Robin des Lois
Par A. Boumezrag – Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur. Voilà un homme qui a longtemps prêché la rigueur conservatrice depuis les travées du Sénat, désormais propulsé au cœur de l’appareil répressif de la République. A ses côtés, un ministre de la Justice qui se pique de vouloir remettre les lois à l’endroit. Deux visages d’un pouvoir qui prétend aujourd’hui faire le ménage dans les relations franco-algériennes, en s’attaquant à ces petits arrangements entre élites qu’on appelle pudiquement des «facilités diplomatiques».
Retailleau veut frapper fort, marquer les esprits, refaire l’autorité de l’Etat. Mais une question reste entière : est-ce une vraie réforme ou une habile opération de communication ? Une rupture ou un simple roulement de tambour électoral ?
Car s’il est un exercice que la France maîtrise à la perfection, c’est bien celui de la fermeté sélective. On choisit une cible familière, on dénonce à grands renforts de formules, on durcit la rhétorique. Et surtout, on soigne la mise en scène : un peu de tension diplomatique, des interviews bien tournées, et l’illusion du changement opère. Mais ce cinéma a ses limites. Qui peut croire que quelques sanctions symboliques contre une poignée de diplomates changeraient réellement la nature des relations franco-algériennes ?
Ces relations, d’ailleurs, sont tout sauf simples. Elles sont hantées par l’histoire coloniale et saturées d’intérêts croisés. Si la France ferme une porte, elle en entrouvre une autre. Un jour, on tape du poing ; le lendemain, on s’excuse du bruit. L’Algérie, c’est l’écran parfait : assez proche pour inquiéter, assez floue pour fantasmer, assez stratégique pour ne jamais être vraiment maltraitée.
Retailleau prétend s’attaquer aux passe-droits ? Fort bien. Mais qui s’attaquera aux privilèges plus profonds ? Ceux qui ne relèvent pas de la diplomatie, mais du capital, des réseaux, des intérêts partagés entre élites des deux rives ? Ce système-là ne tremble jamais vraiment. Il s’adapte. Il change de visage. Il survit à toutes les indignations, parce qu’il est consubstantiel au fonctionnement du pouvoir.
Retailleau n’ignore rien de cela. Il est trop fin stratège pour croire que sa croisade bouleversera l’ordre établi. Mais il sait ce qu’elle peut produire : du récit. De l’image. De la posture. Une place dans la lumière, un écho dans l’électorat conservateur, une figure de «ministre qui agit» à défaut d’un ministre qui change.
C’est peut-être ça le plus habile : ne pas vraiment réformer, mais faire croire qu’on aurait pu. Laisser une trace sans déranger le présent. Occuper la scène sans jamais toucher aux coulisses. Une gesticulation républicaine de plus – efficace, bruyante, inoffensive.
Ainsi tourne la chaise musicale. Le policier devient Robin des Lois, le réformateur devient scénographe, et la République se donne à elle-même les apparences de la vertu. Le système ? Il observe, sourit, s’ajuste. Les privilèges ont la vie dure, surtout quand ceux qui les dénoncent s’en accommodent fort bien ailleurs.
«Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. C’est plus facile à manipuler que les êtres humains.» (Coluche).
A. B.
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