Vivons de pain rassis et de prêches !
Par Abdelaziz Ghedia – A la question «c’est grave docteur», j’essaie presque toujours de répondre par la négative et cela bien entendu dans le but de rassurer les gens, de ne pas infliger plus d’inquiétude à des proches qui attendent le pronostic de leur malade. «Non, ce n’est pas grave», dis-je le plus souvent et j’ajoute ensuite la fameuse formule que tout le monde connaît : «En fait, c’est beaucoup plus de peur que de mal», même si la situation paraît de prime abord désespérée.
Etre médecin, c’est d’abord être humain et aimer son prochain tel que le préconisent la Bible… et le Coran. Voilà, en disant cela, je viens de couper l’herbe sous les pieds des intégristes de tout bord qui pensent peut être que celui qui ose encore, de nos jours, s’exprimer dans la langue de Molière est soit un laïc soit, au pire, un athée.
Cette précision étant faite, continuons maintenant notre discussion.
Je disais donc que quand il s’agit de la santé d’une personne, on essaie toujours de n’être pas alarmiste, de présenter la situation de manière à ce que les proches de cette personne ne soient pas désemparés. Et continuent à faire confiance au médecin traitant de leur patient. Ce ne sont là que des principes simples de la médecine que tout médecin qui se respecte doit appliquer dans sa pratique quotidienne.
Mais là ?
Devant la situation politique du pays et surtout devant les derniers évènements d’ordre sociétal qui ont eu lieu dans certaines villes du pays aussi bien du Sud que du Nord, que devrais-je dire ? Que tout va bien Madame la Marquise ? Non, loin s’en faut. Je ne dirai pas cela ; sinon ça serait une politique de l’autruche. En tant que citoyen qui ne veut que du bien à son pays et à son peuple, je n’ai pas le droit de tricher. Je n’ai pas le droit de fermer les yeux, de faire comme s’il n’en était rien. La chose est trop grave pour ne pas la condamner. La chose est, de mon point de vue, tellement grave pour ne pas dénoncer ceux qui poussent vers le dérapage, vers le retour aux «années de braise». Ceux-là sont bien connus. Ils ne sont manipulés ni par la main étrangère ni par le Mossad. Ils sont bien le résultat de notre système éducatif. Car on le voit bien sur les vidéos postées sur Facebook, par exemple, qu’ils sont majoritairement jeunes, moins de la trentaine même.
En fait, je dirai même que le ou les manipulateur sont connus. Il n y a qu’à chercher à qui profite le crime. Ceux qui n’ont pas pu obtenir ce qu’ils veulent par la voie politique, ceux qui ne savent pas encore s’ils doivent faire de l’opposition vraie ou se contenter de simples strapontins dans les différentes institutions de l’Etat sont, à coup sûr, les instigateurs de ce manifestations ostentatoires.
Comme si les gens ne devaient pas avoir d’autres droits, d’autres besoins, des préoccupations autres que celle d’adorer Dieu et le Prophète. Si on suivait leur raisonnement, on dirait que les gens n’ont besoin que de pain rassis et de… prêches. L’amour et l’eau fraîche ? Tu parles !
Force est d’admettre que ces événements (qui ont eu lieu à Ouargla, à Sidi Bel-Abbès et ailleurs), à savoir l’annulation pure et simple de concerts de musique raï ou autre, et cela sous la pression de certaines franges des populations locales fanatisées par le discours islamiste, ont créé le buzz sur les réseaux sociaux en Algérie. Sauf que la réaction des uns et des autres dépasse parfois le cadre de la bienséance et de la discussion entre gens soi-disant civilisés. On verse facilement dans l’insulte et la bassesse, parfois à coups de versets coraniques comme arguments à opposer à son interlocuteur.
En tout cas, cela donne froid dans le dos et dénote, encore une fois, de l’échec total de l’école algérienne qui n’a, jusqu’ici, pas su produire un type d’Algérien nouveau, à l’esprit cartésien et ouvert sur l’universalité. C’est dommage de le souligner ici.
Il y a plus d’une vingtaine d’années maintenant, le sociologue algérien Houari Addi avait parlé de «la régression féconde» ; c’était alors l’âge d’or des «frérots» algériens avec comme corollaire la décennie noire qui a marqué les Algériens à jamais. Les naïfs d’entre nous l’avaient cru et avaient pris pour argent comptant sa fameuse théorie. Nous pensions qu’effectivement, cette régression, ce retour à la barbarie allaient nous donner quelque chose de nouveau, une nouvelle société plus instruite et plus tolérante. Nous avons attendu, vainement. L’on constate aujourd’hui, avec ce retour – j’allais dire triomphal des intégristes – que, finalement, la régression n’est point féconde et que, bien au contraire, de son ventre, elle n’a engendré que régression.
A. G.
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