La main tendue de Mohammed VI : un «protectorat» sur Alger ?
Par Dr Arab Kennouche – Les derniers assauts de la diplomatie marocaine et la main tendue du roi du Maroc à l’Algérie ne doivent pas occulter le cœur du problème de la question maghrébine, qui reste la continuation de la mainmise étrangère sur le destin des peuples du Maghreb. Et plus particulièrement de la France sur le Maroc de Mohammed VI, depuis que le royaume chérifien décida de rester dans l’orbite de l’Hexagone, par le traité de Fès de 1912, au détriment des aspirations nationalistes et libératrices portées par Mohammed Abdelkrim El-Khattabi.
Ce berbère musulman du Rif éminemment conscient de la question politique de son temps et qui avait libéré une partie du Maroc en fondant une république après l’écrasement des Espagnols à la bataille d’Anoual en 1921, proposa au sultan Moulay Youssef de rallier sa cause en lui tendant une main, celle de la libération de tout le Maroc de l’emprise franco-espagnole. Il essuya un niet catégorique de la part du sultan qui préféra la France à une alliance authentiquement marocaine contre le «protecteur» occidental.
Père de Mohammed V, Moulay Youssef laissa toute une lignée de dynastes continuateurs de la trahison contre El-Khattabi qui fut, il faut le rappeler, inhumé au cimetière des Héros arabes du Caire sur autorisation de Nasser, étant le premier à avoir reconquis des territoires sur la France avant même le valeureux combat des Algériens. Aujourd’hui encore, les rois Hassan II et Mohammed VI ont inscrit leur action politique dans ce processus de reddition à la France entamé par leur ancêtre Moulay Youssef, alliance militaire avant tout entre le Makhzen, le Maréchal Lyautey, résident général de France, et les troupes espagnoles de Primo de Rivera contre le peuple marocain en révolte dans tout le Nord du pays
C’est cette matrice idéologique qui est encore en vigueur dans les relations entre le Maroc sous protection française et l’Algérie née du combat du FLN. Tous les contentieux actuels entre le Maroc et l’Algérie indépendante trouvent leur point d’ancrage dans la reddition totale des autorités du Makhzen historique à la France de Lyautey et dans le projet avorté d’un Maghreb authentiquement libéré. Or, il n’est pas permis de comprendre la main tendue de Mohammed VI à l’Algérie actuelle sans cet éclairage historique d’une main vainement tendue par El-Khattabi au début du siècle, mais qui en donne une lecture immanquablement authentique.
En effet, il existe un lien indéfectible et une alliance fondamentale entre la République française et le Makhzen chérifien qui situent le rôle et la responsabilité de la France à un niveau bien plus élevé dans l’imbroglio des relations avec l’Algérie. En définitive, lorsque le Maroc se propose de négocier quoi que ce soit, il en va des intérêts de la France avant tout, comme dans les négociations interminables entre les sultans marocains et la résistance d’Abdelkrim, sultans qui engagèrent les troupes de Pétain et Lyautey contre les intérêts politiques des musulmans arabes et berbères du début du siècle. L’esprit du Traité de Fès de 1912 règne encore dans les pourparlers d’aujourd’hui que la partie marocaine essaye de présenter à l’Algérie comme une peau neuve, un nouveau départ, une remise à plat des grands dossiers algéro-marocains.
C’est à ce titre que l’on peut qualifier de profondément anachronique et surréaliste l’intervention des Etats de la Ligue arabe, quand dans ce contexte de désunion et de conflagration généralisée dans la nation arabo-musulmane, la voix de l’Algérie pourtant empreinte de grande sagesse, est encore perçue comme rebelle. Mais n’est point Abdelkrim El-Khattabi qui veut. Néanmoins, Alger ne doit pas oublier la fin de cette histoire, le bombardement des régions libérées par El-Khattabi par l’aviation française au gaz à ypérite.
Mais, alors, que chercherait la France de Macron derrière le geste de Mohammed VI ? Tout d’abord, le contexte actuel d’une présidence chaotique en Algérie, et les convulsions qui atteignent désormais l’ANP poussent la France à occuper le terrain des revendications territoriales marocaines contre l’Algérie. La main de Mohammed VI tendue à l’Algérie n’est qu’une version modifiée du coup de poignard porté à la troupe d’Abdelkrim El-Khattabi par les sultans chérifiens décadents, lui qui avait réussi là où notre Emir Abdelkader avait échoué. La rhétorique d’une réévaluation multidimensionnelle des dossiers en cours, avec une teinte historique hautement dangereuse, cache mal le dessein d’une perpétuation du régime protecteur en Afrique du Nord par la France.
En d’autres termes, Mohammed VI est chargé par Paris de revoir l’ensemble des relations franco-maghrébines dans cette fenêtre idéale que constitue un 5e mandat d’Abdelaziz Bouteflika qui ne sera pas sans remous pour l’Algérie. En effet, si des dissensions politiques internes se manifestaient en Algérie entre partisans d’un 5e mandat et l’opposition à ce projet, mais également au sein de l’ANP et des dissidences nées des partis politiques, comme dans l’épisode fâcheux des troubles à la présidence de l’Assemblée populaire nationale, on ne peut que craindre un regain d’activité des groupes de pression anti-algériens présents partout dans le monde arabe et en France.
A. K.
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