Interview – Soufiane Djilali : «Une sourde panique s’installe au sommet»
Algeriepatriotique : le mouvement Mouwatana a été, pour la troisième fois, empêché d’organiser son rassemblement et vous-mêmes avez été arrêté et éconduit hors de la ville de Béjaïa. Quel est votre sentiment après cette mésaventure ?
Soufiane Djilali : oui, après Alger et Constantine, nous avons été encore une fois interdits d’aller vers nos concitoyens à Béjaïa. Pourtant, nous avions bien précisé qu’il ne s’agissait pas d’une manifestation ni d’une marche. Nous voulions juste discuter avec nos concitoyens. Par ailleurs, le pouvoir s’est toujours caché derrière l’interdiction des manifestations sur la capitale pour justifier son attitude négative à l’égard de toute action à Alger. Maintenant, il étend l’interdiction à tout le territoire. Les derniers espaces de liberté sont en train de se fermer. Nous voulions organiser notre conférence nationale de Mouwatana dans une salle à Alger. Il s’avère que toutes les salles de la capitale nous sont systématiquement refusées. Certains présidents d’APC ont eu le courage de nous révéler qu’ils se feraient «taper sur les doigts» s’ils s’aventuraient à nous louer une salle ! Mouwatana est mis en résidence surveillée. Inutile de vous dire que Jil Jadid est en ligne de mire.
Comment expliquer que même à Béjaïa, région où les actions politiques sont généralement tolérées, les autorités soient si intraitables avec votre mouvement ?
La réaction du pouvoir est révélatrice d’une sourde panique qui s’installe au sommet. Depuis des mois, le gouvernement, les partis du pouvoir et les multiples relais ont voulu étouffer toute voix discordante sur le 5e mandat. Ils pensaient avoir réglé l’essentiel avec les partis politiques institutionnels. En dehors des partis dits «du Président», les autres s’étaient acclimatés à cette situation. Leurs dirigeants expliquaient que le problème n’était pas le 5e mandat – ni même le 6e disaient-ils. Certains se proposaient de résoudre la crise économique car ils avaient de «hautes compétences» et qu’ils étaient prêts à les mettre au service du pays ! C’est dans ce climat que Mouwatana émerge. Un non au 5e mandat aussi franc que direct dérange profondément. Dans le ronronnement général, le cri de Mouwatana a hérissé le poil. Tout simplement parce qu’il représente la véritable opinion populaire. Notre action sur le terrain enfle comme une boule de neige. Le pouvoir ne peut tolérer cette situation. Il sait que s’il nous permet la liberté de mouvement, il perdra pied.
Comment comptez-vous poursuivre votre action dans un tel climat ?
Cette semaine, l’instance de coordination se réunira pour évaluer notre action. Notre objectif, à travers les sorties de proximité était de rencontrer les citoyens pas de batailler face aux forces de l’ordre. A partir du moment où le pouvoir agit par la violence, nous ne le suivrons pas dans sa logique. Cependant, s’il pense nous faire peur ou nous détourner de nos objectifs, il se trompe lourdement. Nous sommes des légalistes. Nous travaillons dans le cadre des lois du pays, bien qu’il y ait beaucoup à dire là-dessus.
Dans cette première phase de notre combat, nous avons voulu sensibiliser l’opinion sur la nécessité pour le pays de prendre une autre voie que celle du zaïmisme maladif et des intérêts occultes qu’il charrie. Il faut que l’Algérie entame son ascension morale pour construire l’avenir de ses enfants. Le message est passé, pour l’essentiel. Maintenant, il faut organiser un vrai mouvement populaire, ouvert sur le monde, qui modernisera autant la gouvernance que la société. Les Algériens sont mûrs pour commencer à affronter les vrais enjeux d’avenir. Il faut, pour cela, sortir rapidement de l’archaïsme et de l’immobilisme de ce régime.
Des chantiers immenses nous attendent : reconstruire une légitimité politique avec de vraies institutions, mettre en place une gouvernance lucide et consciente des intérêts nationaux, négocier les vrais enjeux de la nouvelle ère qui s’est ouverte avec les changements géopolitiques et géostratégiques en cours. Il faut que Abdelaziz Bouteflika et surtout ses mandants comprennent qu’ils sont devenus un problème trop lourd à porter pour l’Algérie.
A moins de six mois de la présidentielle, le flou semble toujours entretenu autour du «5e mandat». Pensez-vous que cette option est irréversible ?
Il n’y a aucun doute que le clan présidentiel est plus que jamais décidé à décrocher le 5e mandat. Cependant, ils devront affronter de multiples obstacles. De ce fait, cette option ne peut pas être irréversible. L’état de santé du Président, les tensions internes au régime − dont les récents mouvements au sein de l’ensemble des organes sécuritaires et militaires − démontrent la réalité, la crise financière, les turbulences sociales, l’instabilité des Etats voisins, etc. mettent le pays dans l’obligation d’une mise en ordre politique et d’un redémarrage économique au plus vite.
L’Algérie a besoin d’un homme qui remette de l’ordre dans le pays. Il faut rapidement éliminer les sources d’une corruption phénoménale. Nous avons besoin d’un homme de bonne moralité, d’un homme généreux mais en même temps lucide et exigeant. Nous avons besoin d’un homme qui mettra l’Algérie et non pas sa personne au-dessus de tout.
Bouteflika aura été le symbole d’une phase orgiaque. Il nous faut maintenant un homme sérieux qui construira l’Etat de droit et remettra le pays sur les rails du développement.
Entretien réalisé par R. Mahmoudi
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