Interview – Simone Pontecorvo raconte l’amour de son père pour l’Algérie (II)
Dans cette seconde partie de l’interview accordée par Simone Pontecorvo à Algeriepatriotique, le fils du grand réalisateur italien revient sur la relation de son père avec l’Algérie. «Mon père vouait une grande affection pour tous les Algériens», confie-t-il. Interview.
Algeriepatriotique : Votre père m’a confié un jour que le grand succès du film doit beaucoup à la participation spontanée des Algériens, ce qui l’a rendu très crédible aux yeux du public international…
Simone Pontecorvo : La Bataille d’Alger bien qu’ayant pu compter sur des personnalités très importantes, a été conçu et voulu en premier lieu suivant une logique et une dimension collectives. Le récit de comment une longue série de souffrances et de deuils de part et d’autre a fini par aider un peuple à obtenir son autodétermination. Les scènes de masse du film étaient assez impressionnantes et lui ont valu la comparaison avec l’œuvre de Sergueï Eisenstein, Le cuirassé Potemkine.
Mon père a, en outre, voulu donner à l’œuvre cinématographique ce côté réaliste et cet aspect il a tenu à le préserver tout au long du film. Il avait besoin de profils d’acteurs authentiques et c’est pour cela qu’il a choisi les acteurs et les figurants parmi les habitants de la Casbah. L’unique acteur professionnel du film était Jean Martin, interprétant le rôle du Colonel Mathieu. De même, le fait de se retrouver face à une population qui trois ans auparavant menait encore sa guerre de libération, et donc consciente et disponible à souhait quant au succès de l’œuvre, l’a beaucoup aidé. Pour les scènes les plus marquantes, outre les figurants prévus, il a pu bénéficier de l’apport spontané de personnes venues tout simplement assister au tournage.
D’ailleurs, en ce qui concerne l’aspect visuel du film, mon père et le directeur de la photographie, Marcello Gatti, ont tout fait pour que les images puissent ressembler à celles d’un reportage de guerre, ce qui était dans le sens de l’époque, appliqués aux grands événements d’actualité.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, durant la période des Oscars – le film a eu trois candidatures –, la reconstruction des scènes était apparue tellement réaliste et crédible qu’à la sortie des premières projections, nombre de personnes étaient convaincues que les images étaient prises des journaux télévisés. Ce qui a obligé le distributeur à préciser sur les bandes d’annonce qu’à aucun moment le film n’utilise des images d’archives de JT.
Votre père est revenu en Algérie au début des années 90 pour tourner un reportage diffusé par la chaîne italienne Rai 2. Comment a-t-il trouvé l’Algérie trente ans après le tournage du film la Bataille d’Alger ?
Remettons tout selon le contexte historique de l’époque. Quand il avait tourné le film, l’ambiance relatait un peuple dont l’élan était celui d’un pays recouvrant enfin sa liberté. En revanche, en 1992, il trouva une situation politique compliquée. Il s’y rendit pour mesurer directement les contours de la situation, partant d’un fait acquis qu’il y alla comme une personne très liée à l’Algérie et à son peuple. Il a tenu à visiter les coins et les recoins de la profonde Casbah pour se remémorer, mais aussi pour tenter de comprendre. D’ailleurs, il a pu tourner dans des lieux jusque-là hermétiques aux télévisions. Certaines familles l’ont très bien accueilli, en offrant même un couscous à l’équipe qui l’accompagnait et en insistant sur leurs conditions de vie, l’état de leurs maisons et leur malaise social. Dans d’autres zones de la ville, les personnes ne voulaient absolument pas s’exprimer devant la caméra. C’est dire la tension politique qui prévalait à l’époque. Même à l’université, à un moment du reportage, des étudiants qui discutaient de façon passionnée de certains thèmes, constatant qu’ils étaient filmés, ont sèchement apostrophé mon père en lui disant que le linge sale se lavait en famille et en lui faisant comprendre qu’ils en avaient marre des reportages des chaînes étrangères. Mon père, qui affronta cette situation avec sérieux, se mit à discuter avec eux en leur répondant que lui ne représentait pas une chaîne étrangère et que les Italiens étaient en majorité des amis des Algériens.
Le documentaire insista beaucoup sur certains lieux que mon père avait connus dans les années 1960 et mit en exergue ses émotions personnelles au moment où il repassait devant la prison de Serkadji où il tourna cette scène d’un Algérien guillotiné, qui avait beaucoup ému ses collaborateurs. Une autre scène qui lui venait à l’esprit est celle où Larbi Ben M’hidi, en s’adressant à Ali La Pointe, lui dit que les véritables difficultés surgiraient après la victoire de la Révolution, une phrase qu’il a associée aux trente ans de parti unique qui ont suivi l’indépendance.
Cela dit, les conclusions du reportage ont été toujours ébauchées sous le signe de l’affection qu’il vouait à tous les Algériens et son espoir en l’avenir.
A titre personnel, avez-vous en tête une initiative pour préserver le lien que votre père avait avec l’Algérie. Avez-vous visité notre pays ?
Oui, je me suis rendu à Alger en 2007, en compagnie de ma mère et de mon frère Marco. C’était très beau. On a même visité la Casbah et pu voir les lieux où furent tournées certaines scènes du film. Par la suite, j’ai assisté avec ma mère à une projection du film au Festival d’Oran. Enfin, si je devais répondre à votre question sur une idée à même de préserver le lien que Gillo Pontecorvo avait avec l’Algérie, je penserais à une école de cinéma ou à un prix pour jeunes cinéastes qui porterait son nom.
Propos recueillis à Rome par Mourad Rouighi
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