Exclusif – L’écrivain Akli Tadjer : «J’ai subi un déferlement de haine»
L’écrivain franco-algérien Akli Tadjer revient sur le refus par certains élèves en France de lire son livre tel qu’exigé par leur enseignante dans le cadre du programme scolaire. Dans son statut de «franco-algérien», affirme l’auteur du Porteur de cartable, la partie «franco-» ne gêne pas les racistes de la trempe d’Eric Zemmour dont il dit qu’il «a un problème avec le pays de ses ancêtres». Interview.
Algeriepatriotique : Des lycéens en France ont refusé de lire votre livre au motif que vous n’êtes pas français et que son contenu ne concerne pas la France. Comment l’avez-vous su et quelle a été votre première réaction ?
Akli Tadjer : Je l’ai su par l’enseignante qui m’a invité à rencontrer ses lycéens parce qu’elle voulait leur faire étudier Le Porteur de cartable. Cela fait vingt ans que je fais des rencontres scolaires car je considère que c’est la fonction sociale de l’écrivain de donner le goût de la lecture. Cela s’est toujours très bien passé. Mais là, à travers le courrier électronique de l’enseignante, c’était un déferlement de haine : «La Guerre d’Algérie ne concerne pas la France», «on ne veut pas lire de mots arabes», bien qu’il n’y en ait que trois. Mais, surtout, un lycéen a préféré se faire renvoyer plutôt que de prononcer le nom «Messaoud». C’est ça qui est grave et choquant.
D’aucuns s’interrogent sur les fondements de cet outrage. Dante, Kafka, Shakespeare, Hemingway et bien d’autres auteurs étrangers auraient-ils subi le même outrage ? Evidemment pas. Je suis franco-algérien ; ce n’est pas «franco-» qui les dérange. Tout est dit.
Dans un de vos commentaires suite à ce refus raciste, vous avez ironisé en «remerciant» Eric Zemmour. Pensez-vous que les propos racistes de ce dernier ont pu influencer la décision de ces lycéens ?
Eric Zemmour a un problème avec le pays de ses ancêtres. Il le déteste et lui dénie même son existence. Il dit que c’est une construction artificielle. Il a un problème plus grand encore avec l’islam. Il est islamophobe comme les [nazis] étaient antisémites en Allemagne dans les années 1930. Mais, surtout, il est très malin car il sait que pour vendre un livre, il faut provoquer un scandale. Il sait que taper sur l’islam et l’Algérie, c’est la martingale gagnante.
Mis à part la levée de boucliers qu’a suscitée ce refus sur les réseaux sociaux, y a-t-il eu des réactions plus larges ?
Une rencontre avec ces lycéens est prévue le mois de novembre prochain.
Le rendez-vous est-il maintenu ?
J’ai reçu énormément de soutiens d’enseignants qui vivent quotidiennement cette situation. C’est malheureusement le climat actuellement dans certaines régions de France. Plus largement, c’est une grande partie de l’Europe qui bascule dans l’extrême-droite, l’Italie, l’Autriche, la Hongrie, la Pologne… L’Allemagne a eu chaud. La France et l’Espagne résistent mais pour combien de temps encore ? Pour ce qui est du rendez-vous, bien sûr qu’il est maintenu. Je veux leur expliquer calmement qu’on ne m’agresse pas impunément, que demain ils seront électeurs et que le racisme n’est pas une idée mais un délit. Eux qui vivent dans une région, la Picardie, où la Première Guerre mondiale fut une boucherie, je veux qu’ils sachent que des jeunes hommes qui avaient un ou deux ans de plus qu’eux étaient venus d’Australie, d’Afrique, du Maghreb, d’Inde pour mourir sur leurs champs de pommes de terre. Et quand un de ces lycéens refuse de prononcer le nom de Messaoud, il a une seconde fois tué ce soldat qui était venu le libérer.
Ce refus reflète-t-il donc une France raciste et populiste ?
C’est plus compliqué que ça. Il y a des régions de France où il y a une forte proportion d’immigrés et de Français issus de l’immigration où le Rassemblement national (ex-Front national, ndlr) obtient très peu de voix et des régions comme la Picardie où il n’y a qu’un très faible pourcentage d’étrangers et où l’extrême-droite cartonne.
Cette polémique a cependant permis de vous faire connaître et une meilleure vente de vos livres…
Ma carrière littéraire est un mystère. J’ai écrit onze romans. J’ai toujours eu plus de lecteurs en Allemagne, en Suède et en Italie, alors que je n’ai jamais vécu ne serait-ce qu’un jour dans ces pays. Cela aussi me dépasse.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
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