Manipulation cynique

Bruno Retailleau et Gérald Darmanin. D. R.

Par Mohamed El-Maadi – La société française contemporaine dévoile ses démons historiques avec une décomplexion croissante. L’héritage colonial, incarné par les Bugeaud et Pélissier, n’a jamais vraiment quitté l’inconscient collectif français. Il resurgit aujourd’hui sous des formes plus insidieuses mais tout aussi pernicieuses.

La recherche perpétuelle de boucs émissaires atteint des sommets d’absurdité : une pénurie d’œufs ? La faute aux musulmans. Un camion d’élevage volé ? Encore eux. Cette rhétorique simpliste masque mal un racisme structurel qui, loin d’avoir disparu, était simplement mis en sourdine par convenance sociale.

L’histoire récente révèle une manipulation cynique des tensions communautaires. Dans les décennies précédentes, certaines organisations avaient instrumentalisé la communauté maghrébine comme levier contre l’antisémitisme français. Mais dès les années 2000, face à la montée de la cause palestinienne dans les communautés maghrébines et l’émergence de figures influentes issues de cette diaspora, ces mêmes organisations ont opéré un virage stratégique radical. Par crainte de perdre leur influence et de voir la France adopter une position moins alignée sur certains intérêts géopolitiques, elles se sont alliées aux mouvements identitaires, propageant la théorie du «grand remplacement».

Le silence assourdissant de l’Etat français face aux incidents racistes contraste violemment avec un passé récent où la moindre tension communautaire suscitait des réactions officielles immédiates. Plus inquiétant encore, l’appareil judiciaire semble contaminé par ces biais : les crimes à caractère raciste contre les Maghrébins, même lorsque les motivations sont établies, sont systématiquement minimisés ou requalifiés.

L’affaire Thomas Perotto, minutieusement décortiquée dans Une nuit en France, illustre parfaitement cette manipulation institutionnelle. Les forces de l’ordre ont construit un narratif de «chasse au Blanc», alors que l’enquête journalistique révèle une banale altercation où les jeunes Maghrébins n’ont fait que se défendre. Les auteurs de cette enquête font désormais l’objet de menaces de mort, symptôme d’une société qui préfère le mensonge confortable à la vérité dérangeante.

Cette islamophobie décomplexée semble avoir remplacé un antisémitisme devenu socialement inacceptable, comme si la société française avait besoin d’un exutoire à sa xénophobie latente. Ce transfert de haine révèle la lâcheté d’un système qui recycle ses vieux démons plutôt que de les affronter.

Les derniers remparts politiques, ces «Français lucides» qui refusent encore le piège de la confrontation communautaire, s’effritent face à la montée des extrêmes. Cependant, l’histoire ne se répétera pas comme certains le craignent ou l’espèrent. La communauté maghrébine française, enracinée et consciente de ses droits, n’acceptera pas passivement une quelconque forme de persécution. La réponse à la violence systémique risque d’être proportionnelle aux agressions subies, ouvrant la perspective d’un conflit dont personne ne sortira vainqueur.

Cette spirale de tensions révèle l’échec cuisant du modèle d’intégration français, non pas par incapacité des populations à vivre ensemble, mais par la persistance d’un système qui cultive les divisions pour mieux maintenir son emprise sur une société fracturée.

M. E.-M.