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Palestine : le miroir brisé de la démocratie occidentale

Une contribution de Saâd Hamidi – L’Occident aime se présenter comme le phare de la civilisation, le dépositaire de la liberté, de la raison et de la démocratie. Mais derrière cette mise en scène se cache une vérité autrement plus amère : la démocratie occidentale n’est pas tant un idéal universel qu’une arme idéologique, brandie pour imposer un silence assourdissant au reste du monde et pour disqualifier toute alternative.

René Guénon, dans La Crise du monde moderne, rappelait déjà que la modernité occidentale repose sur une illusion : croire que ses propres principes, forgés dans un contexte particulier, peuvent se présenter comme norme universelle. Cette prétention, écrivait-il, ne pouvait qu’aboutir à une civilisation déséquilibrée, dominée par le matérialisme, coupée de toute transcendance et, par conséquent, condamnée à l’aveuglement. La démocratie occidentale, telle qu’elle se pratique et se propage aujourd’hui, est l’une des expressions les plus flagrantes de cet aveuglement.

Car que produit-elle réellement ? Non pas des citoyens éclairés, maîtres de leur destin, mais des consommateurs d’opinions, ballotés par des médias de masse, hypnotisés par des slogans et des indignations sélectives. La démocratie occidentale fonctionne comme un marché : on choisit entre deux ou trois marques politiques, sans jamais remettre en cause l’architecture profonde du système. L’illusion du choix sert de substitut à la liberté.

Mais le drame est que ce système ne s’arrête pas aux frontières. Il s’exporte. Il s’impose. L’Occident en fait la mesure de toutes choses : un pays qui s’y conforme est «fréquentable» ; un pays qui s’en écarte est aussitôt soupçonné, accusé, condamné. Ainsi, la démocratie occidentale devient un label, un brevet de civilisation que le Nord distribue au Sud global avec une condescendance obstinée.

Tout récemment, la reconnaissance de l’Etat de Palestine par certains pays européens a agi comme un révélateur. Enfin, un geste de justice élémentaire qui aurait dû aller de soi depuis des décennies. Pourtant, les réactions outrées de certaines élites occidentales, relayées par des médias puissants, ont montré combien ce simple acte venait fissurer la façade morale de l’Occident. J’ai entendu, stupéfait, les arguments d’un Bernard-Henri Lévy, figure emblématique d’une intelligentsia arrogante, qui s’empressait de nier aux Palestiniens le droit de vivre libres, souverains, et surtout armés de leur propre dignité politique. Il n’est pas anodin que ces mêmes voix ne cessent de plaider pour un Etat palestinien «désarmé», réduit à une fiction administrative, condamné à l’impuissance.

Cette rhétorique n’est pas seulement une opinion : c’est un instrument de domination. Car un peuple désarmé, privé de souveraineté réelle, n’est pas un peuple libre. C’est une population sous tutelle, une nation sous surveillance, un silence imposé au nom de la paix. En réalité, l’Occident ne veut pas d’un Etat palestinien libre ; il veut un Etat vassalisé, compatible avec son ordre mondial, incapable de contester son récit.

La contradiction est insoutenable : d’un côté, l’Occident brandit la démocratie comme horizon universel ; de l’autre, il refuse ce droit élémentaire à un peuple qui incarne pourtant la lutte la plus claire pour l’autodétermination. Ce n’est pas la démocratie qu’il défend, c’est sa propre hégémonie.

Guénon avait vu juste : quand une civilisation perd tout contact avec les principes supérieurs, elle finit par se dévorer elle-même, prisonnière de ses contradictions. L’Occident, au lieu d’écouter les voix multiples du monde, préfère imposer son modèle unique, enivré de son propre mythe. Mais chaque fissure – comme la reconnaissance de la Palestine – révèle l’illusion.

Nier l’humain, c’est toujours préparer sa propre chute. L’histoire en a donné trop d’exemples : l’apartheid en Afrique du Sud, qui se croyait indestructible jusqu’à ce que la dignité des opprimés brise ses murs ; la colonisation, qui se présentait comme mission civilisatrice mais qui a fini par révéler la brutalité de son mensonge ; ou encore les régimes totalitaires européens du XXe siècle, qui ont sombré précisément parce qu’ils avaient effacé la valeur de l’homme derrière des idéologies. A l’inverse, chaque fois que l’humanité a su reconnaître l’autre comme égal, un avenir s’est ouvert. Forger un destin commun n’a jamais affaibli les peuples, il les a grandis. Refuser aux Palestiniens leur pleine souveraineté, c’est donc refuser à l’humanité entière la chance de grandir ensemble.

Il est temps de dire clairement : la démocratie occidentale, telle qu’elle est pratiquée et exportée, n’est pas un modèle de liberté. C’est un instrument de contrôle, une arme idéologique qui sert à réduire au silence ceux qui osent proposer un autre chemin. Les peuples du Sud global n’ont pas besoin d’être sermonnés ; ils ont besoin d’être reconnus dans leur dignité et leur droit inaliénable à inventer leurs propres formes de liberté et de souveraineté.

S. H.

(Montréal)

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