Urgent |

Le nouvel axe Pékin-Alger : des investissements stratégiques au pouvoir silencieux

Par Mohamed Lamine Kaba(*) – L’avènement d’une ère de multipolarité ne se limite pas à des palabres diplomatiques ou à des discours. Il se matérialise aujourd’hui dans les infrastructures, les usines, les contrats, les pipelines. Et rien n’illustre cela mieux que la montée en puissance de la présence chinoise en Algérie.

Depuis une décennie, un basculement silencieux s’opère en Algérie. L’Algérie, jadis verrouillée dans un modèle économique fondé sur la rente pétrolière et les relations asymétriques avec l’Occident, s’impose désormais comme un laboratoire du nouvel ordre multipolaire. Ce virage ne doit rien au hasard. Il s’enracine dans une stratégie méthodique commune Alger-Pékin, qui fait de l’Algérie un point d’ancrage d’une présence économique, industrielle et géopolitique d’une ampleur inédite. En misant sur la coopération structurelle plutôt que sur l’exploitation opportuniste, Pékin transforme l’Algérie en un nœud de la nouvelle cartographie économique mondiale, au grand dam de Washington et de ses alliés atlantistes.

Tout commence véritablement lorsque, en décembre 2022, les deux pays signent un «Plan triennal de coopération pour les domaines clés», portant sur l’énergie, les infrastructures, l’industrie manufacturière, les technologies de l’information et la finance. Cet accord ne marque pas seulement un partenariat économique, il consacre un basculement de paradigme, celui d’une Algérie décidée à se libérer du joug des anciens schémas de dépendance. En moins de trois ans, le nombre d’entreprises chinoises opérant sur le territoire algérien dépasse le millier, tandis que les échanges bilatéraux atteignent 12,5 milliards de dollars en 2024. Ce dynamisme traduit une volonté partagée : celle de rebâtir la relation Nord-Sud sur des bases horizontales, équitables et prospectives.

D’un point de vue sectoriel, la stratégie chinoise en Algérie s’organise autour de trois piliers fondamentaux : l’énergie, l’industrie et les infrastructures. Le premier pilier, l’énergie, constitue la clef de voûte de cette coopération. Entre 2013 et 2023, la Chine a investi près de trois milliards de dollars dans l’exploration, le raffinage et la modernisation des infrastructures pétrolières algériennes. En juillet 2025, un tournant majeur s’opère avec la signature d’un contrat entre Sinopec et Sonatrach pour l’exploration du bloc gazier de Guern El-Guessa II, dans le bassin de Gourara-Timimoun. Cet accord illustre un changement d’échelle : la Chine ne se contente plus d’importer, elle s’implante, elle explore, elle façonne les flux énergétiques. Ainsi, jadis simple fournisseur d’hydrocarbures, l’Algérie devient partenaire stratégique d’un géant énergétique global.

Mais au-delà des hydrocarbures, la coopération sino-algérienne s’étend à la transition énergétique. La Chine, championne mondiale du solaire, accompagne l’Algérie dans sa reconversion vers les énergies renouvelables. En avril 2024, PowerChina et plusieurs consortiums chinois lancent la construction de centrales solaires à Biskra et Ouled Djellal, d’une capacité combinée de 300 MW, dans le cadre d’un vaste programme national de 2 GW. Ce mouvement, s’il paraît technique, possède une portée géopolitique : il inscrit l’Algérie dans le futur énergétique post-pétrolier et en fait un acteur africain de la transition climatique, tout en consolidant la présence technologique de la Chine sur le continent.

Parallèlement, Pékin s’attache à bâtir une base industrielle solide en Algérie. Plus de quarante projets manufacturiers sont approuvés entre 2023 et 2025, pour un total de 4,5 milliards de dollars. Les secteurs automobile et ferroviaire deviennent des vitrines de cette synergie : Chery et Jetour installent des usines d’assemblage capables de produire respectivement 50 000 et 270 000 véhicules sur cinq ans, tandis que la société ferroviaire algérienne SNTF signe un partenariat avec le géant CRRC pour fabriquer du matériel roulant localement. De cette logique, l’Algérie cesse d’être un simple marché pour devenir un atelier industriel intégré, capable de fournir l’Afrique et la Méditerranée.

Dans le prolongement de cette logique industrielle, la Chine investit massivement dans les infrastructures de transport et de logistique. Les projets ferroviaires reliant les gisements du Sud aux ports du Nord, les modernisations des terminaux portuaires de Skikda, de Djendjen ou de Cherchell, et l’intégration de ces axes à la «Nouvelle Route de la Soie» confèrent à l’Algérie un rôle stratégique dans la chaîne logistique eurafricaine. De fait, Alger se positionne comme la passerelle géoéconomique entre la Méditerranée et le Sahel, entre l’Afrique et l’Asie.

Derrière cette effervescence de chantiers se cache une cohérence géopolitique profonde. Pour la Chine, l’Algérie n’est pas seulement un partenaire commercial. Elle est une clé de voûte du projet de recomposition mondiale. En investissant dans ce pays pivot, Pékin sape les fondements de la domination atlantique et promeut une mondialisation alternative, fondée sur le polycentrisme économique et la multipolarité politique. Ce repositionnement suscite l’inquiétude de Washington et des chancelleries européennes, qui voient se dessiner une Algérie affranchie de leur orbite. L’Algérie, quant à elle, y voit une opportunité historique de renforcer sa souveraineté économique et de se réinventer comme puissance régionale autonome.

Sur le plan axiologique, cette coopération incarne la valorisation d’un principe fondamental : la souveraineté par le développement. En diversifiant ses alliances et en attirant des investissements productifs, Alger redonne sens à sa trajectoire postcoloniale. Sur le plan téléologique, c’est-à-dire du but visé, cette dynamique cherche à transformer la dépendance en puissance, la périphérie en centre. Le pari chinois, en retour, est d’ancrer durablement son influence non par la dette, mais par la construction – une stratégie du long terme qui repose sur le partage des infrastructures et des savoir-faire.

Ce modèle, fondé sur la coopération sincère et la complémentarité des intérêts, ouvre des perspectives immenses pour les deux nations. L’Algérie, en s’appuyant sur l’expertise technologique et industrielle de la Chine, favorise l’émergence d’un tissu productif local, renforce la formation de ses cadres et accélère son processus de modernisation économique. De son côté, la Chine démontre qu’elle reste fidèle à sa doctrine de partenariat gagnant-gagnant, fondée sur le respect mutuel, la non-ingérence et le transfert des savoirs. Cette alliance, loin de reproduire les schémas de dépendance du passé, illustre au contraire la naissance d’un nouveau modèle de coopération Sud-Sud équilibré, où chaque partenaire contribue à la construction d’un avenir commun. Quant à l’Occident, il est désormais invité à reconnaître la consolidation d’une Algérie souveraine, confiante et actrice de son destin, en dialogue fécond avec les puissances de l’Est, notamment l’Empire du Milieu.

En filigrane, les investissements stratégiques de la Chine en Algérie ne se réduisent pas à des chantiers : ils symbolisent la revanche du Sud global, la réécriture silencieuse d’un ordre international qui se voulait immuable. Ce partenariat illustre à la fois la renaissance d’une Algérie aspirant à sa pleine souveraineté et la projection d’une Chine qui, par la coopération, s’impose comme le nouvel architecte d’un monde polycentrique.

En un mot, Pékin et Alger conjuguent leur destin : l’un cherche à consolider sa puissance globale, l’autre à réinventer la sienne. Ensemble, ils démontrent que le XXIe siècle ne se jouera plus seulement entre Washington, Bruxelles et Londres, mais bien entre les capitales émergentes d’un monde redevenu multiple et pluripolaire.

M.-L K.

Cet article a été initialement publié en anglais sur le site China Beyond the Wall :

(*) Mohamed Lamine Kaba est sociologue et expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine.

11 Commentaires

  1. La situation du pays appelle à endiguer le culte de l’esbroufe politique et sur ses conséquences. Gardons à l’esprit le bras d’honneur fait par nos alliés stratégiques : la non intégration au BRICS en est un.

    L’histoire récente nous a enseigné que le pays a besoin des réformes profondes qui accordent une place déterminante à l’initiative individuelle.

    Cette grille de lecture a le mérite d’exister. Ce serait une grave erreur de l’ignorer car toute erreur d’appréciation peut avoir des conséquences graves sur l’édification d’un Etat fort, d’une république économiquement solide et socialement juste, d’une Algérie libérée des entraves politiques inhérents à un système d’un autre âge et des sarcomes du sous développement.

    Il importe, au jour d’aujourd’hui, d’examiner les causes des échecs, rectifier les erreurs et définir de nouvelles options qui laissent espérer de profonds changements loin d’un conservatisme social qui étouffe, d’un sentiment obsidional qui mine et d’un poids de l’Histoire qui entrave.

    L’Algérie, jeune nation et nation jeune avec une vieille histoire, pourrait être en mesure de surmonter les défis en cours pour peu qu’il faudrait plus de sécularisation de la société, un véritable renouveau culturel, une totale liberté d’expression des voix dissidentes et un essor économique ne laissant plus qu’une portion congrue à la corruption, au népotisme et aux réflexes claniques.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

    Répondre
  2. L’ALGÉRIE BRÛLE !!

    Plus d1,2 millions de BOUSBIRIENS CLANDESTINS sur le territoire Algérien !!

    Plus d1,2 millions de PYROMANES BOUSBIRIENS sur le territoire Algérien !!

    QU’ATTENDENT les autorités Algériennes pour y faire face efficacement et résoudre ce problème de manière durable ??

    Répondre
  3. Dite leurs bien au pékinois notre intérêt penche pour une dissuasion nucléaire algérienne s’il veulent bâtir un partenariat solide voila un vrai sujet et tout le reste suivra leurs petite auto leurs petits chapeau etc…

    Répondre
  4. Je cite « la Chine a investi près de trois milliards de dollars dans l’exploration, le raffinage et la modernisation des infrastructures pétrolières algériennes ». C’est bien mais gardons en tête que la Chine fait ça pour elle et uniquement pour elle. Notre pays n’a pas besoin d’un « grand frère » ou d’une relation d’amitié quasi exclusive qui créerait une nouvelle dépendance mais de relations équilibrées avec des partenaires divers et variés.

    Répondre
  5. Je ne retiens qu’une chose c’est que Pekin s’est abstenu lors de la réunion sur le sahara laissant la résolution etre adoptée! alors ne me parlez pas d’allié. C’est juste un pertenaire économique comme tous les pays qui se disent proche de nous.

    Répondre

Laisser un commentaire