Une contribution de Khider Mesloub – Ainsi que nous l’écrivions dans notre article au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale en été 2024, ces dernières années, la bourgeoisie française, par extrémisme du centre, cette posture d’extrême centre qui renvoie à une intolérance à tout ce qui ne cadre pas avec son juste milieu arbitrairement édicté, pour éviter toute authentique alternance susceptible de hisser au pouvoir le RN ou LFI, emploie la stratégie du «barragisme».
En France, le barragisme est ce mouvement réactionnel dressé électoralement par la clique prédatrice gouvernementale et politique pour contrer un parti supposément réactionnaire ou incendiaire de remporter les élections législatives ou présidentielles au second tour du scrutin.
Le barragisme, mouvement impulsif et intempestif électoraliste interclassiste, surgit à chaque scrutin où le parti d’extrême droite française, le Rassemblement national, et dorénavant LFI, rafle massivement le suffrage des électeurs au premier tour.
Ce mouvement réactionnel est, en effet, initié à chaque déconvenue électorale présidentielle ou législative essuyée par les mauvais perdants de droite comme de gauche, ces extrêmes-centristes libéraux autoproclamés défenseurs de la République bourgeoise française, déterminés à s’accrocher au pouvoir pour préserver leurs privilèges. Leurs sinécures et prébendes. Leurs rentes gouvernementales, parlementaires, institutionnelles, politiques.
Les protagonistes du mouvement barragiste, tous membres des partis institutionnels et dirigeants gouvernementaux établis, bataillent ainsi pour entraver, y compris par des manœuvres dolosives et tractations secrètes, le parti en lice d’extrême droite (RN) ou d’«extrême gauche» (LFI) de concrétiser son écrasante victoire obtenue au premier tour, que ce soit à l’Elysée ou au Parlement.
Ces manœuvres dolosives et tractations secrètes, ourdies par le bloc gouvernemental et les partis institutionnels affidés, épaulés par leurs alliés intellectuels et leurs relais médiatiques, trahissent tout à la fois l’imposture de la démocratie bourgeoise et le mépris des élites de la souveraineté populaire, du vote du peuple.
Pour parvenir à leurs fins, les barragistes réactionnels exercent la pression et le chantage au fascisme sur les électeurs afin d’obtenir leur suffrage, arracher leur vote par le dol. D’aucuns diraient le vol d’un consentement électoral obtenu par des pressions politiques et médiatiques dignes des méthodes employées couramment par la mafia. Ces barragistes, par extrémisme centriste, s’autoproclament comme exclusifs directeurs de conscience et uniques maîtres dans l’exercice de la parole divine républicaine. Aussi penser bien et voter correctement revient-il à penser comme eux et à voter pour eux, c’est-à-dire pour des courants politiques d’extrême centre nantis du même projet libéral, saupoudré de lilliputiennes mesures sociales et de généreuses lois sociétales et normes identitaristes.
Au barragisme électoral initié par les partis institutionnels d’extrême centre est venu s’adjoindre, au lendemain des élections législatives de juillet 2024, l’«entravisme» présidentiel, innové par Emmanuel Macron.
En effet, en dépit de l’échec de la macronie, battue aux élections législatives, le président Macron s’est obstiné à entraver la formation d’un gouvernement composé d’élus du NFP, pourtant placé en tête, certes, sans obtenir une majorité absolue. Macron s’est appliqué avec obstination à faire obstruction au NFP en fixant les conditions de la formation du gouvernement.
Par voie épistolaire, le despote Macron, qui ne communique dorénavant avec son peuple et ses élus que par lettres pour dicter ses ordres et directives, dans une missive envoyée à la presse régionale, fixera discrétionnairement les conditions pour la nomination d’un nouveau Premier ministre, qui devra émaner, selon lui, d’une coalition majoritaire. Traduction : une majorité issue de la macronie et de la droite institutionnelle (LR). Au pire, également du PS. Autrement dit de l’extrême centrisme.
Malgré la défaite de son camp aux législatives de juillet 2024, le despote Macron imposera ainsi sa volonté de façon totalement bonapartiste et antidémocratique. Une position totalitaire qu’il pousse jusqu’à s’immiscer dans le programme du futur gouvernement, en exigeant que celui-ci «devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées, d’un projet pragmatique et lisible et prendre en compte les préoccupations que vous avez exprimées au moment des élections».
L’anomalie idéologique aboutit à l’anomie politique
Ce veto présidentiel visait non seulement à entraver la formation d’un gouvernement NFP, réclamé par la gauche, mais également à maintenir au pouvoir le gouvernement du moment jusqu’à l’émergence d’une coalition issue de la macronie, de la droite (LR), du parti socialiste et de EELV (les Verts). Pour ce faire, rencontres secrètes, tractations s’enchaînent en coulisses. Les ténors du camp présidentiel assureront être en capacité à gouverner et afficheront leur refus d’abandonner le pouvoir.
En tout cas, depuis l’été 2024, le camp macroniste ne veut pas lâcher le pouvoir. Il «joue la carte de l’entravisme» pour priver le NFP de former un gouvernement. Les macronistes, en particulier l’aile droite, affichent leur volonté d’entraver, notamment par le vote d’une motion de censure, la formation de tout gouvernement comprenant un ministre de la LFI ou reprenant le programme du NFP. Autant de manœuvres antidémocratiques de la macronie pour éviter de rendre le pouvoir.
Par ces manœuvres, Macron, en jouant la montre, escompte exacerber les divisions apparues au sein de la NFP, grâce notamment à la campagne médiatico-politique de diabolisation de LFI. Une diabolisation qui s’étendra également à EELV.
Cela étant dit, on savait que la France glisse, économiquement, vers la tiers-mondisation, on découvre qu’elle emprunte, politiquement, dorénavant les sentiers de la République bananière.
La macronie, cet extrême centrisme au pouvoir depuis sept ans, ne veut ni reconnaître sa défaite électorale aux dernières élections législatives ni accepter de céder la gouvernance au Nouveau Front Populaire arrivé pourtant en tête des élections législatives.
La passation normale et pacifique du pouvoir est censée être une caractéristique déterminante de la démocratie bourgeoise. Or, par entravisme extrême centriste, Macron aura privé le NFP de sa victoire en l’empêchant de former son gouvernement. A trois reprises, en moins d’un an, Macron aura nommé un premier de sa galaxie extrême centriste.
Après la débauche de barragisme et de l’entravisme, la tactique macronienne débouche dorénavant sur le confusionnisme politique et institutionnel.
Le confusionnisme se caractérise par le brouillage des lignes politiques. Cette anomalie idéologique aboutit à l’anomie politique, autrement dit à l’absence de tout programme cohérent. Et cette incohérence programmatique est source de confusionnisme institutionnel, d’anarchie gouvernementale et de désintégration sociale.
En France, le confusionnisme politique s’inscrit dans une époque marquée par l’absence de tout récit collectif rassembleur et mobilisateur, de tout horizon émancipateur, précipité par l’échec du communisme stalinien, les déceptions de la gauche, la libération publique d’une xénophobie sécuritaire, la banalisation de la stigmatisation et de la criminalisation des musulmans et des Arabes. Une époque dominée par l’hégémonie du libéralisme débridé.
Aujourd’hui, il flotte dans l’air un parfum des années 1930. Jamais contexte n’a favorisé autant la désagrégation des repères politiques, la propagation du confusionnisme.
Ce confusionnisme ambiant n’est ni une doctrine ni une théorie. Comme dans les années 1930, c’est un projet confus porté curieusement par l’extrême centre, la macronie, ce «fascisme light», pour qui la guerre est l’horizon indépassable.
Ne pas perdre de vue qu’en France, comme dans la plupart des pays impérialistes, c’est la guerre qui dicte le tempo. C’est la guerre qui impose son programme politique meurtrier, son agenda économique militariste, son système de pensée chauviniste et caporaliste.
Le souci principal de Macron est de former un gouvernement d’union nationale, composé de ministres déterminés à imposer des mesures d’économie de guerre. Autrement dit à conduire impitoyablement la guerre militaire sur le front extérieur et la guerre sociale sur le front intérieur. Une guerre sociale contre les travailleurs par le démantèlement, avec l’appui inconditionnel d’un nouveau Parlement croupion, de tous leurs droits sociaux (baisse des salaires et augmentation des impôts) et politiques (restrictions des libertés et du droit d’expression) afin de soutenir l’effort de guerre militaire et sociale.
Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître
La priorité du capital français est, d’une part, de disposer d’une équipe de choc ministérielle entièrement dévouée pour soutenir l’essor de l’économie de guerre. D’autre part, de disposer d’un Parlement croupion formé de députés dociles et soumis acquis au programme de guerre sociale et militaire actuellement en préparation par la bourgeoisie française belliciste. L’ère n’est plus à l’investissement dans le social, mais dans le réarmement et l’économie de guerre.
Or, les partis traditionnels, aussi bien de droite et gauche, comme ceux de l’extrême gauche et de l’extrême droite, ne sont pas en phase avec cette nouvelle donne militariste et belliciste imposée par le capital. Ils sont encore prisonniers de leurs illusions politiques réformatrices et redistributrices. Ces partis, aux programmes politiques en total décalage avec les besoins objectifs de la bourgeoisie française belliciste, sont devenus un véritable obstacle en matière de gestion de l’économie militariste et des visées impérialistes hexagonales.
Seule l’extrême centre ou l’extrémisme centriste, incarné par la macronie hissée au pouvoir en 2017, est, pour le moment, disposé à remplir cet agenda militariste et belliciste. De là s’explique le confusionnisme idéologique ambiant.
De nos jours, le confusionnisme idéologique, c’est-à-dire l’absence de toute perspective d’avenir clairement définie sinon celle de la guerre ouvertement assumée, est le choix politique de l’extrême centrisme nourri de culture tout à la fois libérale, militariste et belliciste, sur fond de la revendication du dépassement de la distinction droite-gauche, pour mieux basculer du bonapartisme balbutiant instauré au début du mandat de Macron au demospotisme déclaré. Le démospotisme, c’est ce mode de gouvernance occidentale, donc français, qui a l’apparence de la démocratie par l’élection, mais le vrai visage du despotisme par la gestion étatique. C’est un fascisme light.
Le confusionnisme politique s’inscrit dans un contexte social historique contemporain marqué par la décadence. Antonio Gramsci, philosophe communiste, a souligné que son époque est caractérisée par une «crise organique», c’est-à-dire une crise globale du capitalisme qui se manifeste sous la forme d’une crise des institutions, de la dilution des grands récits et des projets émancipateurs.
A notre époque, pareillement marquée par une crise organique, par la perte de contrôle de la classe dominante sur son appareil économique, et par l’incapacité des différentes formations politiques françaises à proposer des projets cohérents et réalistes, les «citoyens» et le prolétariat ne croient plus à l’idéologie bourgeoise consensuelle qui les inclinaient à se soumettre à l’ordre établi. Sans pourtant se construire une nouvelle conception du monde susceptible d’assurer leur émancipation, s’aménager une porte de sortie salutaire, sinon celle du nihilisme, de l’individualisme forcené, du chacun pour soi.
Cette désorientation politique constitue un terrain fertile pour l’épanouissement du confusionnisme, vecteur du blocage historique. Comme le notait Gramsci : «Le vieux monde (certes) se meurt, (mais) le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres». Et ces monstres sont aujourd’hui installés à l’Elysée, au Palais Bourbon, devenus des succursales de Tel-Aviv.
Quoi qu’il en soit, l’impasse historique dans laquelle est engluée le capitalisme, à plus forte raison le capital français, la décrédibilisation qui frappe tous les gouvernants du fait des échecs patents de leurs différentes politiques, ont précipité la faillite de l’ensemble de l’appareil politique français, incapable d’imposer à la société et au prolétariat la moindre docilité civique, «cohésion sociale», encore moins une adhésion à ses projets militaristes et bellicistes qu’il s’efforce avec acharnement de mettre en œuvre.
«Il ne suffit pas que ceux du bas ne veuillent plus, il faut aussi que ceux d’en haut ne puissent plus», notait Lénine. La France se trouve dans une telle situation : les bourgeois ne peuvent plus gouverner.
«L’Histoire avec sa grande hache» se joue aujourd’hui. La bourgeoisie française, à couteaux tirés avec son ennemi de classe, le prolétariat, compte le tailler en pièces, hacher menu ses droits sociaux, avant de le faire passer au fil de l’épée sur les fronts de guerre des steppes forestières de Russie.
En tout cas, du fait de cette impasse historique, tout porte à croire que la France s’achemine vers un putsch institutionnel perpétré par la macronie. Pour instaurer le vrai fascisme : ce «miasme affreux de scie et de hache».
K. M.
« Barragisme » et « entravisme » certes, mais sur fond de « dissolutionisme » et de « destutitionisme », synonymes en très clair de « Dégagisme » ! Et c’est cela la nouvelle donne populaire grandissante chez Fafa.