Crimes français en Algérie et crimes nazis : ça dépend de la tenue du criminel

crime 17 Octobre 1961
Commémoration du crime du 17 Ocotbre 1961. D. R.

Une contribution du Dr A. Boumezrag – Il est fascinant de voir à quel point l’histoire est un tribunal à géométrie variable. Les crimes nazis ? Jugés, condamnés, enseignés, mémorialisés. Les crimes coloniaux français ? Classés sans suite, rangés dans un tiroir poussiéreux de l’amnésie nationale, avec pour seule mention : «Contexte historique complexe». Ah, la magie du storytelling républicain !

Quand un officier SS ordonnait un massacre, il était un monstre, un ennemi de la civilisation. Quand un général français réprimait une révolte indigène à coups de bombardements et de tortures, il était un serviteur de la patrie, garant de l’ordre et du progrès. Curieusement, la barbarie n’a pas la même odeur selon qu’elle s’exerce sous un casque à pointe ou sous un képi.

Prenons l’exemple d’Oradour-sur-Glane, symbole absolu de la sauvagerie nazie. A juste titre, la mémoire nationale française en a fait un sanctuaire de l’horreur. Mais que dire des enfumades du Dahra en 1845, où des centaines de civils algériens furent asphyxiés dans des grottes par les troupes du général Bugeaud ? Que dire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945, où, alors que l’Europe célébrait la victoire sur le nazisme, la France bombardait et exécutait des milliers d’Algériens qui réclamaient leur indépendance ? En 1957, durant la Bataille d’Alger, la torture fut élevée au rang de politique d’Etat, avec l’aval du gouvernement français, à grand renfort de gégène et d’exécutions sommaires.

Ah, mais non, voyons ! Tout cela relève des «accidents de parcours», des «excès individuels», voire du «devoir de civilisation». Peut-être que les victimes auraient dû avoir la présence d’esprit de naître sous une autre latitude pour bénéficier d’une reconnaissance officielle.

La France, chantre des droits de l’Homme, a érigé la mémoire en instrument politique. Les nazis ont été punis car il le fallait, car il était inconcevable de ne pas le faire. Mais reconnaître que la République a, elle aussi, les mains rouges de sang ? Impensable. Ce serait remettre en cause le mythe du bienfaiteur universel, celui qui apporte l’instruction et les chemins de fer… avec un soupçon de répression sanguinaire en option.

L’ironie atteint son paroxysme lorsque l’on se souvient que la France a signé en 1948 la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Pourtant, au même moment, elle réprimait violemment l’insurrection malgache (1947-1948), faisant des dizaines de milliers de morts, dans un silence assourdissant. Et que dire du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, où la police française, sous les ordres de Maurice Papon, jeta des dizaines d’Algériens dans la Seine ? Une tragédie niée pendant des décennies avant une reconnaissance timide en 2021.

En 2017, Emmanuel Macron avait osé prononcer l’inavouable en qualifiant la colonisation de «crime contre l’humanité». Tollé immédiat. Comment ose-t-on comparer l’incomparable ? C’est vrai, la mise à sac de continents entiers, la négation de l’humanité de millions de colonisés et la répression systématique des révoltes, ce n’est pas un crime contre l’humanité ; c’est juste une «mission civilisatrice» mal comprise.

N’est-ce pas la France ? Une nation qui se drape dans les droits de l’Homme tout en triant ses crimes sur mesure. Une mémoire à géométrie variable où l’on juge la barbarie selon l’uniforme du bourreau. Une République qui célèbre la Résistance mais occulte la répression, qui condamne les chambres à gaz mais oublie les grottes enfumées.

Une France qui, hier, a massacré à Sétif et torturé à Alger, et qui, aujourd’hui, s’offusque qu’on ose rappeler ces vérités dérangeantes. Une France qui se veut exemplaire mais qui choisit soigneusement ses remords. Une France qui, en 2024, honore la mémoire des victimes du Vel’ d’Hiv’ tout en rejetant toute responsabilité dans le racisme systémique hérité de son passé colonial. Une France qui sermonne les autres sur la morale mais reste aveugle à son propre héritage.

Mais soyons optimistes ! Un jour, peut-être, un président français se tiendra devant un mémorial inconnu d’Algérie ou du Vietnam et prononcera ces mots : «Nous reconnaissons que la France a commis des crimes contre l’humanité.» D’ici là, continuons à faire semblant que la barbarie ne se mesure qu’à l’uniforme de celui qui l’exerce. Après tout, l’Histoire est écrite par les vainqueurs et la mémoire, elle, se choisit à la carte.

A. B.

Comment (7)

    Dr Kelso
    11 mars 2025 - 11 h 37 min

    Je reprends une partie de mon commentaire :
    PS : toujours Jacques Vergès : « Oradour a fait 20 fois MOINS de morts que Guelma et Sétif, mais en plus, ce qu’il y a de plus grave à Guelma et à Sétif, si Oradour a été fait par des SS, les MASSACRES DE GUELMA et SÉTIF ont été ACCOMPLIS en grande partie PAR DES CIVILS, PAR DES COLONS, c’est à dire la population y a participé. Qui a donné les armes à la population ? C’est l’État, c’est un crime d’État ».

    Abou Stroff
    11 mars 2025 - 8 h 13 min

    « Après tout, l’Histoire est écrite par les vainqueurs et la mémoire, elle, se choisit à la carte. » conclut A. B..

    je pense que cette sentence résume parfaitement la problématique soulevée et si nous ajoutons que les moyens de communication, au sens large, sont aux mains des capitalistes, descendants et « héritiers » directs des anciens colonisateurs, il n’y a pas lieu d’exhiber notre étonnement lorsque nous remarquons que « l’histoire est un tribunal à géométrie variable. »

    en outre, reconnaissons que chaque Etat voit midi à sa porte, et la france coloniale et impérialiste doit, nécessairement gommer toutes les aspérités qui jetterait un quelconque doute sur sa ……………. grandeur passée et sur les « bienfaits » qu’a apporté la colonisation à l’Algérie et aux algériens.

    ceci étant dit, reconnaissons que nous, les algériens, ne sommes pas, non plus, à la hauteur puisque nous n’arrivons toujours pas à appréhender notre propre histoire en tant qu’ALGERIENS et que nous continuons, jusqu’au moment présent, à taire certains faits historiques qui ne cadrent pas avec l’appréhension officielle de notre propre histoire*.

    moralité de l’histoire: il n’y en a aucune, à part que la réalité concrète étant conflictuelle et évoluant, essentiellement, grâce à la lutte des contraires, il me parait, tout à fait, illusoire de produire un quelconque discours « neutre » entre les deux aspects d’une quelconque contradiction.

    Wa el fahem yefhem

    * certains ne considèrent ils pas que notre glorieuse lutte anti-coloniale et notre retentissante guerre d’indépendance comme un conflit religieux? les algériens lambda ont ils connaissance des conflits internes au mouvement national qui se sont soldés par la liquidation des uns par les autres? d’autres ne présentent ils pas les « foutouhates islamia » comme un long fleuve tranquille où les conquérants musulmans étaient reçus à bras ouverts par les peuples qu’ils conquéraient? etc.

    Anonyme
    11 mars 2025 - 7 h 58 min

    la france doit être jugée par un tribunal international pour ses crimes passés et présents. les africains ont tout intérêt à se détourner de ce système néocolonial diabolique et immoral

    Anonyme
    11 mars 2025 - 4 h 48 min

    Les journalistes de RTL qui ont contredit JM Apathie étaient sincères tant leur ignorance est abyssale.

    Ce sont de simples soldats de l’empire du mensonge, qui ne recrute pas des gens informés et cultivés pour enrichir et élever le niveau des populations.

    Ils recrutent des ignares pour renforcer l’abrutissement de leurs populations afin de les manipuler plus aisément.

      Anonyme
      11 mars 2025 - 10 h 42 min

      Non car ils ont été scandalisés. Refaire l’histoire en la tronquant est abject.
      Néanmoins M. Apathie n’a pas été incarcéré comme le malheureux Sansal. C’est la grande différence entre l’Algérie et la France!

        Anonyme
        11 mars 2025 - 15 h 35 min

        Sansal est poursuivi pour des violations de dispositions du code pénal algérien qui existent aussi dans le droit pénal français.

        Lorsque vous mettez en prison des gens (leader kanak, etc) pour avoir remis en cause la colonisation de leurs terres par la France et qui réclament d’exercer leur droit à l’autodétermination, personne n’en parle chez vous car cela vous paraît normal.

        Pourtant c’est moralement bien plus grave que l’application du code pénal algérien à Sansal qui attaque notre intégrité territoriale (ce qui est illégal) en proferant des propos diffamants (illégal) et mensongers, outranciers et injurieux (illégal) qui relèvent de l’escroquerie (illégale aussi) pour faire l’apologie de crimes (illégale).
        Et vous osez venir nous donner des leçons ?
        Vous n’avez donc pas honte ?

        Quand on voit qu’en plus, chez vous, des citoyens français, y compris des élus, font l’objet d’un acharnement judiciaire et médiatique pour avoir dénoncé un génocide et le meurtre de masse d’enfants en Palestine, on atteint le summum de l’hypocrisie.

        Votre pays est devenu un état totalitaire soumis à une chappe de plomb néo fasciste.

        Dire que vous n’êtes pas crédibles sur les questions de libertés est un doux euphémisme.

        Anonyme
        11 mars 2025 - 16 h 00 min

        Eh bé non, ça se passe pas comme ça ! Tout bonnement parce que Mr Apathie dit la Vérité, et que Sensal vomit des mensonges historiques. C’est cela la vraie différence dans votre tentative d’enfumage .

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