Embargo absurde

Dattes Maroc
Les Marocains admettent qu'aucune datte ne rivalise avec Deglet Nour. D. R.

Par A. Boumezrag – Le mois sacré approche et avec lui les traditions gourmandes qui rythment les iftars [rupture du jeûne]. Mais cette année, au Maroc, une saveur risque de manquer cruellement à l’appel : celle de Deglet Nour algérienne, reine incontestée des dattes. Le Makhzen, dans une inspiration aussi politicienne qu’indigeste, semble avoir décidé de faire jeûner ses sujets… de raison et de bon sens.

Derrière cette querelle de noyaux, une réalité bien plus amère : la datte, fruit de la patience et du soleil, se voit transformée en otage diplomatique. Fini les délicieuses Deglet Nour venues des palmeraies algériennes ! Place aux discours enrobés de patriotisme et aux appels à consommer «national». Que les Marocains se rassurent, on leur servira à la place une production locale, insuffisante en volume mais surdosée en propagande.

Le problème, c’est que si les frontières peuvent être hermétiques aux dattes, elles le sont beaucoup moins aux réalités du marché et aux habitudes des consommateurs. Deglet Nour, adulée pour sa finesse, ne se remplace pas par décret. On peut bien la renommer, la diaboliser, la diaboliser encore… rien n’y fait : elle reste l’alliée incontournable des tables ramadanesques. Et pendant que l’Etat joue aux douaniers de la mémoire et du goût, les petites mains du commerce informel s’affairent. Les circuits parallèles prospèrent, réaffirmant une vérité intemporelle : on ne dicte pas aux peuples leurs plaisirs culinaires.

En réalité, ce boycott est l’illustration parfaite d’une politique qui sacrifie le pragmatisme sur l’autel de la posture nationaliste. Dans l’histoire des embargos absurdes, celui-ci risque de figurer en bonne place : interdire un fruit apprécié sous prétexte qu’il pousse chez le voisin, c’est comme vouloir affamer la raison pour mieux nourrir l’orgueil. Pendant que les discours officiels fustigent l’ennemi juré, certains petits malins flairent déjà la bonne affaire : les dattes algériennes continueront de se vendre aux consommateurs marocains.

Mais derrière ces manœuvres aux allures de mauvais théâtre, une question plus fondamentale se pose : qu’est-ce qu’un Etat qui se soucie davantage des frontières de l’estomac que de celles de la justice sociale ? A l’heure où le coût de la vie flambe, où le pain quotidien devient un luxe pour une majorité de Marocains, cette obsession pour les dattes algériennes frôle l’absurde. Un peuple qui a faim réclame du pain, pas des leçons de patriotisme culinaire.

Et si le vrai jeûne était celui de la sagesse ? A l’heure où les peuples aspirent à la sérénité, à l’entraide et à la communion, instrumentaliser un simple fruit en étendard politique relève d’un cynisme d’Etat. Le Maroc mériterait mieux que ces joutes absurdes et les Marocains mieux que ces privations calculées.

A force de vouloir politiser jusqu’aux moindres bouchées du quotidien, le Makhzen risque de voir son interdit se transformer en désir et son boycott en marché parallèle florissant. Car, au fond, une datte reste une datte, un fruit du désert et du soleil, indifférent aux querelles des hommes.

On peut priver un peuple de dattes, mais pas de mémoire, ni d’appétit pour la vérité.

A. B.

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