Boualem Sansal l’anti-Kateb Yacine ou le scribe de la servitude (II)
Par Ali Farid Belkadi – Tlemcen, Oran et Mascara n’ont jamais appartenus au Maroc. L’Algérie n’a pas besoin de la reconnaissance de Boualem Sansal ou de toute autre voix dissidente pour exister. Son histoire, sa culture et ses luttes parlent d’elles-mêmes. De la Numidie à la dynastie des Zianides, des Hammadides aux Almohades, l’Algérie a toujours été une terre structurée, dotée d’une organisation politique et militaire avancée. De la résistance contre l’Espagne sous la Régence d’Alger à la guerre de Libération nationale contre la France, l’Algérie a toujours su défendre son indépendance. De Béjaïa, centre scientifique du monde musulman, à Tlemcen, phare culturel du Maghreb, l’Algérie a toujours été un acteur clé de la civilisation.
Aucun révisionnisme ne pourra effacer ces réalités.
L’histoire ne se réécrit pas
«Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara», «la France s’installe comme protectorat au Maroc et décide comme ça, arbitrairement, de rattacher tout l’est du Maroc à l’Algérie, en traçant une frontière», dixit Sansal.
Les déclarations de Boualem Sansal affirmant que l’Algérie «est un petit truc» et que l’Ouest algérien appartiendrait au Maroc ne relèvent pas seulement de la provocation, mais d’une tentative délibérée de falsification de l’histoire. Ces propos avilissants ne peuvent être perçus autrement que comme une insulte à la mémoire d’un peuple qui a forgé son identité à travers les siècles, bien avant même l’existence des Etats modernes du Maghreb.
Ces déclarations ne sont pas seulement insultantes, elles sont surtout révélatrices d’une tentative de manipulation de l’histoire. L’Algérie n’est pas un «petit truc», mais une nation forgée par des siècles d’histoire, de résistance et de culture.
Les frontières de l’Algérie ne sont pas négociables. Son histoire ne peut être réécrite par ceux qui la renient. Et son peuple n’oubliera jamais ceux qui ont tenté de la dénigrer.
L’Algérie, une nation ancestrale
Contrairement aux assertions méprisantes de Sansal, l’Algérie n’est pas un «petit truc» apparu par hasard dans l’histoire contemporaine. Elle est l’héritière d’un patrimoine plurimillénaire, où les civilisations berbère, numide, romaine, islamique et ottomane ont bâti un territoire structuré, doté d’une identité propre.
L’Algérie est une entité historique qui a vu naître et prospérer des royaumes et des dynasties puissantes : la Numidie de Massinissa et Jugurtha, qui s’est imposée comme un acteur majeur du monde antique. Les Hammadides, qui ont bâti Béjaïa, une ville phare du savoir et de l’économie méditerranéenne. Les Zianides de Tlemcen, qui ont consolidé l’identité de l’Ouest algérien face aux ingérences extérieures.
Loin d’être une création artificielle, l’Algérie est une continuité historique, une terre dont l’unité ne peut être niée par des déclarations hasardeuses, et encore moins dans les troquets de la rue de Buci, au Café de Flore ou aux Deux Magots.
L’Ouest algérien : une terre algérienne depuis toujours
L’affirmation selon laquelle l’Ouest algérien appartiendrait au Maroc relève d’une absurdité historique. Les frontières algériennes ne sont pas le fruit du hasard ni d’une décision coloniale arbitraire, mais l’héritage de plusieurs siècles de structuration politique et territoriale.
Tlemcen, capitale des Zianides, a toujours été une cité phare de l’Algérie médiévale, jalousement défendue contre les ambitions des dynasties marocaines mérinides.
Oran, ville stratégique, fut un bastion algérien contre les Espagnols bien avant la colonisation française.
Les frontières entre le Maroc et l’Algérie ont toujours été le théâtre de conflits entre souverains, je dis bien entre souverains, mais elles n’ont jamais signifié que l’Algérie aurait été une extension marocaine. La frontière ouest de l’Algérie débutait au fleuve Moulouya. Oujda a été fondée et bâtie par un Algérien.
Les revendications marocaines sur l’Ouest algérien sont une invention moderne, née après l’indépendance de l’Algérie, lorsqu’Hassan II, frustré par l’existence d’un Etat algérien fort, tenta d’envahir Tindouf et Béchar en 1963 lors de la Guerre des sables. Une agression à laquelle l’Algérie a répondu avec fermeté, démontrant que son intégrité territoriale n’est pas négociable.
Une posture au service d’intérêts étrangers
Boualem Sansal, en tenant de tels propos, ne se contente pas de provoquer l’opinion algérienne. Il s’inscrit dans une stratégie plus large de délégitimation de l’Algérie, souvent utilisée par ceux qui cherchent à semer la division dans la région.
Ses déclarations ne sont pas anodines : elles servent des intérêts qui dépassent sa simple personne. Dans un contexte où l’Algérie reste un acteur stratégique en Afrique du Nord, de telles sorties médiatiques cherchent à affaiblir la nation en remettant en cause ses fondements historiques.
L’Algérie «petit truc», dit-il.
L’Algérie qui portait le nom de Maghreb Al-Awsat, Maghreb central, par opposition au Maroc, Maghreb Al-Aqsa, ou Maghreb extrême, abritait une civilisation médiévale rayonnante entre dynasties, savoir et négoce intercontinental.
L’Algérie médiévale qui ne peut être réduite à une simple province de l’islam occidental ni à une entité périphérique du monde méditerranéen, fut un pivot stratégique, intellectuel et commercial, intégrée aux grandes dynamiques de l’époque. Des dynasties puissantes aux savants qui ont marqué leur temps, en passant par un rôle clé dans les échanges entre l’Orient et l’Occident, l’Algérie médiévale fut un espace de création, d’innovation et d’interactions multiples.
L’Algérie médiévale : un carrefour de civilisations
Dès le VIIe siècle, l’Algérie entre dans une nouvelle phase de son histoire avec l’arrivée de l’islam. Loin d’être une simple islamisation passive, la région absorbe cette nouvelle spiritualité et se l’approprie à sa manière, en intégrant ses propres structures tribales, ses traditions berbères et son héritage antique.
L’Algérie devient rapidement un carrefour stratégique, reliant l’Andalousie islamique à l’Orient via le Maghreb, ainsi que l’Afrique subsaharienne au bassin méditerranéen. Cette position centrale fait de l’Algérie un espace où circulent idées, marchandises et innovations scientifiques, contribuant à la construction d’une identité médiévale riche et diversifiée.
Les grandes dynasties de l’Algérie médiévale
Loin d’être une simple région administrée par des califats lointains, l’Algérie médiévale développe ses propres dynasties, souvent autonomes et influentes. Ces dynasties forgent une structure politique stable, fondée sur des capitales prospères, une organisation militaire performante et un rayonnement culturel exceptionnel.
Les Rostémides (761-909) : une République théocratique avant l’heure
Fondée par Abd Al-Rahman Ibn Rostem, cette dynastie ibâdite instaure un Etat à Tahert (Tiaret), marquant le premier grand pouvoir indépendant en Algérie après l’arrivée de l’islam. Les Rostémides établissent une gouvernance fondée sur un modèle quasi républicain, où l’imam est choisi par les oulémas et la communauté. Ils fondent un centre intellectuel florissant, attirant des savants d’Afrique et du Moyen-Orient, leur commerce connecte le Maghreb aux routes transsahariennes. Cet Etat est un exemple rare d’une théocratie où la consultation et l’autonomie locale jouent un rôle clé.
Les Zirides et Hammadides (972-1152) : l’âge d’or de Béjaïa
Les Zirides, d’abord vassaux des Fatimides, finissent par s’émanciper et fonder un royaume indépendant. Leur pouvoir passe aux Hammadides, qui établissent leur capitale à Béjaïa, ville qui devient l’un des plus grands centres du savoir de l’époque.
Sous leur règne, Béjaïa devient une capitale intellectuelle et scientifique. L’architecture se développe avec des palais et des mosquées raffinés, cependant que l’économie prospère grâce aux relations avec l’Andalousie et l’Italie. C’est ici que Leonardo Fibonacci, mathématicien italien, découvre les chiffres arabes et le système décimal, qu’il introduira en Europe qui ignorait le chiffre zéro.
Les Almoravides et Almohades : l’Algérie au cœur d’un empire transcontinental
Les Almoravides (XIe siècle), d’origine saharienne, unifient le Maghreb et l’Andalousie sous un empire rigoureux. Mais c’est avec les Almohades (XIIe siècle) que l’Algérie atteint son apogée en tant que centre politique et culturel. Les Almohades, sous le commandement d’Abd Al-Mu’min, originaire de Tlemcen, construisent un empire unifié, s’étendant du Maroc à la Tunisie et à l’Espagne. Ils construisent des fortifications et des mosquées monumentales. L’Algérie devient alors le cœur d’un empire qui rivalise avec les plus grandes puissances de l’époque.
Les Zianides (1235-1554) : Tlemcen, un joyau maghrébin
Avec la chute des Almohades, l’Algérie voit émerger les Zianides, qui font de Tlemcen une capitale intellectuelle et commerciale. Sous leur règne, Tlemcen devient une plaque tournante du commerce transsaharien, reliant Tombouctou et Gao à l’Europe. La ville attire des savants, des artistes et des théologiens. L’architecture zianide, avec ses mosquées et médersas, atteint un raffinement inégalé. L’Algérie médiévale n’est pas seulement une puissance politique et commerciale, c’est aussi un centre intellectuel majeur.
Les universités et médersas
Tlemcen, Béjaïa et Alger possèdent des centres d’enseignement prestigieux, où sont enseignés les sciences exactes (mathématiques, astronomie, médecine), la philosophie et la théologie, la poésie et la littérature. L’Algérie joue un rôle clé dans la transmission du savoir entre l’Orient, l’Andalousie et l’Europe.
L’Algérie et les routes commerciales médiévales
L’économie de l’Algérie médiévale repose sur un réseau commercial dense, reliant le Sahara à la Méditerranée, via les caravanes de sel, d’or et d’esclaves, comme cela se faisait à l’époque. L’Andalousie était reliée au Maghreb central (l’Algérie). L’Italie et la France utilisaient les ports algériens, où transitent textiles, épices et céramiques. Tlemcen et Béjaïa deviennent ainsi des plaques tournantes du commerce international, rivalisant avec les grandes cités européennes.
Un héritage à redécouvrir
Loin d’être un espace isolé, l’Algérie médiévale est un centre majeur du monde islamique, contribuant à l’essor de la science, du commerce et de l’art. Ses dynasties ont forgé une identité politique forte. Aujourd’hui, cet héritage doit être redécouvert et valorisé, car il témoigne de la grandeur d’une civilisation qui a marqué l’histoire du Maghreb et du monde islamique. L’Algérie médiévale n’était pas un simple territoire, ni «un petit truc», selon Sansal le scribe de la servitude, mais une puissance intellectuelle et économique qui mérite d’être pleinement réinscrite dans les récits historiques mondiaux.
Résumé des sciences au Maghreb central
L’évolution des sciences au Maghreb central, englobant l’Algérie médiévale (VIIIe-XVIe siècles) et la Régence d’Alger (post-XVIe siècle), repose sur des échanges intellectuels intenses entre Al-Andalus, l’Orient musulman, l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Béjaïa et Tlemcen se sont distinguées comme pôles majeurs de production et de diffusion du savoir, favorisant un essor considérable dans plusieurs disciplines, notamment les mathématiques, l’astronomie, la médecine, l’histoire et les sciences religieuses.
Contexte historique et émergence des centres intellectuels
Dès le Moyen-âge, la région s’intègre à des réseaux de savoir en concurrence avec les pôles scientifiques de Kairouan et Mahdia à l’est, et Fès et Marrakech à l’ouest. Plusieurs villes algériennes deviennent des centres de production intellectuelle dynamiques, notamment Tahert, Tlemcen, Béjaïa et la Qalʽa des Bani Hammad. Ces cités connaissent un essor considérable suite à l’éclatement de l’autorité omeyyade en Afrique du Nord et l’émergence de principautés locales comme le royaume rostémide (VIIIe siècle), les Zirides (Xe siècle) et les Hammadides (XIe siècle).
Tlemcen surnommée la «Grenade d’Afrique»
A partir du XIIe siècle, Béjaïa et Tlemcen deviennent les principaux centres intellectuels, profitant de leur prospérité économique et de leur position stratégique sur les routes commerciales et savantes. Tlemcen, capitale du royaume zianide (1235-1556), est surnommée la «Grenade d’Afrique» en raison de son rayonnement scientifique et culturel. Béjaïa, ancien carrefour commercial et siège du royaume hammadite (1014-1152), attire savants et commerçants venus d’Europe, d’Andalousie et du monde musulman.
Un carrefour scientifique et intellectuel
Parallèlement, la Qalʽa des Bani Hammad devient un foyer de transmission des savoirs dès le XIe siècle, en partie grâce à l’héritage des savants exilés de Kairouan. Elle influence directement le développement des sciences à Béjaïa, notamment dans le domaine des mathématiques appliquées aux héritages. Parmi ses figures notables figurent Ibn Nahwi et Ibn Hammad, dont les travaux marquent la tradition savante locale.
Les disciplines scientifiques développées
Les mathématiques et l’astronomie occupent une place centrale dans les centres intellectuels du Maghreb. Béjaïa se distingue avec El-Oqbani en algèbre et Ibn Raqqam en astronomie. A Tlemcen, El-Habbak perfectionne l’astrolabe, tandis qu’Ibn ‘Azzūz Al-Qusanṭīnī améliore les tables astronomiques andalouses. La Qal’a joue un rôle clé avec des figures comme Ibn Hammad et Al-Manşūr Al-Qal‘ī, premier maillon de la tradition mathématique maghrébine. L’enseignement des sciences se perpétue à travers les Tima’amart en Kabylie, avec des érudits comme Al-Akhdari et Ash Shallati.
L’impact des sciences au Maghreb central
L’impact de ces savoirs dépasse le cadre local, influençant le développement scientifique en Méditerranée.
Enfin, le rôle des zaouïas et des bibliothèques locales est essentiel dans la conservation et la transmission du savoir. La bibliothèque de Cheikh El-Mouhoub, en Kabylie, avec ses 500 manuscrits rares couvrant divers domaines, témoigne de la continuité de cette tradition savante au XIXe siècle.
De tout cela, on peut retenir que l’Algérie de l’époque, nommée Maghreb Al-Awsat, Maghreb central, par les auteurs arabes, apparaît comme une puissance bien individualisée entre l’Ifriqiya (la Tunisie) et le Maghreb Al-Aqsa (le Maroc). L’historien Henri Dufroucq décrit la vision européenne du Maghreb central : «C’était la terre maghrébine la plus authentique, alors que le Maroc était une sorte de prolongement de l’Espagne, et l’Ifriqiya, dans une certaine mesure, une région sœur de la Sicile, le sultanat zyanide formait un monde à part, le véritable monde africain.»
Sous le règne des Zianides, le Maghreb central (l’Algérie) formait une entité bien distincte des Mérinides à l’ouest et des Hafsides à l’est. Le sultanat zianide formait un monde à part, le «véritable monde africain», toujours selon Henri Dufroucq, comparativement à ses voisins dont la culture se rapprochait plus de l’Espagne ou la Sicile.
L’histoire des sciences au Maghreb central illustre une dynamique d’échanges intellectuels intenses entre l’Afrique du Nord, l’Europe et le monde musulman. Béjaïa et Tlemcen ont joué un rôle majeur dans la transmission des savoirs, intégrant et adaptant les connaissances venues d’ailleurs, tout en produisant des avancées originales. Cette richesse scientifique, longtemps méconnue, est aujourd’hui essentielle pour comprendre l’évolution des sciences en Méditerranée et l’influence des érudits algériens sur la pensée scientifique mondiale.
L’obscurantisme d’Emile-Felix Gautier
C’est tout cela qu’Emile-Felix Gautier nomme «les siècles obscurs du Maghreb», dans un livre paru chez Payot, à Paris en 1927, qui obtint le prix Auguste-Furtado de l’Académie française en 1928. L’Algérie lui échappait.
Une mémoire que l’on ne peut effacer
L’Algérie n’a pas besoin de la reconnaissance de Sansal ou d’autres pour exister. Son histoire, sa culture, ses luttes parlent pour elle. De la résistance de l’Emir Abdelkader à la Révolution de 1954, en passant par les dynasties qui ont marqué son passé, l’Algérie est une terre qui s’est toujours battue pour préserver son identité et son indépendance.
Ceux qui, comme Boualem Sansal, cherchent à réécrire l’histoire au profit d’un discours fallacieux, se heurteront toujours à une vérité inébranlable : l’Algérie est une nation fière, souveraine et légitime, forgée par l’histoire et consolidée par le sang de ses martyrs.
L’Algérie n’est pas un «petit truc». L’Algérie est une grande nation. L’histoire retiendra les écrivains libres, et oubliera les scribes de la servitude.
La critique d’un pays ne doit jamais devenir son reniement.
«On ne parle pas de sa mère comme d’une prostituée, même si elle s’égare», dit l’adage. La critique permanente de l’Algérie par Boualem Sansal, ou son mécontentement constant de son pays ne peut pas être perçue comme un simple «pessimisme civique» émanant d’un citoyen défaitiste. Ce malaise démocratique n’est pas propre à un seul pays, mais est régulièrement mesuré dans de nombreuses démocraties sous forme de défiance et d’opinions négatives.
Des millions de citoyens, partout dans le monde, expriment chaque jour leur mécontentement constant envers leur pays dans des discours qui mettent en avant les problèmes de corruption, le chômage, etc., parfois en minimisant les progrès réalisés par leur pays. Par exemple, en France, selon l’IFOP, plus de trois Français sur quatre considèrent leur pays «en déclin» plutôt qu’en expansion, et 71% jugent la situation nationale «très mauvaise». Ces Français ne renient pas pour autant leur pays. Ce malaise démocratique n’est pas propre à un seul pays, il est régulièrement mesuré dans de nombreuses démocraties sous forme de défiance et d’opinions négatives.
Dans le cas de Sansal, il s’agit du reniement intégral de l’Algérie, pur et simple. Son cynisme anti-algérien augmentant sensiblement de livre en livre. Depuis Le Serment des barbares, il redouble de férocité, comme disait Kateb Yacine.
Dans les cultures populaires, ces éternels insatisfaits sont parfois appelés «râleurs», le fait de «râler» – grommeler sans cesse – est presque un sport national en France.
Le découragement chronique des jeunes face à la corruption, aux crises et à l’inaction perçue des gouvernants existe aussi aux Etats-Unis, où certains conservateurs ont dénoncé la mouvance «Blame America First», littéralement, «accuser l’Amérique d’abord». En Russie, Vladimir Poutine a qualifié de «traîtres nationaux» ceux qui «répandent le poison du mépris pour la patrie» en critiquant constamment le pays. Ces termes montrent que la critique systématique est souvent perçue négativement : comme un manque de patriotisme, un fatalisme décourageant ou même une forme de sabotage moral de la nation.
Sansal un intellectuel libre et courageux, disent-ils.
Dans le cas de Boualem Sansal, les opinions sont très polarisées. Certains cercles français le voient comme un intellectuel libre et courageux ; d’autres, comme un homme qui règle ses comptes au prix d’un mépris constant pour son propre pays, offrant involontairement une munition idéologique aux adversaires de l’Algérie. La plupart s’en fichent.
Quand la critique devient glaçante pour son propre peuple
Cet auteur ex-fonctionnaire en rupture de ban, venu à l’écriture pamphlétaire à un âge avancé, ne se contente pas de dénoncer des dérives ou des injustices. Il dresse tout le temps un tableau globalement noir, où l’Algérie est réduite à un pays «immobile», «miné par l’islamisme», «irrémédiablement perdu», «un petit truc» par rapport au voisin marocain. Ce discours, surtout tenu à l’étranger, dans les salons parisiens ou les médias occidentaux, réconforte ceux qui nourrissent des fantasmes de chaos ou de faillite sur l’Algérie.
Ce qui pose problème, ce n’est pas la critique en soi – l’Algérie n’a jamais manqué de grands esprits critiques – c’est le ton, le regard et, surtout, le lieu d’où l’on parle, parfois avec un mépris implicite pour le peuple lui-même, présenté comme passif ou complice.
La voix qui dénonce ou la voix qui dessert ?
On peut légitimement se demander : est-ce que Boualem Sansal cherche à reconstruire l’Algérie par la critique, ou à se distinguer en dénonçant, quitte à offrir un récit de détestation qui renforce les stéréotypes étrangers sur le pays ?
Certains y voient une critique destructrice, car elle ne s’accompagne ni de nuance, ni de proposition, ni de solidarité concrète avec ceux qui tentent, sur place, de faire bouger les lignes.
Le danger : devenir un relais de discours colonial inversé
Le discours destructeur de Sansal est parfois récupéré dans des médias ou cercles politiques nostalgiques de la colonisation, ou dans des récits qui disqualifient tout projet national algérien. Il devient ainsi, volontairement ou non, un levier pour délégitimer l’Algérie souveraine, en entretenant l’idée que ce pays est «incapable de se réformer», «irrationnel», «fanatisé» – autant de clichés hérités du colonialisme.
Une critique sans amour, est-ce encore une critique juste ?
Ce que de nombreux Algériens reprochent à Sansal, ce n’est pas son droit de critiquer, mais l’absence d’ancrage affectif. Une critique juste naît de l’amour blessé, du désir de rédemption, du chagrin politique.
La sienne ressemble parfois à une excommunication. La critique d’un pays ne doit jamais devenir son reniement.
A.-F. B.
(Suite et fin)
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