Jamal Khashoggi à Ben Salmane avant de mourir : «Tu es un idiot !»
Par R. Mahmoudi – Des dissidents saoudiens relaient l’article qui a été, selon eux, à l’origine de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Si ce dernier a publié, y compris dans la presse américaine, plusieurs écrits où il s’en prend à la politique de l’homme fort de Riyad, mais ce texte est celui qui aurait le plus irrité l’impétueux prince héritier.
Ecrit dans un style épistolaire direct et sciemment provocateur, le texte fait le procès du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, que l’auteur décrit comme un «zombie» et «un idiot». Il lui rappelle toutes les tares dont il est l’auteur : la guerre au Yémen, en Syrie, la dilapidation des deniers publics, la terreur exercée contre «les réformistes», son échec devant les «Ayatollahs», etc.
«Si les habitants du Yémen se mettent à se venger contre toi pendant un siècle, cela ne leur suffira pas !» lui lance-t-il dans une de ses pique vers sarcastiques. Il l’accuse d’offrir la Syrie et l’Irak sur un plateau aux Iraniens que l’auteur présente comme les pires ennemis.
L’auteur reproche également à Mohammed Ben Salmane, sans jamais le citer à aucun moment, de s’être revêtu de l’habit de Mohammed Ibn Abdelwahab, fondateur de la doctrine wahhabite, mais en vidant la doctrine de son sens et de sa quintessence, et en s’entourant de «chouyoukh serviles». «Tu t’es toujours mis aux côtés des impies contre les croyants, et tu t’es employé à liquider et à détruire tous les partis et associations sunnites, comme si tu étais une mauvaise arme qui se retourne fatalement contre son porteur !»
Il poursuit sur sa lancée : «Tu as dépensé toute ton énergie pour abattre les révolutions arabes, pousser les peuples à ne plus revendiquer la justice et la liberté et tuer dans l’œuf toute contestation musulmane dans les pays arabes, en allant jusqu’à donner des centaines de millions aux adversaires des islamistes en Malaisie !»
L’attaque se fait encore plus corrosive : «Qui va te tendre la bouée de sauvetage lorsque la déferlante t’atteindra ; et elle t’atteindra, sois en sûr ! Les nouveaux Keramate nous encerclent, par ta faute, de partout et les bannières noires (allusion à Daech, Ndlr) s’impatientent de te faire ta fête. Alors que l’aigle américain fouine dans tes vieux dossiers pour préparer un nouveau jeu (…)»
La diatribe devient de plus en plus personnelle lorsque l’auteur de la lettre lance à Ben Salmane : «Sur le chemin de ta chute, tu ne trouveras pas pire ennemi à combattre que toi-même !» Car il est persuadé que le prince allait «dans un abîme profond». «Le même abîme où était tombé avant toi le Khédive Ismail quand il a décidé de faire de l’Egypte un département d’Europe ; il en a hypothéqué les ressources matérielles au profit des étrangers, de sorte que tous les idiots du monde en venaient à posséder des biens en Egypte. (…) Et lorsque les esprits se réveillèrent, les idiots se retournèrent contre ce crétin et le poussèrent à l’exil comme une vulgaire loque. Il ne mourut pas avant de voir les soldats britanniques envahir son trône.»
Evoquant la décision prise, il y a quelques mois, par le gouvernement saoudien d’introduire la compagnie pétrolière Aramco en Bourse, Jamal, Khashoggi écrit : «Réellement, tu ne soumets rien à souscription… Tu as vendu l’aîné de tes enfants, hypothéqué la perle de ta couronne, cassé le pilier de ta tente, et mis en jeu tous les avoirs de ton peuple !»
Lui prédisant une fin triste, le journaliste assassiné enchaîne : «Sache que ton ambition ne va pas engloutir les problèmes de pauvreté, de chômage, ni de logement. Elle ne fera que t’engloutir, toi seul !»
R. M.
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