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Adieu Biyouna : la dame d’acier à la parole indomptable qui ne s’est jamais excusée

Par Anouar Macta – Elle n’avait ni la langue docile ni les regards serviles. Elle n’a jamais cherché à plaire, encore moins à rassurer. Biyouna s’est éteinte, mais ce qui disparaît avec elle, c’est la rareté d’une parole indomptable dans un monde où l’on exige l’adhésion, la courbette, la pudeur stratégique. Elle refusait le rôle de «bonne représentante». Elle refusait d’être éduquée, corrigée, apprivoisée. On l’aimait ou on la redoutait, peu importe. Elle ne négociait pas.

En France, elle dérangeait par ce qu’elle incarnait : une Algérienne qui s’exprime sans craindre la censure sociale, sans l’obligation de faire plaisir, sans le besoin d’adapter son accent ou ses vérités. L’industrie culturelle aime les identités dociles, polies, présentables. Elle, au contraire, arrivait comme une gifle : pas de folklore sucré pour apaiser les consciences, pas de caricature pour faire rire, pas de visage aseptisé pour entrer dans les dîners mondains. On n’avait pas face à soi «l’immigrée qui est contente d’être là». On avait une femme qui venait sans complexes, sans gratitude forcée, sans renier d’où elle parlait.

Pour la communauté algérienne de France, elle fut un miroir brutal. Elle rappelait qu’on peut exister sans chercher la validation, qu’on peut être présent sans se justifier, qu’une identité n’a pas à demander l’autorisation pour s’imposer. Beaucoup l’admiraient pour cette liberté ; d’autres en avaient peur, habitués à se contenir, à se modérer, à avancer en silence face au regard dominant. Elle brisait ce pacte tacite, celui qui exige de l’Algérien qu’il soit charmant, discret, reconnaissant. Elle rappelait qu’il n’y a rien à quémander lorsque l’on est entier.

Ce n’était pas une icône parce qu’elle était célèbre, mais parce qu’elle était indomptable. Elle avait cette franchise brute, presque violente, qui rend impossible l’hypocrisie. Elle savait rire, mais jamais pour flatter. Elle savait provoquer, mais jamais pour séduire. Elle savait être tendre, mais jamais servile. Elle s’est construite sans demander la permission, et c’est précisément cette indépendance qui faisait d’elle une artiste à part, une femme que l’on ne pouvait pas réduire à un rôle culturel, à un stéréotype communautaire, à une «représentante» diplomatique.

Aujourd’hui, ce qui nous manque n’est pas seulement une voix. C’est un tempérament. Une manière de dire «non» à tout ce qui domestique. Une manière de rappeler qu’aucune communauté ne grandit en se censurant pour paraître respectable, ni en s’excusant d’exister. Biyouna fut cet «excès» nécessaire, celui qui oblige chacun à se regarder sans fard.

Elle part, mais l’exigence qu’elle laisse est puissante : que l’Algérien, ici ou là-bas, ne soit jamais soumis à l’idée que sa valeur dépend de son obéissance. Elle laisse une leçon : la dignité n’a pas besoin de décor, ni de justification, ni de permission.

Allah yarhamha. Qu’elle repose avec la même liberté qu’elle a imposée au monde. Amine.

A. M.

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