Exclusif – Le fils de Gillo Pontecorvo se confie à Algeriepatriotique
Né à Pise en 1919 et romain d’adoption, le réalisateur de «La Bataille d’Alger», Gillo Pontecorvo, aura passé une grande partie de sa jeunesse en France, fuyant le régime de Mussolini et prenant part aux activités de la résistance tant en Italie qu’en France. Son œuvre principale, «La Bataille d’Alger», qui lui a valu le prix du Lion d’Or à Venise en 1966, a été précédée par «une gestation longue et compliquée» durant laquelle il fut l’objet de menaces répétées de la part d’anciens membres de l’OAS, qui supportaient mal son adhésion à l’esprit et à l’idéal de la Révolution algérienne et sa dénonciation de la torture pratiquée à grande échelle par les forces d’occupation françaises. Un film, une référence, qui aura marqué une génération d’amoureux du 7e Art et que tous les Algériens connaissent pratiquement par cœur.
Et profitant de la tenue du Festival du cinéma de Rome, son fils Simone, adhérant sans hésitation à la demande d’interview d’Algeriepatriotique, nous a donné rendez-vous dans un des pavillons de l’Auditorium pour dévoiler, plus de dix ans après la disparition de Gillo Pontecorvo, certains aspects peu connus de son père et ses souvenirs liés au projet du film «La Bataille d’Alger».
Algeriepatriotique : Les Algériens connaissent Gillo Pontecorvo, réalisateur et homme engagé. Parlez-nous plutôt de lui en tant que père…
Simone Pontecorvo : Il était un père amusant, il aimait la vie et cultivait plusieurs passions, le jardinage, la musique, le tennis et la pêche. Il aimait aussi la liberté et avait avec ses enfants un ton tantôt complice, tantôt sévère, comme il se doit pour un père soucieux et attentionné. Il fuyait les occasions superficielles et voulait qu’on grandisse sincères et authentiques. Ami de Picasso et de Sartre, il côtoyait toutes les grandes figures du parti communiste italien et la fine fleur du panorama culturel et artistique italien et international de l’époque. Il a eu à vivre des moments difficiles durant la guerre de Libération, mais jamais il a voulu nous faire peser ce vécu.
Sur une chose, il était intraitable : la lecture. Il estimait qu’elle était un des ingrédients principaux pour l’épanouissement de l’individu. La musique l’enchantait car elle donnait libre cours à sa sensibilité. D’ailleurs, pour «La Bataille d’Alger», il a cosigné avec le génie Ennio Morricone la musique du film et même pour d’autres œuvres, il a toujours collaboré à l’ébauche de celle-ci.
Comment est née l’idée du film «La Bataille d’Alger» ?
En 1962, mon père et le scénariste de tous ses films, mais aussi son grand ami, Franco Solinas, se rendirent en Algérie pour prendre part aux célébrations de l’Indépendance. Ils y étaient en tant qu’amis et soutiens convaincus de la cause algérienne qu’ils avaient suivie avec attention et passion. A l’époque, ils avaient en tête un film ayant pour titre «Para», retraçant les faits marquants de la Guerre d’Algérie. Ce voyage de 1962 et les scènes de liesse du peuple algérien qui l’ont beaucoup marqué, l’ont en quelque sorte fait dévier du projet initial. Mon père s’était rendu à Paris et avait rencontré plusieurs parachutistes, puisque le protagoniste du film «Para» devait être un ancien de la guerre d’Indochine qui se trouvait en Algérie comme reporter de guerre. Ces témoignages ont d’ailleurs servi à la formulation du personnage complexe du colonel Mathieu. Solinas et mon père ont voulu voir en ce dernier un homme intelligent et expert de tactique militaire, non pas un sadique et le classique méchant ; un homme qui servait sa nation et qui devait tout faire pour maintenir l’Algérie dans le giron de la France.
Le but étant de ne pas se focaliser sur un personnage aussi ambigu que négatif, pour aider le public à se concentrer sur le véritable mandataire des supplices racontés par le film, à savoir le colonialisme. C’est ce point précis qui a plu à la critique mondiale.
En 1964, mon père qui, pour plusieurs raisons, avait mis de côté le projet de «Para», fut contacté par Salah Bazi et Yacef Saâdi, qui étaient venus en Italie à la recherche d’un réalisateur qui puisse réaliser un film sur l’indépendance de l’Algérie. Les Algériens préféraient un regard externe et firent une proposition dans ce sens à Francesco Rosi, Luchino Visconti et mon père. Les deux premiers ayant refusé au motif qu’ils étaient déjà engagés sur d’autres projets, mon père, qui s’était déjà approché du sujet, s’est dit immédiatement intéressé. La première proposition qu’il reçut portait sur un scénario déjà écrit. Mon père déclina cette offre et obtint de repartir à zéro avec Solinas, en puisant toutefois dans les archives et toutes les informations que la partie algérienne était en mesure de lui fournir et c’est ce qui fut fait.
De par les récits de votre père, quelle idée vous êtes- vous fait de l’Algérie ?
Il nous parlait surtout du climat d’enthousiasme pour la liberté conquise, de cet élan que l’Algérie personnifiait en 1962, de ce peuple héroïque. Mon père avait participé à la Seconde Guerre mondiale et il avait vécu des moments semblables au terme de ce conflit. Cela a été un point fort de contact et de similitude entre son vécu et celui du peuple algérien. Il nous a longuement parlé, avec émerveillement et émotion, de la disponibilité et de la participation directe et spontanée de la population algéroise durant le tournage.
Le film fut une coproduction italo-algérienne avec, d’un côté, Casbah-Film, créée pour l’occasion par Yacef Saâdi, et Igor Film, constituée également pour l’occasion par mon père et par Antonio Musu. Yacef Saâdi était une des deux personnes qui avaient contacté mon père en 1964. Il était un des chefs du FLN et il parlait avec mon père une langue commune du fait de leur passé de soldats et de résistants. Mon père, trouvant son profil très intéressant, lui proposa de jouer son propre rôle dans le film. Ce qu’il fit d’ailleurs. Le tournage dura plusieurs mois. Même ma mère a fini par se rendre en Algérie et amena avec elle mon frère aîné Ludovico qui, à l’époque, n’avait qu’un an. Le tournage fut assez complexe en raison du recours à un grand nombre de figurants. Mais toute cette expérience est restée gravée dans la mémoire de mon père qui nous répétait sans cesse que de la part de ses amis algériens et des Algériens tout court, il n’a reçu que de mots et de gestes d’amitié et de sympathie.
Propos recueillis à Rome par Mourad Rouighi
(Suivra)
Comment (17)