la France.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de ma considération distinguée.
A.-F. B.
Historien, anthropologue