Le spectre de l’OAS rôde aux portes du pouvoir : remake des vaincus de 1962 ?
Par A. Boumezrag – Il fut un temps où l’OAS n’était qu’un souvenir honteux, une note de bas de page sanglante dans l’histoire de la France postcoloniale. Une bande de généraux en charentaises rêvant d’un empire perdu, des activistes à moustache hurlant à la trahison et posant des bombes comme d’autres distribuent des tracts. Et puis, bien sûr, une poignée de nostalgiques murmurant à l’oreille de politiciens en mal d’identité nationale. Mais voilà que l’histoire, farceuse et cynique, remet le couvert.
En 2025, l’extrême-droite n’est plus un épouvantail agité pour faire peur aux enfants républicains avant le coucher. Elle est là, bien réelle, installée aux avant-postes du pouvoir. Et dans ses couloirs feutrés, un vieux fantôme s’invite à la table des décisions. Celui de l’Organisation armée secrète (OAS), cet héritage toxique de la Guerre d’Algérie qui, au lieu de se dissoudre dans les archives jaunies, trouve un écho dans le discours revanchard de ceux qui veulent «rétablir l’ordre».
L’OAS d’hier posait des bombes pour que l’Algérie reste française, quitte à éventrer la République. L’OAS d’aujourd’hui ne fait plus exploser d’immeubles, mais dynamite allègrement les fondements du vivre-ensemble. Sa haine de l’autre a changé de cible, son vocabulaire s’est modernisé, mais l’obsession reste la même : purifier, expulser, dominer. Surtout, ne jamais faire le deuil du colonialisme.
Les premiers symptômes de cette résurgence sont là : nostalgie assumée du «temps béni des colonies», criminalisation rampante des Franco-Algériens, lois sur la nationalité dignes d’une purge administrative. Et puis, bien sûr, ce doux euphémisme qui sert d’alibi aux dérives autoritaires : «restaurer l’identité française». Traduction : réécrire l’histoire, interdire la mémoire et, si possible, transformer les banlieues en laboratoires de la répression.
Les relations avec Alger ? Une poudrière en devenir. Expulsions économiques, crise diplomatique, montée des tensions communautaires, le cocktail est parfait pour faire exploser le peu qu’il restait du dialogue franco-algérien.
Que dire de la situation en France ? Un pays où les gamins des cités doivent prouver chaque jour qu’ils sont aussi français que les autres, pendant qu’on leur explique en boucle que leurs ancêtres sont des colons ou des colonisés, mais jamais des citoyens à part entière. Où la police, déjà bien dotée en matériel répressif, se voit offrir carte blanche pour traquer l’ennemi intérieur sous prétexte de «lutte contre le séparatisme». Où la nostalgie de l’Algérie française devient un argument électoral, et où certains se prennent à rêver d’une revanche sur l’histoire.
La question n’est plus de savoir si le spectre de l’OAS rôde. Il est déjà là, assis au premier rang, prêt à signer les décrets. La République tiendra-t-elle face à cette résurgence morbide ? Ou se contentera-t-elle d’assister, impuissante, à un remake où les vaincus de 1962 prennent leur revanche sur le XXIe siècle ?
Si l’histoire bégaie, alors il serait peut-être temps de l’empêcher de radoter des horreurs.
L’histoire bégaie et, cette fois, elle a pris des stéroïdes. Si l’OAS n’a jamais réussi à renverser la République en 1962, il semblerait qu’en 2025, elle n’ait plus besoin d’attentats pour s’inviter au sommet de l’Etat. La nostalgie coloniale s’est muée en projet politique assumé et la xénophobie d’hier s’écrit aujourd’hui en programme électoral. Mais rassurons-nous, ce n’est pas un retour en arrière, c’est juste l’éternelle marche en crabe de la politique française.
L’histoire ne se répète pas, elle bégaye en uniforme et en costard-cravate.
Ce spectre ne hante plus seulement les marges. Il défile en pleine lumière, se pavane sur les plateaux de télévision, du matin au soir, entre un débat sur «l’identité nationale» et une chronique sur «l’insécurité». Jadis clandestine, la nostalgie colonialiste a troqué la cagoule et le pistolet pour la cravate et la rhétorique bien huilée des experts autoproclamés.
Le putsch rêvé n’a plus besoin de chars. Il passe par les chaînes d’info en continu, les éditorialistes complaisants et les sondages bien orientés. Et, pendant que l’histoire bégaye, la démocratie, elle, continue de perdre sa voix, recouverte par le bruit de cette réhabilitation.
Car l’ironie ne s’arrête pas là. Entre deux envolées sur la grandeur perdue et les dangers du multiculturalisme, ces nouveaux héritiers de l’OAS ne manquent jamais une occasion de donner des leçons de morale et de démocratie… à l’Algérie. Ce joyau autrefois pillé par l’Empire, devenu le «voyou» de la République française, comme si l’histoire coloniale n’avait laissé derrière elle que l’ingratitude d’un pays qui aurait dû dire «merci», plutôt que revendiquer son indépendance.
Ainsi, dans ce jeu d’inversions absurdes, la France, qui peine à regarder en face ses propres démons, sermonne son ancienne colonie sur l’Etat de droit, les droits de l’Homme et la bonne gouvernance, tout en réhabilitant dans ses discours des figures qui rêvaient d’un putsch militaire. Comme si la démocratie était un concept à géométrie variable : sacrée quand elle sert ses intérêts, encombrante quand elle contredit sa vision du monde.
A. B.
Comment (17)