Contribution du Dr Arab Kennouche – A quoi sert la Cour des comptes ?
Par Dr Arab Kennouche – Dans le climat actuel d’accusations réciproques de népotisme, de corruption financière et d’instrumentalisation des institutions de l’Etat, une question lancinante revient comme la clé des problèmes de gouvernance en Algérie : la Cour des comptes joue-t-elle pleinement son rôle de contrôle des finances publiques de l’Etat, ou bien n’est-elle réduite qu’à un rôle subalterne sans grande importance dans le jeu politique ? Cet organe de l’Etat se retrouve pourtant au cœur des affaires de grande corruption comme un acteur qui aurait pu éviter autant d’affaires Khelil, Bedjaoui et autres personnalités de l’Etat prises actuellement dans les mailles d’opérations de nettoyage a posteriori effectuées en dehors du cadre institutionnel. Comment donc une haute juridiction de l’Etat a-t-elle laissé filer entre ses mains autant d’atteintes à la loi budgétaire, remettant en cause la primauté de ses relations organiques avec la présidence de la République ?
Il faut, en effet, se rappeler que cet organe de l’Etat joue un rôle fondamental par sa relation privilégiée avec l’exécutif qu’elle entretient, notamment le président de la République qui, chaque année, se voit remettre un rapport circonstancié sur l’état des finances publiques, en approuvant les comptes de la nation par un contrôle a posteriori des deniers publics. Il existe donc un mécanisme fondamental qui doit prévenir toute irrégularité dans l’emploi des deniers de l’Etat et dont le fonctionnement en bonne et due forme tient à la relation entre le président de la Cour des comptes accompagné de ses pairs, et le président de la République lui-même, responsable final de la certification des comptes de la nation. Une question dès lors se pose pour tout citoyen algérien, dont il est fait obligation d’information des comptes de l’Etat par leurs représentants mêmes, et devant le marasme des affaires qui pullulent : où et comment se trouve engagée la responsabilité de la Cour des comptes et, partant, celle de l’exécutif si les rapports annuels parvenant au président de la République ont péché par défaut d’information ?
Pourtant, dès 2012, tout avait bien commencé, l’Algérie s’engageant sur la voie d’une coopération internationale en suivant notamment les standards des ISC (Instituts supérieurs de contrôle des finances publiques) européens, et sous la présidence de la cour de M. Abdelkader Benmarouf. Au moins trois chapitres importants devaient être traités par la partie algérienne afin de répondre efficacement à des normes internationales : la reddition des comptes, leur apurement et le contrôle de la discipline financière et budgétaire. Autant dire tout un programme qui aurait dû faciliter la tâche aux organes de lutte contre la corruption en Algérie, grâce à un suivi régulier des comptes de la nation, par la Cour et la présidence de la République. On aurait évité au pays cette vaste opération «mains propres» augurant de lendemains dangereux pour les institutions de la République. Affaire Khelil, Bedjaoui et tant d’autres dans chaque clan politique : auraient-elles été si dommageables à l’Algérie si, en amont, les organes de l’Etat avaient effectué leur travail de contrôle et d’information ?
Il existe, en effet, des procédures efficaces de contrôle que la Cour des comptes s’est engagée à mettre en place selon un principe de base qui a fait ses preuves dans les grandes démocraties ; le Bottom up et Top down, ou bien le criblage des comptes de bas en haut des institutions de l’Etat, comme de haut en bas. Institution clé du système judiciaire, surtout dans sa relation avec la Présidence de la République, on peut se demander comment autant de sommes astronomiques sont passées au travers des mailles de contrôle de cette cour, si bien qu’aujourd’hui, au lieu de redditions de comptes légalisées par celle-ci, nous assistons à une succession de règlements de comptes, dont le dernier en date semble désormais concerner une autre institution importante de l’Etat, l’APN. Il faut rappeler également que cette cour créée sous le président Chadli Bendjedid en 1980, n’a que peu fonctionné sur la base de critères d’efficacité, notamment par le manque d’indépendance des magistrats qui la constituent et par le rôle prépondérant du président de la République qui nomme le président de cette juridiction. Le contrôle de l’exécution du budget revient donc à ce fameux président de cour, mais sous la responsabilité du président de la République.
Si, donc, il y prévarication des deniers publics, qu’ils proviennent des grandes entreprises publiques ou d’institutions étatiques, les deux premiers grands responsables des sommes engagées par l’Etat sont bel et bien le président de la Cour des comptes et tout l’exécutif. D’autant plus que l’obligation de contrôler est également assujettie à une obligation d’information pour tout citoyen lambda. Combien de rapports annuels ont été mis à la disposition du public algérien depuis que les grandes affaires de corruption ont finalement montré la faiblesse de l’Etat dans l’un de ses rouages fondamentaux ?
Il ne s’agit évidemment plus de polémiquer en continuant ce jeu infâme de règlement de compte alors que les acteurs institutionnels qui actuellement ont revêtu la cape de la justice, ne sont jamais parvenus à rendre crédible le fonctionnement des grands organes de contrôle de l’Etat, qu’ils soient sécuritaires ou budgétaires. Pour la petite histoire, il existe dans les structures même de la Cour des comptes une chambre de discipline budgétaire et financière, la CDBF, chargée de sanctionner les préjudices graves au Trésor public. C’est, entre autres, un organe important de l’inspection des finances qui aurait dû pleinement jouer le rôle de ses attributions notamment dans toutes ces affaires de passe-droit, de népotisme, de faveurs qui minent l’ensemble des institutions de l’Etat, depuis les prises en charge à l’étranger jusqu’aux voitures blindées de Naïma Salhi, ou bien encore l’octroi de villas de luxe dans le parc immobilier de l’Etat. Que des dirigeants de partis au pouvoir s’octroient subitement des prérogatives de justice publique, en utilisant l’arme de la démission forcée, en dit long sur l’état catastrophique des organes de contrôle de l’Etat qui n’agissent pas au moment opportun, c’est-à-dire, au moment des faits et au cours d’un exercice budgétaire officiel.
Plus grave, semble-t-il, le défaut d’information au public ou le défaut d’information Bottom up, c’est-à-dire de la base vers le haut, se traduit actuellement par des réactions intempestives des hommes de pouvoir qui n’ont pas eu vent des rapports de contrôle qui auraient dû remonter vers le haut. La présidence de la République n’a-t-elle jamais été correctement informée des grandes pratiques de corruption et de prévarication par la Cour des comptes en dépit de la relation ombilicale entre ces deux rouages ?
A. K.
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