Par A. Boumezrag – Les Africains ont discuté à Alger des crimes du colonialisme. Ils ont ouvert les archives, brandi les preuves, condamné symboliquement un passé qui ne peut plus s’échapper. Et pourtant, en France, la souveraineté africaine semble encore purger sa peine : contrats déséquilibrés, monnaies indexées sur l’ancienne puissance, dépendances économiques et militaires qui n’ont jamais vraiment disparu. L’indépendance juridique est là, tangible, mais son exercice effectif demeure conditionnel.
Géographiquement, le continent n’aide pas toujours ses propres ambitions. Des pays immenses mais faiblement peuplés, des Etats minuscules mais explosifs, des zones désertiques, des côtes convoitées et des ressources dispersées. Etre souverain en Afrique, c’est jongler entre ces réalités naturelles et humaines, tout en essayant de ne pas se laisser dicter sa trajectoire par un voisin lointain ou un investisseur pressé. La souveraineté, en pratique, se transforme en un sport d’équilibre permanent.
Et puis il y a la population. Une jeunesse dynamique, connectée, inventive, souvent consciente de ses atouts mais frustrée par les limites structurelles de l’Etat. Entre aspirations modernes et héritages historiques, l’Afrique contemporaine se débat avec des institutions parfois obsolètes, des systèmes de gouvernance qui n’ont pas suivi le rythme, et un climat économique mondial où tout le monde veut sa part. Sauf que la part des nations africaines reste souvent minorée.
D’un point de vue géostratégique, le continent est aujourd’hui un terrain de compétition acharnée. Chinois, Américains, Européens, Turcs, Russes et acteurs du Golfe arpentent ses côtes et ses mines. Tout le monde vient chercher des contrats, des ressources, des alliances. L’Afrique n’est plus simplement un décor postcolonial. Elle est devenue un terrain de jeu global où chaque acteur tente d’influencer le cours des événements à son avantage.
Alors, que reste-t-il des indépendances ? Officiellement, tout est en ordre : drapeaux levés, Constitutions promulguées, Etats reconnus. Dans la pratique, la souveraineté réelle est un puzzle complexe. Les réussites existent – des économies qui émergent, des start-ups innovantes, des villes en expansion, des institutions régionales qui se structurent –, mais les échecs et limites persistent : conflits récurrents, dépendances économiques, inégalités criantes. L’Afrique avance, mais parfois sur un chemin pavé de contradictions.
Soixante ans après, le colonialisme est jugé symboliquement à Alger. La souveraineté, quant à elle, semble encore purger sa peine à Paris ou parfois ailleurs, derrière des barreaux invisibles faits de contrats, d’influence et de dépendances. L’Afrique n’a jamais cessé d’avancer, mais elle avance en marchant sur un fil suspendu entre passé et futur, liberté et contraintes.
La conférence d’Alger a le mérite de rappeler que le passé se juge, mais que le présent et le futur exigent une vigilance constante. La souveraineté africaine n’est pas un acquis, mais un chantier permanent. Une aventure collective, parfois chaotique, toujours humaine, et toujours inachevée.
A. B.


